« L’art illicite », par Soulaïmane Raïssouni

« L’art illicite », par Soulaïmane Raïssouni

La plupart des « artistes » qui disent « renoncer à l’art » ou promettent une telle chose à leur public, sont les mêmes qui présentent le plus souvent une face obscure dans leurs prestations qui sont pourtant supposées refléter le Beau !  Il n’y a pas une seule autre région au monde, en dehors de celle du monde arabe et islamique, où l’artiste se fait violence pour contenter son public, alors même que la contrainte n’existe même pas en religion !

Ainsi, dans notre espace arabo-islamique, et uniquement là, on trouve des artistes qui affirment que leur seul vrai projet d’avenir qui les occupent et les préoccupent est d’aller vers les Lieux Saints pour se laver, se purifier, faire acte de contrition et prier pour leur rédemption pour tout ce qu’ils ont pu commettre comme péché en chantant ou en tenant un rôle au cinéma…

D’autres renoncent à leur art et montent au front pour tuer des infidèles dans des guerres opposant des musulmans à d’autres musulmans. Après avoir achevé de tuer les belles idées et les valeurs nobles dans l’esprit de nombre de leurs spectateurs, au nom de l’art, voilà qu’ils vont sur le terrain pour tuer, tout court, ces mêmes spectateurs.

Nous sommes en présence d’un grand malentendu… L’art est-il réellement « illicite » ou encore, comme le prétendent bon nombre de cheikhs, il ressemble à cette coupe dans laquelle on peut mettre du licite comme on peut la remplir d’illicite ou, à l’inverse, l’art dispose-t-il de ses propres mécanismes qui outrepassent la logique du licite et de l’illicite pour aller vers celle de l’objectif qu’il s’assigne, et dans la forme qui, pourrait-on dire, est toujours belle puisqu’elle est artistique ?

Je me suis posé ces questions suite à la polémique née du dernier film de Nabil Ayouch : « Much loved » (Zine lli fik), une polémique qui n’en est encore qu’à ses débuts, après cette plainte déposée en justice par une association qui dénonce l’appel et l’incitation à la débauche avec les gens du Golfe et qui récuse les propos orduriers employés par les comédiennes et qui ont un impact négatif sur les familles et la jeunesse marocaines.

Je ne peux, pour ma part, prendre part à ce débat puisque je n’ai pas visionné le film ; et quand cela sera fait, je me prononcerai selon une approche plus objective que cinématographique tant il est vrai que toute œuvre artistique est d’abord et avant tout conçue dans un sens objectiviste et intellectuel, dans le sens littéral du terme.

Et donc, aujourd’hui, ce qui m’importe est cette réaction de l’héroïne du film, Loubna Abidar, qui a affirmé


lors d’un entretien en marge du festival de Cannes qu’elle envisage dans cinq ou six ans de s’en aller chercher sa rédemption et trouver le salut de son âme. Et pourquoi donc ? « Car je sens que je commets un péché et que je tourmente ma conscience », explique-t-elle.

Et voilà donc que Loubna Abidar s’ajoute à cette cohorte d’artistes qui veulent le beurre et l’argent du beurre, ou l’argent de l’art dans ce monde et le paradis dans l’au-delà… Comme Abdelhadi Belkhayat, avec sa longue barbe, qui remonte sur les scènes de Mawazine, ce festival qu’il avait pourtant dénoncé tant sur le plan politique qu’économique ou encore artistique… Et comme aussi Latifa Raefat qui avait dit un jour qu’elle allait abandonner l’art pour contenter Dieu mais qui s’était remise à chanter pour satisfaire le Prince…

Loin de tout jugement de valeur sur le film d’Ayouch, le diagnostic d’Abidar ou les chansons de Belkhayat ou de Raefat ou encore de Daoudiya, posons cette question : Comment donc un artiste qui honnit son art, qui veut en revenir, s’en purifier et en faire amende honorable, peut-il donc contribuer à porter haut le goût artistique de son public et l’idée que ce même public se fait de son art ? Loubna Abidar, en affirmant à ses spectateurs qu’elle compte faire acte de contrition après avoir incarné une professionnelle du  sexe dans le film d’Ayouch, laisse entendre qu’il n’existe guère de différence entre l’actrice et celle dont elle joue le rôle, entre la « comédienne » et la « prostituée ».

J’ai placé des guillemets autour des deux mots « comédienne » et « prostituée », comme je l’avais fait au tout début de cette chronique pour « artistes », car mon propos est de montrer que le problème ne consiste pas tant dans l’art que dans ce type d’artistes qui se sont retrouvés, un jour, subitement, dans des conditions particulières, plongés dans le monde de l’art – comme ces professionnelles du sexe se sont retrouvées dans le monde de la prostitution – pour le simple fait qu’un compositeur ou un réalisateur a décidé qu’ils/elles avaient une voix ou un corps qui les habilitent à cela. Et, plus tard, et au lieu que ces artistes ne travaillassent à perfectionner leur art, ils se sont contentés de baisser la tête de tendre le bras à celui de ces compositeurs ou réalisateurs qui paierait le plus… Un peu comme ces poètes qui se sont vendus au plus offrant…

Et c’est pour cela que tous ces artistes ou supposés tels se retournent, le jour venu, contre leur art et disent, la main sur le cœur : « Ce que nous faisions était un art illicite ».

Al Massae