Les dénis dans l’affaire Benkhaldoune et Choubani, par Abdallah Damoune
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- 08 mai 2015 --
- Opinions
Les Marocains se sont passionnés, et se passionnent encore, pour l’histoire des deux ministres Soumaia Benkhaldoune et Lahbib Choubani. Mais personne ne sait les raisons profondes, les véritables secrets et ressorts de cette affaire, et non pas les aspects extérieurs que tout le monde suppose et connaît. Il semblerait que les soaps turcs ou mexicains ne suffisent plus, conduisant les gens à s’intéresser à des romances plus réelles et plus affriolantes.
Le plus étrange est que la folle existence de nos ministres et autres responsables recèlent bien des choses, plus attrayantes les unes que les autres, mais c’est très rare que les gens s’y intéressent. Dans le passé récent, nous avons eu des ministres qui, une fois entrés au gouvernement, avaient tôt fait de se débarrasser de leurs épouses pour convoler avec d’autres… il y a même eu des membres du gouvernement, appartenant à la gauche, qui ont savouré les vertus de la polygamie, mais pour eux seulement, pendant qu’ils s’en allaient louer les vertus de la modernité pour la consommation médiatique.
Et puis, il existe d’autres ministres qui mènent leur petites vies secrètes, mais pas tellement discrètes, qui font jaser et qui font pérorer, mais que personne n’ose mettre en Une des gazettes, bien que leur place naturelle doit être là et ailleurs dans les médias ; nous avons encore des gens de pouvoir qui ont fait tellement plus que ce que font aujourd’hui Choubani et Benkhaldoune, mais personne ne s’en occupe ni ne s’en préoccupe… probablement parce qu’on n’ose pas, certainement parce qu’ils ne relèvent pas du gouvernement barbu, ou de sa composante voilée, et très sûrement parce que jamais auparavant un ministre barbu n’a tant aimé une ministre voilée dans un gouvernement islamiste vierge, ou présenté comme tel.
Et puis l’attrait et l’intérêt de l’histoire résident également dans le fait que nous avons là une histoire à l’eau de rose, dans un gouvernement islamiste, entre un ministre marié et une ministre mariée aussi, lui ayant fait vœu de polygamie et elle ayant divorcé puis accepté d’être l’objet de ladite polygamie. Mais cela n’empêche pas que si l’affaire était survenue dans le gouvernement d’Abbas el Fassi, de Driss Jettou ou de n’importe quel autre de tous ceux qui se sont succédés, personne n’aurait remarqué, ni donc moufté.
Il y a eu en effet tant et tant d’histoires de ce genre – et quelles histoires ! – dans d’autres cabinets, mais dont personne n’a soufflé mot, car les mains invisibles qui tirent les ficelles dans des objectifs et des desseins qu’ils sont seuls à connaître n’ont vu aucun intérêt à faire savoir ces amourettes et autres galipettes. Il faut le savoir, il faut le dire, ne sont sues que les histoires d’alcôve dont la médiatisation satisfait des besoins politiques entendus.
En terres sous-développées, les histoires d’amour et de cœur sont plus passionnantes que celles qui parlent de corruption et de vols, de toutes natures… Il existe ainsi des centaines d’histoires savoureuses de voleurs, avec leurs cortèges de rapines, mais
nul n’en cause, comme si cela se passait sur Mars, ou un peu plus loin. Et dès qu’une histoire romantique d’un genre particulier survient, on en fait un feuilleton à épisodes multiples…
Revenons quelques années en arrière, quand des banques nationales plongeaient et que des caisses publiques coulaient… personne ne s’en souciait. La caisse des retraites a failli, la caisse sociale a défailli, mais nul n’a tressailli. Les cœurs étaient enjoués et les esprits toujours allègres, et pourtant pas un sou ne restait dans les caisses de ces caisses. Aucun parallèle n’avait été dressé entre ces organismes qui n’avaient plus un rond et des personnages publics devenant de plus en plus ronds.
Un jour, le feu roi Hassan II avait délivré un discours effrayant dans lequel il avait dit que le pays était au bord de l’apoplexie ou, pour être plus précis, de l’infarctus, et aucun responsable, pas un homme politique n’avait eu le cran de s’en aller interroger le roi sur le pourquoi de cette crise cardiaque d’un pays qui a de tous temps été sous son strict et absolu contrôle.
Et d’autres histoires, bien d’autres histoires qui sont passées au-dessus de nos têtes comme ces nuages d’août ou d’ailleurs… personne ne pipa, nul ne s’interrogea et pas un ne s’en inquiéta, mais pour Lahbib Choubani et Souamia Benkhaldoune, on s’offusque, on fait des O avec les yeux, on fait des Ah avec la bouche, comme si cette romance nous avait ruinés alors qu’en vrai, et nous le savons, elle ne nous concerne en rien.
Mais bon, globalement, il est de plein droit de certaines personnes de se révolter contre cette histoire de deux amoureux sur le tard, car le gouvernement n’est pas spécialement le lieu idéal pour nouer ce type de romances. Cela ne doit pourtant pas nous faire oublier tous ces ministres qui ont raffolé de leurs secrétaires, qui se sont affolés pour leurs directrices de cabinet, et dont personne n’a causé bien qu’ils n’aient pas songé un seul instant à des épousailles.
Là aussi, il faut le souligner, ce qui est permis à un ministre communiste ou socialiste ne saurait être toléré pour un ministre islamiste, et ce qui est accepté pour une ministre libérée, arborant jeans et chemisier ouvert, ne saurait être passé à une ministre voilée. Si Lahbib et Soumaia avaient réfléchi un seul instant avant d’annoncer leur flamme, ils ne se seraient pas enflammés, ni n’auraient été descendus, ensuite, en flammes…
Les peuples, c’est comme des gosses, on peut orienter très facilement leurs préoccupations. Un gamin, vous l’enfermez dans une chambre et vous lui dites de regarder les oiseaux et les poissons, et il les voit, mais puisqu’ils n’existent pas dans cette chambre, il les imagine alors, comme s’il les voyait.
Et c’est ainsi qu’ils nous ont dit de regarder cette belle histoire d’amour fol entre Lahbib et Soumaia, et alors nous avons fait comme ces enfants et nous avons vu, créant le sensationnel dans notre imagination bien que nos sens n’aient rien vu de véritablement exceptionnel.
Al Massae