Une lecture du scrutin des chambres professionnelles, par Taoufiq Bouachrine
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- 11 août 2015 --
- Opinions
Les élections professionnelles de vendredi dernier ne sont en réalité qu’un échauffement pour les communales du 4 septembre, qui ne seront-elles-mêmes que la dernière séance d’entraînement pour les législatives de 2016, lesquelles seront le test véritable du modèle politique choisi par le Maroc.
Pour ce scrutin professionnel, l’opposition a obtenu un score positif en remportant 47% des sièges, contre 38% pour les partis de la majorité. Le PAM a maintenu sa position de 2009, quand il avait regroupé sous son étendard une brochette de notables et de grands électeurs pour les raisons que l’on sait. Le PJD, quant à lui, et comme pour les élections de salariés, a amélioré sa position mais il est resté cantonné à une très moyenne 5ème position.
Nous allons faire trois remarques sur ce premier étage de l’édifice électoral qui se prépare au Maroc pour la rentrée.
1/ Des élections consacrées aux commerçants, aux artisans et aux pêcheurs ne revêtent pas une grande signification politique. Ce scrutin est plutôt une grande joute entre divers centres d’intérêt et privilégiés que les partis tentent de récupérer pour leur conférer une « couverture politique ». En réalité, cette élection prend souvent la forme de luttes personnelles opposant des lobbies, sans programmes et sans visions politiques ou stratégiques. Pour ces raisons, il faut autant que possible éviter de donner à cette première manche électorale une signification politique et encore moins une orientation des souhaits des électeurs pour les échéances à venir, ainsi que l’a déjà fait l’agence de presse officielle dans des analyses « travaillées » et abusivement présentées sous couvert académique, tendant à montrer que « ces élections professionnelles ont pris la forme d’un vote sanction contre le gouvernement et contre le parti qui le dirige ».
2/ Dans ce type de scrutin, le pragmatisme l’a toujours emporté, dans le sens où les candidats et les électeurs ont toujours accordé une certaine préférence aux partis proches du pouvoir, supposés être à même de régler les problèmes et se présentant comme étant capables de faciliter les affaires des uns et des autres, accordant ici des avantages fiscaux, distribuant là des privilèges douaniers. Les secteurs qui ont toujours vécu grâce à la rente généreusement attribuée par l’Etat fonctionnent également dans cet esprit. Ainsi,
il est tout à fait logique que le PAM ait obtenu 408 sièges alors que le PJD qui dirige le gouvernement est relégué au 5ème rang. Cela signifie que les professionnels savent très bien où se trouve le vrai pouvoir ou, au moins, sont conscients que le PJD n’est que de passage au gouvernement et que, de ce fait, il ne saurait pérenniser des avantages et des acquis. Ces professionnels vont donc déclarer leur flamme aux partis aptes à leur assurer des avantages et privilèges qui dureront dans le temps.
3/ Ces élections professionnelles de la semaine dernière, comme les élections salariales d’il y a quelques semaines, auront tout de même consacré une certaine avancée du PJD, mais une avancée qui ne reflète pas le poids réel de ce parti ni sa présence médiatique. Cela s’explique par l’absence d’un appareil électoral efficace au sein du PJD. Ce parti reste encore un peu comme ce commerçant installé dans son échoppe, attendant le chaland sans ne consentir aucun effort pour l’attirer à lui. Le PJD continue à recueillir les suffrages d’une classe moyenne passablement politisée, mais pas ceux des grands électeurs. Mais si cette formation ne distribue pas rentes, avantages et privilèges, il lui appartiendrait en revanche de présenter un programme de décollage économique, de concurrence saine et loyale, de réforme de l’administration et de la justice, attirant ainsi ces électeurs vers elle et ses candidats. En effet, les commerçants, artisans et pêcheurs auront bien plus à gagner dans un système économique sain, honorable et transparent que dans un environnement marqué par la corruption, la rente et le trafic d’influence. Las… Jusqu’à aujourd’hui encore, le PJD n’a pas su y faire et les grands électeurs continuent à aller vers des formations qu’ils connaissent, les privilégiant à des partis qu’ils ne maîtrisent pas encore tout à fait.
Pour tout cela, il semblerait qu’un processus électoral répondant aux règles universelles de transparence a encore du chemin devant lui. La logique absolutiste et autoritaire, pour être efficacement combattue, nécessite un long travail, empreint d’efficacité, de créativité et surtout de patience, avant que les élections en notre pays ne puissent se tenir dans un esprit véritablement démocratique. Il ne peut y avoir de démocratie vraie sans la volonté réelle de l’installer.
Akhbar Alyoum