La mort n’est pas une statistique, par Sanaa Elaji
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- 29 juin 2015 --
- Opinions
Les infos du matin rapportent qu’un jeune Palestinien a été tué. Alors je me suis mise à penser à son cas… Où allait-il ? Quel était son programme de la journée ? J’ai également eu une pensée pour ses parents : comment allaient-ils passer les premiers jours du ramadan ?
Chaque jour, nous apprenons que des gens, des dizaines de personnes sont tuées dans des pays comme la Libye, la Palestine, l’Irak, la Syrie ou encore le Yémen. La mort est devenue une statistique, une simple et effrayante litanie de chiffres. Comment donc des existences, des rêves, des projets peuvent-ils se transformer en chiffres froids comme la mort, des chiffres que nous enregistrons avec une certaine indifférence, avec une immense insouciance, occupés à nos activités et préoccupés par nos soucis ?
Ce jeune Syrien tué voici quelques mois… Il avait une fiancée à Alep ; ils avaient projeté d’acheter une maison avec jardin, et ils voulaient faire trois enfants.
Ce Yéménite à la peau mate. Il avait une fillette qu’il chérissait, espiègle, joueuse, qu’il rêvait de voir grandir devant lui, qu’il aspirait à voir instruite. Diplômée. Responsable quelque part, de quelque chose. Mener une vie normale, avec tout le succès qu’il lui souhaitait. Il est mort, sans n’avoir rien vu de tout cela, laissant la petite effrayée, effarée, égarée.
Et cette jeune Palestinienne, partie rendre visite à sa famille quand son époux a été tué dans un raid aérien. Que dira-t-elle, cette dame, à l’enfant encore dans son ventre qui, une fois né et grandi, la questionnera sur son père ? Comment lui expliquera-t-elle que son père est né sous les bombes, qu’il a vécu sous les décombres des bombes et qu’il est mort dans l’explosion d’une bombe ?… et que tel sera son sort à lui aussi, vraisemblablement…
Un Libyen est revenu chez lui, mais n’a plus trouvé de chez lui qu’un amas de décombres, sous lesquels
étaient ensevelis sa mère, sa femme, ses enfants, et ce qui lui restait de vie et de raison…
Cette jeune Irakienne est passée de vie à trépas, sans même s’en apercevoir, alors qu’elle cheminait vers la maison de sa grand-mère… Elle n’étudiait plus car la vie s’était arrêtée dans sa contrée. Elle rêvait de devenir une auteure à succès qui sillonnerait le monde pour parler de l’amour et de sa patrie. Elle ne le sera pas.
Et cette femme syrienne, que j’ai vue de ma voiture alors qu’elle mendiait à un feu rouge à Rabat. Combien de drames a-t-elle vécu et combien de tragédies a-t-elle traversé sur son chemin d’Alep ou de Damas pour arriver à Rabat ? Comment vivait-elle avant d’en être réduite à solliciter la charité des gens au Maroc ? Combien de membres de sa famille a-t-elle perdu ? Comment gérait-elle la rentrée des classes de ses enfants, comment passait-elle ses ramadans, comme recevait-elle les nouvelles de la mort d’un parent, de la noce d’un neveu ou de la naissance d’un enfant ?...
J’essaie d’imaginer les existences de tous ces gens, avec leurs grands et leurs petits détails, leurs chagrins d’amour et les joies de leurs vies. Que faisaient-ils la veille de leur départ vers l’exil ou de leur grand départ, tout court ? Qu’auraient-ils voulu dire à leurs êtres chers avant d’être surpris par les bombes, par l’horreur, par la mort ?
A tous ceux-là, à toutes les autres, je présente mes excuses et devant elles, eux, je m’incline… je me mortifie de les transformer en chiffres impersonnels… je me lamente à la pensée de tous ces boulevards de leurs cités, devenus rouges de leur sang et de celui de leurs proches, parents et amis… Je m’en veux de vivre ma vie d’insouciance alors que vous avez été surpris par cette hideuse Faucheuse qui surgit sans prévenir, qui emporte vos vies et ruine vos joies, à tour de Faux…
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