Les filles d’Ayouch, par Noureddine Miftah
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- 28 mai 2015 --
- Opinions
Moi non plus je n’ai pas vu « Much loved » de Nabil Ayouch mais, à mon tour, j’exprimerai mon opinion sur cette tempête qui s’est abattue ces derniers jours sur le Maroc… je le ferai pour la simple et bonne raison que les défenseurs de ce film et de son réalisateur ne l’ont pas eux-mêmes visionné. Tout le monde est donc logé à la même enseigne.
Pour être honnête, je précise également que ce commentaire ne concerne que les cinq extraits de ce film qui ont été soigneusement distillés. De même que le réalisateur s’est donné le droit de laisser paraître sa quintuple marchandise, il nous appartient de la commenter.
Alors, de prime d’abord, replaçons les choses dans leur dimension naturelle. Nous sommes là à discuter une œuvre qui se dit artistique et il est parfaitement du droit du réalisateur de créer ce qu’il a créé comme il aussi du droit de tous de critiquer, applaudir, maudire ou défendre avec la passion et l’acuité souhaitées… mais au final, il ne s’agit que d’un film cinématographique et non pas d’une cause nationale qui appelle à des débats enflammés où les uns dégainent leurs armes et les autres fourbissent les leurs.
Et si M. Nabil Ayouch ou ceux qui sont en charge de la commercialisation de son film voulaient que les choses en restent au niveau d’une fiction artistique aspirant à faire passer un message, ils auraient dû faire montre de plus de retenue avant d’user des dernières techniques de marketing pour susciter l’intérêt et attirer l’attention sur la production et, par là-même, faire monter les crispations jusqu’à atteindre, bien malheureusement, ces sommets de petitesse et de grossièreté que l’on voit aujourd’hui.
Et si, moi, je devais débattre de ces cinq extraits judicieusement filtrés, alors je dis à ceux qui les ont également visionnés qu’ils sont médiocres, pauvres, obscènes et futiles. Je dirai même plus, en mettant les défenseurs d’Ayouch au défi de publier sur leurs colonnes les termes utilisés par les acteurs. Les journaux ne sont-ils donc pas des produits qu’il appartient à tout un chacun d’acheter ou non… alors publiez ces dialogues au lieu de les défendre avec cette fougue teintée de modernisme de façade, aussi abondant dans la forme que réactionnaire dans le fonds.
Les extraits diffusés évoquent l’acte de chair, parlent du petit organe sexuel du Saoudien et du séant des prostituées, le tout en darija marocaine ; or le problème est que la darija usuelle n’emploie habituellement pas ces mots crus sur le sexe, sauf à se faire vulgaire et grossière, et c’est pour cela que je lance le défi de publier ces termes qui ne sont jamais employés au quotidien par le Marocain lambda, moderne soit-il ou conservateur ou fondamentaliste ou athée ou autre, jamais à la maison, jamais au travail et jamais avec les amis sauf dans des cas de « déconne »…
Quant aux francophones, ils n’ont aucun problème car leur langue permet de parler de sexe comme la langue arabe classique qui, dans certaines œuvres de renom, avait permis d’aller encore plus loin que n’a été le film d’Ayouch. Ces francophones ne vouent que mépris à l’arabe et la darija, autant qu’ils en manifestent pour ceux qui emploient ces deux langues, et même leurs ascendants. Ces gens estiment que ces deux langues arabes, classique et dialectale, sont celles des « petites bonnes » et du gardien de voitures, comme cela avait été clairement démontré dans le film « Marock » de Laïla Marrakchi.
Pour ce qui concerne la société et leurs compatriotes que ces francophones ont lésés avec une éducation et un enseignement qu’ils ont destinés au populo (« bouzebal » dans le texte) après les avoir ruinés, condamnés à l’indigence, à la déchirure linguistique et à la schizophrénie, ils les toisent de haut comme ils ont toujours fait… et voilà qu’aujourd’hui ils leur assènent cette langue obscène qu’ils reprochent aux gens d’employer, leur disant que « voilà votre réalité pourrie » ; et si ces mêmes gens manifestent leur mécontentement et leur mauvaise humeur, alors ils sont immédiatement
traités de « daechistes » partisans de « l’art propre » !
