Le jour où le roi a renoncé au trône pour une femme, par Taoufiq Bouachrine

Le jour où le roi a renoncé au trône pour une femme, par Taoufiq Bouachrine

Cela fait plus d’un mois aujourd’hui que l’affaire dite (pour l’instant) du projet de mariage des deux ministres Habib Choubani et Soumaia Benkhaldoune est devenue publique, puis polémique, avant de passer aux coups bas… et le plus étrange est que le gouvernement, son chef et les deux principaux concernés s’enferment toujours dans un aussi admirable qu’incroyable mutisme…

Tous ceux-là (et elle) se contentent d’observer la boule de neige qui se fait avalanche et qui a submergé les thèmes importants qui concernent les Marocains. L’idylle gouvernementale est devenue LE sujet des médias d’ici et le biscuit à croquer des périodiques et télés d’ailleurs, pas moins de 10 d’entre elles ayant évoqué le sujet et le vénérable quotidien français le Monde y a même consacré sa Une. Quant au nombre de fois où les noms de Choubani et Benkhaldoune ont été cités sur les réseaux, il dépasse l’entendement…

Et malgré cela, personne ne souhaite prendre ce sujet à bras le corps et tout le monde a courageusement enfoui sa tête dans le sable, comme si la chose allait se tasser avec le temps. Cela nuit à l’image du gouvernement et du parti qui le dirige, et cela porte gravement préjudice aux deux protagonistes. Benkirane attendrait-il que d’autres que lui, plus haut que lui, interviennent pour éteindre l’incendie ?

Lors du dernier Conseil de gouvernement, Choubani n’a pu défendre les avant-projets de lois organiques sur le droit de pétition et d’initiative législative, ce qui a conduit le chef du gouvernement à constituer une commission ministérielle pour réviser et repréciser ces deux textes, issus d’un large débat sociétal qui a fait intervenir de non moins larges franges de la société civile. Mais vu que le ministre est dans l’œil du cyclone et au centre d’une tempête, d’un ouragan, il a préféré s’incliner et laisser faire, comme si lui n’avait rien fait…

Avez-vous remarqué que cette histoire de « l’couple gouvernemental » n’a pas connu le sort des informations « people » qui s’évaporent aussitôt après s’être formées, et qu’elle est devenue tellement épineuse qu’elle nécessite désormais un traitement particulier ? L’erreur commise dès le départ par Benkirane est qu’il n’a pas su mesurer l’ampleur de cette affaire, qu’il a estimée comme relevant de la sphère privée d’un ministre qui veut convoler en secondes noces pour égayer sa maisonnée. Le chef du gouvernement n’a pas calculé la dimension politique du problème, le laissant grandir, s’amplifier, pour prendre la forme d’un énorme nœud… jusqu’à ce que le mariage, ou le non mariage, ne deviennent tous deux un piège politique inextricable.

Si le ministre prend une deuxième épouse et si la ministre accepte de devenir cette deuxième épouse, alors cette liaison aussi légale que légitime représentera un gigantesque défi à une opinion publique offusquée par ce comportement déviant dans ce Maroc de la


nouvelle Moudawana, des droits de la femme et des demandes pressantes et insistantes pour la parité… Plus grave encore est cette forte indélicatesse de Choubani, qui a envoyé sa première épouse demander la main de la ministre Benkhaldoune. Un geste d’un homme sans cœur, qui foulé aux pieds le cœur de sa femme et mère de ses enfants. Cette manière de faire est étrange et étrangère à la société marocaine et si certains chefs ou icônes du PJD n’y voient aucune malice juridique ou  morale, c‘est parce qu’ils se sont imprégnés d’une conception salafiste phallocrate du mariage, de la relation des hommes aux femmes et inversement, et de la place de la femme au sein de la société.

Et si, au contraire, les deux ministres renoncent à convoler et reprennent chacun le cours de leur existence, ou décident de reporter leur mariage à après leur sortie du gouvernement, cela ne calmera pas pour autant les cancans sur les réseaux et les commentaires dans les médias. Leur relation continuera d’être placée sous la loupe, leurs personnes seront toujours traquées et cela impactera sans coup férir leur rendu et leur travail au gouvernement, comme cela est déjà le cas aujourd’hui…

Il reste une solution : quitter le gouvernement et replonger dans la vie privée et anonyme et alors, les deux pourront agir comme bon leur semblera… Ils ne seront plus qu’un homme et une femme, pas un ministre et une ministre. J’imagine que cette décision est difficile pour eux deux, surtout qu’aucun n’a été critiqué pour son travail ou son intégrité, mais c’est ainsi que la politique est… Quand un ministre est pris dans une tourmente, juste ou non, il doit partir car même si l’homme (ou la femme) peut résister, le (ou la) ministre perd de son aura…

Au Royaume-Uni, le roi Edward WIII avait choisi d’abdiquer en décembre 1936, préférant Wallis Simpson, une Américaine en instance de divorce, au trône britannique, et cédant ainsi aux pressions du peuple, du gouvernement et de l’Eglise d’Angleterre. Par cette décision, ce monarque était entré dans l’histoire. Selon des documents déclassifiés l’an dernier, Edward WIII avait fortement irrité son gouvernement, le gouvernement de Sa Majesté, pour avoir voulu s’adresser directement par radio au peuple britannique et lui demander son soutien dans la crise qui a fini par le voir quitter le palais de Buckingham.  Le roi avait convoqué son premier ministre Stanley Baldwin pour le conduire à accepter l’union, mais ce dernier avait refusé et l’idée du mariage et celle du discours radiodiffusé, exigeant du roi soit le renoncement au mariage, soit le mariage contre l’avis de ses ministres (ce qui allait conduire à une démission du gouvernement et à une crise institutionnelle) soit l’abdication. Le roi abdiqua, pour les yeux et le cœur de la femme qu’il aimait.

Akhbar Alyoum