Avortement, renseignement et amour interdit, par Noureddine Miftah

Avortement, renseignement et amour interdit, par Noureddine Miftah

Trois thèmes méritent d’être visités afin de contribuer à en éclaircir les contours et aussi à la réflexion pour leur interprétation car, comme on dit, de la discussion jaillit la lumière.

1/ Et de fait, les discussions ont jailli entre les modernistes et leurs adversaires conservateurs au sein de notre société autour de la question vitale de l’avortement, et les débats ont dépassé le thème en lui-même pour s’étendre à d’autres sujets plus profonds, enrichissant la réflexion en ces temps de déliquescence politique et de rabaissement du discours de nos personnels politiques. Parmi ces questions, celle de savoir si le corps est propriété de l’individu ou si, à l’inverse, il doit en prendre soin et agir comme le lui a ordonné son créateur, ou encore s’il existe une suprématie du droit positif sur le droit divin, ou enfin si la laïcité est antagonique avec la religion, ou non… et bien d’autres sujets de débats qui établissent l’écart entre ceux que l’on désigne comme conservateurs et les autres, qualifiés de modernistes.

Ces questions sont les mêmes qui ont prévalu dans les discussions autour du projet de Code pénal et certaines de ses dispositions comme la liberté sexuelle, la rupture publique du jeûne durant le mois de ramadan, les crimes d’honneur… Mais l’avortement, lui, est arrivé au plus haut niveau de la pyramide constitutionnelle et a connu l’implication du roi, non pas en raison du fait que le conflit entre modernistes et conservateurs en soit arrivé à scinder la société en deux camps rivaux bien distincts comme cela s’était produit du temps des discussions sur le Code de la famille, mais parce que l’avortement a basculé en question de santé publique avec des chiffres aussi effarants qu’effrayants. Et cette affaire a été sublimée par une émission d’une chaîne de télévision française qui a eu la tâche facilitée par le Pr Chraïbi, connu pour son combat contre l’avortement clandestin, et qui a été démis de ses fonctions avant qu’une réconciliation n’ait lieu et qu’un débat national ne se tienne avec la participation de tous les courants de la société.

En fin de compte, c’est le roi qui a agi en mettant en place une cellule de réflexion regroupant les ministres de la Justice et des Affaires islamiques ainsi que le président du Conseil national des droits de l’Homme et ayant comme mission de soumettre au souverain des recommandations après de larges concertations impliquant tous les concernés. Cette démarche a abouti à maintenir l’interdiction de l’avortement comme étant la règle, mais avec les trois exceptions connues et reconnues que sont les cas de viol et d’inceste, la malformation fœtale et les dangers encourus par la mère en cas de grossesse problématique.

Etranges cependant ces voix qui se sont élevées, comme celle de la militante Khadija Rouissi qui s’en est allée proclamer que les obscurantistes avaient remporté la bataille. Mais nous ne sommes pas dans un match de football, il s’agit là d’une question sociétale d’importance qui doit être gérée au mieux des intérêts de tous. En effet, nous ne pouvons pas défendre les libertés des actes sexuels consentis sans soutenir la thèse du consentement au sein de la communauté à cette phase cruciale de législation.

Il est vrai que les valeurs peuvent paraître par moments antagoniques et que la société peut présenter de signes de schizophrénie ou d’hypocrisie générale. Or, cette hypocrisie ne saurait être traitée par la seule loi, mais aussi et surtout par la pédagogie, l’éducation, la sensibilisation et une sérieuse volonté politique de créer un sens citoyen, loin de toute utopie et encore plus loin de comportements politiques parfois arriérés… En effet, une partie non négligeable de ceux qui se proclament modernistes relèvent de chapelles politiques anciennes aux pratiques absolutistes, et qui


ne laissent d’autres choix aux populations que deux solutions dont l’une est encore plus mauvaise que l’autre, à savoir ou l’autocratie ou l’obscurantisme !

Mais ce que l’on peut globalement dire est que nos modernistes ne peuvent ni ne doivent compter sur le roi pour qu’il fasse le travail pour eux, ce même roi qui a déjà dit qu’il ne saurait autoriser l’illicite ou interdite le licite. Or, il se trouve que les champs de délimitation du licite et de l’illicite sont très vastes… Et alors, il appartient à nos amis d’aller au devant de la société pour la convaincre de leurs positions et cesser d’invectiver les conservateurs qui, eux, ont su amener les populations à épouser leurs thèses ; de même qu’il appartient aussi aux modernistes de se poser en modèles et non de mettre en avant des profils plus que grillés aux yeux des Marocains. Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra remporter la bataille du progrès qui prend aujourd’hui, il faut le reconnaître, un tournant affligeant.

2/ On remarquera que personne n’a contesté la désignation du directeur de la DST Abdellatif Hammouchi à la tête de la direction générale de la police nationale. Cela provient du fait que les menaces terroristes qui pèsent sur ce pays et que l’efficacité de la réaction des autorités après les attentats de 2003 ont montré que la sécurité du Maroc est entre de bonnes mains.

On peut ajouter à cela que les services sont passés d’une phase où leur évocation évoquait invariablement la torture, les enlèvements et autres disparitions à une autre où la loi a pris ses droits, avec l’émergence au grand jour du Bureau central des investigations judiciaires et le satisfecit affiché de par le monde pour le travail et l’action de la DST dans la lutte antiterroriste. Et tout cela a participé au fait de penser résolument que la sécurité ne pourrait jamais être meilleure que quand elle est inscrite sous le signe de l’efficience.

Tout cela est vrai, mais tout aussi vrai que des questions qui peuvent se poser comme par exemple celle de mettre entre les mêmes mains la police ordinaire de la circulation et de la criminalité de droit commun d’une part et, d’autre part, la sécurité nationale qui est une autre affaire, un autre monde, avec des moyens et des personnels différents. Et puis, était-il vraiment utile de transformer le renseignement en service ordinaire et de lui ôter son aura et son mystère, deux éléments importants dans le travail secret et dans l’efficacité des organismes de sécurité.

La direction nationale de la police nationale a connu des changements de toutes les natures, passant du civil au militaire, de l’enfant de la maison à l’homme du renseignement, et voilà qu’aujourd’hui nous inaugurons une autre phase de l’existence de cette direction, avec un espoir d’en arriver à la conclusion, plus tard, que cette phase aura été dans l’intérêt du pays et de ses citoyens.

3/ J’estime à titre personnel que l’affaire de Lahbib Choubani et Soumaia Benkhaldoune s’est honorablement achevée, et je pense que ces deux ministres, que les réseaux ont appelé « le couple » et qui ont choisi de démissionner sous la pression de l’opinion publique et des médias, et bien qu’ils n’aient rien commis de répréhensible, méritent d’être salués. Ces deux personnes ont montré aux ministres à venir que désormais les erreurs et/ou les mauvaises appréciations de faits et gestes peuvent leur valoir leurs fonctions. Il appartient donc maintenant aux deux amoureux d’aller passer leur lune de miel à Istanbul par exemple, puis de poursuivre par une Omra pendant le mois de ramadan, et enfin de revenir sans que personne ne s’intéresse plus à eux, sachant que de toutes les manières tout le monde pensera à eux car leur affaire sera entrée dans l’histoire de ce pays.

Al Ayyam