Chers Messieurs, si les Marocains ont aujourd’hui déserté les salles de cinéma, cela ne signifie pas pour autant qu’ils soient « cinéphobes » car ils consomment en grande quantité et goulument les productions internationales, grâce en soit rendue au piratage qui a rapproché Hollywood et Bollywood des citoyens, lesquels se délectent de visionner les grands films oscarisés et titrés ici, là et ailleurs. Aucun de ces nouveaux critiques de la 25ème heure ne peut leur faire la leçon sur les écarts et différences entre la fiction et la réalité, entre l’imaginaire et l’ordinaire, entre le cinéma et la vie. Ces productions étrangères sont une chose, et faire commerce du langage ordurier en est une autre, car à travers les cinq extraits cités, nous avons en fait et en réalité un commerce de prostitution, de la même nature que cette prostitution que le film de Nabil Ayouch a œuvré, ou tenté, de mettre à l’écran… comme si nous étions dans le besoin d’avoir et de voir ce qui a été présenté comme un miroir dans lequel nous nous verrions dans notre réalité et où nous verrions notre réalité que nous essaierions de masquer et de dissimuler.
La prostitution est le plus vieux métier du monde et les Marocaines, comme les autres femmes des autres pays du monde, sont mères, sœurs, militantes et autres, et certaines ont été conduites par le sort à exercer ce métier de chair, à l’instar des Ukrainiennes, des Russes, des Françaises…
Et donc, il ne s’agit pas là de cacher la prostitution ou l’homosexualité, pas plus que tout cela ne porte sur une peur du corps ou du sexe. Mais dans toutes les langues de la terre, quand on dérape et qu’on use et abuse du niveau minimum des valeurs au nom de la liberté, alors on tombe, on dégringole de l’art où l’on voudrait être au caniveau où l’on se retrouve. Sinon, que l’on nous explique la différence entre le cinéma normal et le cinéma pornographique ? Est-ce, parce que les gens consomment de la drogue et que nous condamnions cette pratique, nous devrions nécessairement être qualifiés d’hypocrites ?
Aussi, et dans l’attente que nous visionnions le film de M. Nabil Ayouch, après avoir exprimé notre avis sur ces extraits dont il gratifié les Marocains, il m’appartient et me reste à donner un avis personnel en ma qualité de consommateur d’art sur ce que fait et qu’a fait ce jeune réalisateur… Ainsi, et en dehors du privilège qu’il a eu sur d’autres de ses confrères, et surtout quand en 2011 il avait eu le marché de « cinéma industry » sans appel d’offres et qu’il avait pu grâce à cela produire une tonne de films pour des centaines de millions de DH d’argent public, il était apparu que M. Ayouch ne vouait que mépris aux comédiens marocains. Je serai encore plus précis en disant qu’il n’a que dédain pour le concept même d’acteur. Ainsi, et en effet, dans tous ses films, il va chercher des inconnus, puisés dans leur réalité quotidienne, qu’il transforme en acteurs, comme si ceux qui ont inventé ce métier étaient des abrutis. Et cette bizarrerie, on ne peut la retrouver que chez son frère Hicham, réalisateur lui aussi, qui a inventé à son tour un autre concept aussi étrange, et qui est celui du film sans scénario. Ce monsieur se réveillait un beau matin et se mettait à tourner, le plus spontanément du monde, et le plus grave est qu’un de ses films s’est un jour retrouvé parmi les sélections du Festival de Marrakech de cinéma !
Mais c’est là le business de ces gens, comme il est de notre droit de demander, si possible, de cesser de brandir à notre face la liberté de création comme si nous étions des benêts… En effet, le cinéma n’est pas uniquement un reflet de la réalité mais une sorte d’art de la vie qu’il enrichit transversalement. Or, cela ne saurait être fait tant que cet art est investi par la mystification.
Al Ayyam