Rêves avortés…, par Sanaa Elaji
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- 19 mai 2015 --
- Opinions
Je voudrais revenir cette semaine sur cette question de l’avortement et ses dernières évolutions, en reparlant de la dernière sortie de Benkirane…
Pourquoi revenir sur ce sujet déjà traité ? Parce qu’il n’est définitivement pas admis que le chef du gouvernement et son ministre de la Justice incitent au meurtre. Oui, c’est là la seule lecture de ce qui s’est produit la semaine passée : en effet, justifier le crime d’honneur à la manière de Benkirane et de Ramid est une véritable incitation au meurtre. Je n’admets ni ne comprends toujours pas cette question très personnelle lancée par le chef du gouvernement à Mohamed Sebbar : « Que ferais-tu si tu trouvais ta femme au lit avec un autre homme ? », de même que je ne comprends ni n’admets cette réaction en forme de surenchère de Mustapha Ramid : « Grâce à Dieu, les Marocains ne sont pas aussi impassibles que toi ».
A mon tour, maintenant, d’interroger M. Benkirane, dans le même style et selon la même logique que les siens : « Que feriez-vous, Ssi Benkirane si vous surpreniez votre épouse au lit avec un autre homme ? »… « Quelle serait votre réaction, Ssi Ramid, si vous trouviez vos deux épouses, ou l’une d’elle, au lit toujours, avec quelqu’un d’autre que vous ? ». Allez-vous tuer les amants ? La question vous paraît-elle provocatrice ? Offensante ? Méprisante ? Rude ? Cette question serait-elle inappropriée pour vous alors qu’elle serait pertinente pour votre adversaire idéologique ? Nous, Marocains, aimerions vraiment apprendre de quelle façon vous réagiriez dans ces cas-là… Nous souhaiterions savoir ce que vous feriez, exactement de la même manière que nous savons maintenant quelle serait la réaction du secrétaire général du CNDH.
Chers Messieurs, notre insistance se justifie parce que vous semblez croire que le recours à la police, au parquet et à la loi relèverait d’un sang-froid à vos yeux coupable et d’un manque de virilité selon vous blâmable. Alors dites-nous, je vous prie, quelle serait votre attitude si vous trouviez votre épouse dans les bras d’un homme ?
Et dans la foulée des questions, je me demande aussi quelle est cette raison qui empêche l’épouse de Sebbar de déposer plainte contre Abdelilah Benkirane, lequel a eu ces mots pour elle et l’a impliquée dans un débat où elle n’est jamais intervenue… à moins, bien entendu, que l’on considère cette dame comme propriété de son époux, qui déciderait pour elle de ce qu’elle doit, ou ne doit pas, faire…
Je voudrais rapporter ici la question d’un ami : Eût-il été nécessaire que l’ancien époux de Soumaia Benkhaldoune la tuât, en même temps que Habib Choubani, quand les rumeurs sur leur relation étaient apparues, du temps où la première était directrice du cabinet du second, et jusqu’à l’annonce du mariage ? Cela suppose que leur idylle était née alors même que les deux personnes étaient mariées, séparément. Et je ne peux imaginer que l’ancien mari de Benkhaldoune ait un sang-froid si admirable. N’est-ce pas, Ssi Ramid ? Nous comptons bien aller jusqu’à l’extrême limite de nos réactions et il vous appartient, à vous, d’assumer la responsabilité de nos positions.
Ssi benkirane, vous êtes le chef de notre gouvernement. Ssi Ramid, vous êtes en charge de la justice dans ce même gouvernement… Et moi, en ma qualité de Marocaine, et à l’instar de bien d’autres de mes compatriotes, je crois en l’Etat de droit et des lois, et je crois aussi que
seule la loi et le droit peuvent nous garantir nos libertés et nous prémunir de toute injustice. Nous sommes persuadés que notre système judiciaire, avec ses tares et ses défauts, doit être un recours, et que seuls les prédateurs de la jungle et les nations les moins avancées privilégient la violence et la vengeance pour se défendre contre ce qui pourrait les agresser ou ce qu’ils jugeraient comme un acte hostile ou inamical. Cela porte un nom : le désordre, le chaos, et nous, nous refusons ce désordre et nous rejetons le chaos ; nous aspirons, si vous nous le permettez, à mettre en place un système fondé sur le droit et respectueux des lois.
Passons maintenant à cette question de l’avortement. Reconnaissons que nous avons tous reçu une douche froide sur la tête. Nous avons rêvé ; nous avons attendu et espéré une changement radical de la loi. Nous avons pensé que nous allions réaliser une révolution législative qui épouserait notre réalité… Las. La montagne a accouché d’une souris, ou plutôt a avorté les fortes espérances que nous portions en nous.
J’admets volontiers que les résultats des concertations menées ont abouti à un progrès par rapport à ce qu’il y avait avant, mais le progrès est plutôt pâle, mince, ténu, un progrès qui ne change rien à notre triste réalité. Pourquoi donc changer de lois si nous ne les mettons pas en conformité avec les évolutions sociales, voire leur faire précéder et anticiper ces évolutions ? Le Maroc est un Etat musulman ? Certes. La constitution et le quotidien le montrent bien… mais la réalité indique autre chose de plus, que les relations sexuelles hors mariage existent et que les grossesses non désirées existent aussi.
Mais voilà, nous avons décidé que pour l’avortement, nous n’allons rien changer, laissant les choses en l’état. Les très, trop, nombreuses femmes qui avortent en silence et en cachette continueront de le faire, avec tous les risques que cela comporte pour elles. D’autres, aussi nombreuses, ou peut-être plus, garderont un bébé qu’elles n’ont pas désiré ou dont elles ne veulent pas. Résultat ? Dans l’avenir, nous verrons encore et encore tous ces enfants abandonnés, errant dans les rues, s’abrutissant avec toutes natures de drogue, se nourrissant, ou essayant d’ingérer des choses louches directement puisées dans les poubelles sales.
Le problème est là. Il le restera. Nous avons tourné le dos à la réalité, à la vérité. Nous n’avons pas voulu reconnaître à la femme de n’être mère qu’au moment où elle l’aura décidé, et nous n’avons pas voulu admettre que nous ne devons ni ne pouvons persister à faire endosser aux femmes et à leurs bébés la responsabilité de nos contradictions, de nos frustrations et de nos psychoses.
Comment osons-nous contraindre une femme à garder son enfant, au prétexte que cela sauverait la vie de cet enfant, et sachant parfaitement que nous le condamnons à être plus tard un mort-vivant dès lors que la même société qui a exigé sa naissance l’ignorera et le rejettera dès sa naissance. Et comme l’a si bien noté une amie, puisque l’Etat est si soucieux de la vie future des fœtus, pourquoi donc cet Etat n’emploie pas plus tard les personnes nées de père inconnu dans les fonctions sécuritaires et militaires ( à l’exception de ceux qui ont grandi dans des orphelinats ou centres publics) ?
Contradiction, quand tu nous tiens…
Al Ahdath al Maghribiya