Des élections sans démocratie… des urnes sans volonté populaire, par Taoufiq Bouachrine
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- 29 juillet 2015 --
- Opinions
C’est parti… Les promesses électorales et grand-messes partisanes ont commencé, avec leurs cortèges de slogans, de symboles, de couleurs, de discours, le tout dans une ambiance festive… On se prépare aux élections communales et régionales du 4 septembre lors desquelles 36 partis se disputeront pour 27.000 sièges.
Tout cela pour s’attirer les bonnes grâces de 14 millions d’électeurs inscrits sur les listes électorales, sur 26 millions de Marocains titulaires de cartes nationales d’identité. Autrement dit, le Maroc entre en période électorale dans l’indifférence de 12 millions de personnes qui n’ont pas jugé utile ni nécessaire de s’inscrire sur les listes électorales. En étant optimistes, on peut estimer que 50 à 55% des inscrits voteront effectivement, ce qui signifie que tout le battage électoral se fera pour séduire environ 7 millions de gens qui se déplaceront aux bureaux de vote ce vendredi 4 septembre pour élire leurs conseillers communaux et régionaux. Il s’agira de la première fois dans l’histoire du pays que les Marocains voteront deux fois dans la même journée, avec la même carte électorale.
3 remarques peuvent être apportées pour ce scrutin, qui aura des suites importantes dans le pays.
1/ Le taux de participation est encore faible au Maroc puisque sur 26 millions de personnes en âge et en mesure de voter, seules 7 millions le feront effectivement, dans le meilleur des cas. Et sur ces 7 millions de bulletins, beaucoup seront invalidés, et beaucoup ne devront le fait d’être dans l’urne que suite à la pression insistante des notables, des échanges de services et du besoin de protection… Il restera donc bien peu de Marocains qui iront voter en connaissance de cause, persuadés de la nécessité d’accomplir leur devoir, et aptes à faire la différence entre les partis, les programmes et les candidats. Cela reflète le faible taux de politisation du pays, avec seulement 10% de la population qui s’intéresse à la politique, dont les sympathisants de partis, de syndicats et d’associations…
2/ Nos élections mettent en présence des individus et non des programmes, des candidats et non des idées, des profils et non des partis. C’est pour cette raison qu’aucune formation ne s’est vraiment donné la peine d’élaborer un programme ou de réfléchir sérieusement à des solutions aux problèmes qui se posent. Les partis politiques se contentent de grands et grandiloquents slogans sur le développement, l’emploi, l’hygiène et la propreté, les routes, les télécoms… Quant aux électeurs, ils ne daignent même pas lire les proses à eux servies
car ils savent bien qu’elles ne seront pas appliquées et que les alliances qui seront nouées répondent bien plus à de fins et savants équilibres arithmétiques qu’à des convergences d’idées. C’est la politique du « renvoi d’ascenseur » qui prime, qui a toujours primé et qui primera encore… alors pourquoi s’évertuer à chercher un programme qui ne sert à rien, quand il existe ?
Puisque la loi permet à un analphabète d’être président d’une commune, pourquoi perdre son temps à lire un programme signé par lui alors que lui-même est incapable de le déchiffrer, et encore moins de le comprendre ? Tout cela signifie que les votants votent mais que ce sont au final les partis qui gagnent.
Quant aux programmes, ils sont élaborés dans trois endroits différents : d’abord le palais royal qui trace les grandes lignes des grands programmes urbains, élections ou pas, assisté par les administrations territoriales, les grandes Caisses publiques et les ministères. Ensuite, nous avons les lobbies et autres centres d’intérêts, dans les secteurs de l’immobilier, de la voirie ou de la distribution d’eau et d’électricité, en plus des cabinets d’étude et d’ingénierie urbaines. Ces gens dirigent en coulisses les délibérations des conseils élus, grâce et à travers les réseaux qu’ils ont patiemment tissés des années durant. Et, enfin, il y a cette pratique de l’improvisation des édiles qui ne s’activent que dans des cadres saisonniers ou électoraux pour garantir leurs (éventuelles) réélections, en œuvrant dans des entreprises de charité ordonnée et coordonnée et d’assistance municipale destinée à des quartiers déterminés et à des catégories de populations ciblées en fonction de leur intérêt électoral.
3/ Le comportement des électeurs ne répond pas à la logique initialement voulue, de sanction ou de récompense du ou des partis sortants, du ou des candidats qui se représente(nt). On ne donne pas crédit à ceux qui ont sérieusement travaillé, de même qu’on ne tient pas grief à ceux qui n’ont rien fait. Selon une étude réalisée l’année dernière par la Fondation Abderrahim Bouabid, 80% des Marocains ne connaissent pas le nom de leur président de commune, et encore moins leur appartenance politique. En revanche, tout le monde peut dire qui est le gouverneur ou le wali, nommés par le ministère de l’Intérieur pour gérer les préfectures et provinces.
Et donc, dans ce pays qui est le nôtre, il existe bien des élections, mais pas de démocratie, de même qu’il existe des urnes mais sans relation avec la volonté populaire. Il y a bien évidemment des exceptions, mais qui ne font que confirmer la règle, comme on dit.
Akhbar Alyoum