De l’équilibre entre le voile et la jupe, par Rachid Afif
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- 12 juillet 2015 --
- Opinions
Le gouvernement actuel compte quelques femmes voilées, de même que le parlement en abrite plusieurs dizaines. Le voile est considéré comme un élément vestimentaire traditionnel, comptant parmi tant d’autres dans les tenues et habits des femmes marocaines, dans tous les domaines et quelle que soit leur catégorie sociale.
En dehors de la composante religieuse ou personnelle dans son port, le voile suscite un débat sociétal important, du fait que nous vivons dans une société arabe et musulmane plutôt conservatrice, où le roi est commandeur des croyants et où la religion est une composante essentielle de notre identité nationale. Cette réalité qui définit la relation entre la société et le hijab comme étant naturelle et apaisée nous trompe parfois et nous cache des tabous se rapportant à cette pratique, tantôt vestimentaire, tantôt religieuse.
Mon présent propos sur le tabou du voile coïncide avec ce débat actuel, vaporeux et largement médiatisé, que nous vivons depuis des semaines dans l’affaire de la jupe d’Inezgane et du fameux procès qui s’en est suivi. Je voudrais en passant exprimer mon entière solidarité avec les deux jeunes filles qui vivent dans un pays qui se prétend libre et se présente comme tel ; à partir de là, il leur appartient de se vêtir comme bon leur semble, dans le cadre de ce que la société a défini comme bienséant.
Mais, dans le même temps, je voudrais exprimer aussi ma solidarité avec cette jeune fille, voilée, qui a obtenu la moyenne la plus élevée au baccalauréat et qui, après avoir passé les concours préparatoires à l’intégration d’une des plus réputées écoles supérieures, l’Ecole Mohammedia des Ingénieurs en l’occurrence, pourrait en être privée du fait de son voile. En effet, il se trouve que tout récemment, des groupes de facebookiens ont évoqué une question aussi sensible que grave si elle se confirme, et qui porte sur l’interdiction du voile imposée par cet établissement aux élèves filles, quels que soient leurs résultats scolaires. Et le silence de l’Ecole Mohammedia accentue davantage le malaise car, comme le veut la sagesse populaire, qui ne dit mot consent… L’opinion publique gagnerait à être fixée sur cette question, pour savoir si, effectivement, il existe dans le pays des institutions qui refusent officiellement et réglementairement des élèves voilées.
S’il s’avère que, de fait et de coutume, cette école refuse les filles portant un hijab, alors cela serait une discrimination claire et explicite à l’égard des femmes en général et des voilées en particulier. Et si cette interdiction est clairement mentionnée dans le règlement intérieur de l’établissement, alors les choses en seraient bien plus graves car le texte juridique le plus élevé, la constitution, garantit à toutes et à tous la pratique religieuse et la totalité de leurs droits, dont celui de se vêtir de la manière qui leur sied.
Pour que les lecteurs ne pensent pas que cette interdiction de voile ne s’applique pas seulement à cet établissement réputé ou à
d’autres du même genre, je pourrais citer le cas d’une autre institution où il est difficile à une femme voilée d’apparaître en public. Il s’agit des télévisions nationales… et nous nous rappelons du cas de cette journaliste de 2M qui avait souhaité se voiler la tête et que la direction de la chaîne avait, en réaction, décidé de voiler à la vue des téléspectateurs dans les émissions et les journaux télévisés qu’elle avait coutume de présenter. Est-il normal que pareilles choses se passent, et que nous les acceptions, dans des organismes supposés publics ? Les Marocains, qui paient leurs chaînes de télévision de leurs deniers, n’ont donc pas le droit de regarder des femmes voilées à l’écran, de la même manière qu’ils peuvent voir d’autres qui ont choisi d’autres parements, ce qui est au demeurant leur plein droit.
Si nous sommes disposés à défendre les libertés des dames qui souhaitent porter une jupe et si nous sommes emportés par la volonté de chanter la gloire des Marocaines des années 50 et 60, libres et libérées, alors prenons fait et cause également pour ces femmes qui ont été privées de leurs droits et de leurs emplois pour avoir voulu passer un voile sur leurs têtes.
Ai-je besoin, par ailleurs, de rappeler ce tabou du voile dans bien des établissements privés, essentiellement dans le secteur bancaire ? Nous savons fort bien que le hijab est un obstacle majeur pour toutes les candidates à l’emploi dans ce genre d’entreprises et elles sont nombreuses celles qui vous diraient que leurs candidatures d’emploi ont été ignorées pour le simple fait qu’elles apparaissent en photo avec un voile, de même qu’elles sont très nombreuses aussi les femmes qui vous raconteraient que lors des entretiens d’embauche, on leur a bien souvent demandé si elles étaient disposées à retirer leur voile pour occuper certains postes ou certaines fonctions. Les anecdotes et histoires personnelles pullulent dans ces cas…
Pour cela, il faut absolument casser le mur du silence qui s’est érigé pour la question du voile dans les milieux des études et dans le monde du travail.
Le modèle démocratique, tel que connu dans les sociétés occidentales, est fondé sur la liberté de religion et de pratique religieuse. Et si la tenue vestimentaire relève de cette pratique dans certaines sociétés, et en particulier les pays musulmans, alors il faut éviter que le hijab ne devienne un obstacle pour la réalisation des ambitions et des rêves de celles qui souhaitent le porter.
En effet, et à ma connaissance, nous ne vivons pas en France où la laïcité est considérée comme une valeur fondamentale de la vie en société… Non, nous sommes au Maroc, un pays qui aspire à bâtir un modèle intermédiaire et modéré dans une région secouée par toutes les formes du fondamentalisme. Ce modèle ne saurait prospérer que si l’on crée l’équilibre et la juste mesure entre le voile et la jupe.
Al Massae