Peu importe qu’un chat soit noir ou blanc, l’essentiel est qu’il attrape la souris, par Taoufiq Bouachrine
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- 19 juillet 2015 --
- Opinions
Cette semaine, à Salé, Abdelilah Benkirane soliloquait sur la mise en œuvre de la constitution par le gouvernement… Il a ainsi expliqué avoir un jour parlé à feu Abdallah Baha sur l’importance de la supervision des élections par le chef du gouvernement, en sa qualité de chef de l’administration marocaine, après qu’il ait constaté que le ministère de l’Intérieur avait une certaine propension à rééditer les schémas du passé en matière de gestion électorale.
L’ancien ami de Benkirane, le ministre d’Etat défunt Baha, avait approuvé la vision du chef du gouvernement quant à ce dossier qui est le plus sensible de la vie politique au Maroc. Il s’en était alors ouvert au ministre de l’Intérieur Mohamed Hassad, au nom d’Abdelilah Benkirane, lui affirmant que les élections devaient désormais être gérées au niveau de la présidence du gouvernement. Hassad lui avait suggéré de consulter le roi Mohammed VI, avant de prendre une décision définitive sur la question. Peu de temps après, Benkirane avait reçu un appel du roi qui l’avait chargé de gérer l’ensemble du processus électoral, puisqu’il était le chef du gouvernement, et donc aussi de l’administration.
Fort bien… Et que s’est-il passé ensuite ? Benkirane poursuit, lors de cette même conférence de presse : « Hassad est venu me voir pour me signifier que Sa Majesté avait décidé qu’il revenait au chef du gouvernement de conduire les affaires électorales et que nous n’avons plus qu’à obéir aux ordres de Monseigneur (Sidna en VO). Et ainsi, dès la première réunion, les différentes parties concernées, chefs de partis en tête, s’étaient retrouvées au siège de la présidence du gouvernement et non au ministère de l’Intérieur ».
Très bien, encore une fois, et alors, cher M. Benkirane, la suite ? Avez-vous pris en charge l’ensemble du dossier ? Avez-vous conduit les tractations et négociations avec les partis ? Avez-vous veillé à revoir le corpus juridique qui encadre les opérations électorales ? Avez-vous fait grâce aux Marocains de cette chose appelée « listes électorales » qui ne regroupent que la moitié des électeurs en âge de voter ? Avez-vous imprimé votre empreinte sur le mode de scrutin, le découpage électoral, les garanties d’intégrité de l’opération par la lutte contre l’argent de la corruption des électeurs et des candidats, entre autres points que votre parti n’a jamais cessé de revendiquer ?
Voici ce que fut la réponse de M. Benkirane : « La présidence du gouvernement ne dispose pas de l’appareil administratif et logistique qui lui permettrait de veiller sur l’ensemble des détails électoraux. Je ne peux véritablement superviser le scrutin, avant, pendant et après, car cela nécessite un dispositif lourd et expérimenté… et puis, pourquoi ne serait-ce pas l’Intérieur qui gèrerait tout cela ? »… Le chef du gouvernement va encore plus loin en précisant que « je peux vous dire même plus : je n’ai pas imposé mon point de vue sur bien des questions, comme par exemple celle des listes électorales. Vous savez que j’ai toujours milité pour les supprimer et les remplacer par celles des cartes d’identité nationales. Mais quand le ministre de l’Intérieur m’a informé que la chose était impossible du fait des 27 millions de cartes qu’il est très difficile de trier en en distrayant les agents porteurs d’armes de la fonction publique, les détenus
et les morts, je me suis rendu à l’évidence »…
Et notre chef du gouvernement, pour pimenter son propos, a cru bon d’ajouter : « Considérer que le ministère de l’Intérieur est comme les autres est une grave erreur. Ce département restera ainsi au présent et même à l’avenir, exactement comme il l’a été dans le passé. Le ministère de l’Intérieur est la mémoire de l’Etat ».
Et ainsi donc, le chef du gouvernement n’a pu apporter aucun élément sérieux qui montrerait une mise en œuvre démocratique de la constitution…c’est même plutôt l’inverse qui est vrai. L’exemple qu’il a cité est à l’opposé de ce à quoi il voulait en venir car bien qu’il ait osé s’aventurer et réclamer la supervision des élections, contrairement à ses prédécesseurs qui se contentaient de regarder faire le ministre de l’Intérieur, le résultat est exactement le même : Benkirane ne supervise pas élections, ni techniquement ni politiquement.
A ce propos, les Chinois ont un dicton : « Peu importe qu’un chat soit noir ou blanc, l’essentiel est qu’il attrape la souris »… et dans cette logique, il ne sert à rien que le chef du gouvernement ait accueilli en son département et dans ses bureaux la réunion préparatoire du scrutin à venir, ou qu’il ait longtemps palabré et abondamment discouru avec les chefs de partis… non, plus important est le fait que le chef de l’Exécutif laisse une empreinte sur ce processus à venir, qu’il en assure l’honnêteté et l’intégrité, plus la transparence, reflétant ainsi une volonté de fer de la part de l’Etat à aller dans ce sens de ne plus laisser la main libre aux notables, aux « hizbicules » (ou particules de partis), aux intérêts défendus par l’administration, à ce découpage « balkanisant »… comme avant, quoi.
Et puis, si techniquement le ministère de l’Intérieur n’est pas capable de trier les détenteurs des cartes nationales et d’en extraire les agents porteurs d’armes, les détenus et les morts, pourquoi donc le chef du gouvernement chante haut et fort sa compétence, pourquoi le déclare-t-il mémoire de l’Etat, ce que même son véritable fondateur et père Driss Basri n’a jamais eu l’audace de dire ?... les fonctionnaires d’Etat armés sont connus de l’Administration de la défense, et le ministère des Finances détient leurs dossiers et leurs références, de même que les détenus sont soigneusement suivis par l’Administration pénitentiaire ; quant aux morts, c’est le ministère de l’Intérieur qui délivre leurs permis d’inhumer. Avec tout cela, le département de Mohamed Hassad pourrait en vingt-quatre heures, s’il le voulait, établir les listes d’électeurs corrigées et validées selon les cartes d’identité. Pour ce qui est des adresses des gens, qui ne reflètent pas souvent la réalité, on peut trouver une solution bien plus facile que l’ouverture des inscriptions sur les listes électorales, telles que léguées voici fort longtemps par Driss Basri, et toujours en vigueur.
Et donc, si on maintient ces listes, la raison est bien plus politique que technique. De fait, il semblerait que nous nous acheminions vers de nouvelles élections avec les méthodes passées. La constitution est pourtant là, qui rappelle le contexte dans laquelle elle a vu le jour et les espoirs qu’on avait fondé sur elle. Mais la réalité est autre, bien éloignée de ce qui est attendu, certains pensant que les choses sont mieux ainsi…
L’avenir apportera sa réponse.
Akhbar Alyoum