Faits divers de ramadan, par Rachid Afif

Faits divers de ramadan, par Rachid Afif

Durant ce mois de ramadan, nous avons vécu des histoires et des événements, avec leurs héros et leurs trames. Nous avons passé de longues heures de jeûne à cueillir les faits et recueillir les opinions, au moyen des nouvelles technologies de l’information et aussi des anciennes. Ils étaient très nombreux à suivre ces faits avec tout le soin possible, passant le temps pour arriver au moment de la rupture de leur jeûne.

Et ainsi donc, nous avons eu au début du mois l’histoire de ces deux jeunes femmes qui portaient deux jupes courtes et qui se sont retrouvées en garde à vue, puis jugées. Tout le monde aura constaté la déferlante militante des partisans de la liberté vestimentaire, avec ses cortèges de sit-in et de manifestations. Mais une fois encore, cette affaire de la jupe courte aura montré que ces militants, quelles que puissent être leur bonne volonté et leurs excellentes intentions, sont fort éloignés des préoccupations premières des gens. Leurs combats sont progressistes, très progressistes, trop progressistes, tellement progressistes que nous avons du mal à les rejoindre.

Le plus drôle dans cette histoire est qu’il y a des gens qui ont tiré comme conclusion de cela une scission de la société marocaine en deux catégories, les modernistes et les conservateurs. Nous souhaitons vivement que cela soit vrai et réel mais ce que nous savons, en revanche, est que les Marocains de condition humble, rongés par l’analphabétisme et rognés par la pauvreté et la précarité, se fichent éperdument de cette catégorisation de leur société et sont infiniment éloignés des soucis des modernistes ou des conservateurs, ayant bien d’autres problèmes, plus immédiats.

Et puis il y a eu une autre histoire ce ramadan, touchante, émouvante et bouleversante… celle de Fouzia Demiani, cette dame présentant un handicap mental et qui a été mise enceinte par son neveu, selon les résultats des analyses policières. Cette victime est venue s’ajouter à toutes les autres, souffrant d’handicaps divers et ayant des besoins spécifiques, abandonnées et négligées, et qui se trouvent ensuite exposées aux sévices de prédateurs à visage humain. Cette histoire a montré, une fois encore, une fois de plus, les tares de ce pays qui laissent ses enfants diminués être victimes de leur pauvreté et de la misère de leurs proches et parents, sans la moindre assistance et avec absolument aucune aide. L’histoire de Fouzia a montré en grandeur nature le défaut d’existence de mécanismes ou d’institutions de défense de ce type de population dans un pays qui a lancé voici plusieurs années une initiative géante de développement humain, mais dont nous attendons toujours les effets et les résultats. Le cas de Fouzia et son malheur auront également établi la puissance des réseaux sociaux qui auront été en mesure de mobiliser les aides


et les et mécènes, ce qui a permis d’offrir au final à Fouzia un logement, avec son ameublement et une rentrée financière régulière.

Mais si ces réseaux ont leur face positive et leur influence positive, il existe d’autres cas où ils deviennent un tableau d’infamie pour ceux dont les noms y sont portés. Et c’est notre troisième histoire, celle du journaliste égyptien d’al Jazeera Ahmed Mansour. Aussi, et après que ce dernier ait fait part de sa nervosité et de son immense colère en traitant ses collègues marocains de tous les noms et en leur accolant tous les adjectifs de caniveau, sa vie personnelle a été étalée sur le net et essentiellement sur Facebook. Mais cela a engendré aussi pour cette dame qu’on a présenté comme étant, ou ayant été, sa femme toutes sortes de commentaires, vrais ou non, qui ont fortement atteint et cette dame et sa famille. Ceci s’est produit alors qu’en réalité, ce n’était pas l’épouse qui aurait dû intéresser les commentateurs, mais bel et bien Ahmed Mansour et son manque de délicatesse, pour ne pas dire plus… Et ces commentateurs appartiennent, ou disent appartenir, aux partisans de la liberté absolue dans les relations sociales et dans l’habillement. Ce que je veux dire ici est que c’est cette dame qui aurait dû être défendue, cette dame dont le père a révélé qu’elle souffre d’une maladie grave qui, à défaut de susciter la solidarité de tous, aurait au moins pu lui valoir une certaine neutralité dans le traitement de son affaire.

Ces trois histoires sont une parfaite illustration de la stratégie du divertissement, dans le sens du détournement de l’attention, qui est aujourd’hui portée par les réseaux sociaux, désormais à même de s’approprier tout fait divers et en faire une question d’opinion publique. Dans la première affaire, les gens se sont inquiétés des porteuses de jupes mais personne ne s’est intéressé au sort des femmes voilées qui se trouvent privées, du fait de leur tenue vestimentaire, de leurs droits à l’emploi ou aux études. Dans le second cas, les populations se sont extasiées de voir que Fouzia a eu un logement et de savoir qu’il est meublé, mais qui s’est posé cette question : Qui est donc responsable de la misère de Fouzia, cette misère qui l’a conduite à devenir une proie livrée à son neveu ? Et pourquoi tant de milliers de personnes aux besoins spécifiques se trouvent-elles abandonnées et négligées, livrées à la précarité hideuse et à l’exploitation abjecte, privées de toute protection que l’Etat devrait leur assurer ? Et puis, pour la troisième et dernière, affaire, je vous pose la question, du fond du cœur… Pourquoi l’idylle d’un homme et d’une femme, mariés ou divorcés, devient-elle une matière si médiatique et aussi  médiatisée ?

Al Massae