Combien y a-t-il de gouvernements au sein du gouvernement ?, par Taoufiq Bouachrine

Combien y a-t-il de gouvernements au sein du gouvernement ?, par Taoufiq Bouachrine

Il y a au moins trois gouvernements au sein du gouvernement actuel, le premier est celui d’Abdelilah Benkirane et de ses ministres PJD, le second est dirigé par le ministre de l’Intérieur Hassad et les siens et, enfin, le troisième est à l’avenant, laissant chaque fois apparaître l’un(e) ou l’autre des ministres…

… Une fois, c’est Mezouar, qui fait part de positions diplomatiques qui ne sont pas forcément toujours celles du gouvernement et de son chef ; une autre fois, c’est Belmokhtar qui agit et réagit aux questions d’éducation nationale d’une manière qui n’est pas celle de ses pairs, et une fois encore cela peut être Toufiq qui suit en matière religieuse une doctrine soufie sur laquelle personne ne le questionne… Chacune de ces équipes joue sa propre partition, ce qui, au final, donne une sorte de cacophonie qui fait du bruit et assourdit les populations.

Je m’en vais donner quelques exemples afin d’éviter d’être accusé d’introduire la discorde au sein de ce gouvernement, passablement agité ces derniers temps.

La semaine dernière, donc, les forces de l’ordre ont intervenu fort virilement pour disperser un mini sit-in organisé par une poignée de militants venus manifester leur ire contre l’intervention saoudienne au Yémen. Abdelhamid Amine a reçu une volée de coups, plus une gifle à lui assénée par un homme qui pourrait être son fils ou même son petit-fils. La militante Rabea Bouzidi a été exposée à son tour à la violence de la police, tant verbale que physique. Et puisque nos forces de l’ordre ne font pas toujours la différence entre manifestants et simples passants, plusieurs de ces derniers ont eu leur dose de coups sur le boulevard Mohammed V… On avait l’impression que les forces de l’ordre agissaient comme si une trentaine de personnes pouvaient faire vaciller l’ordre public dans ce pays…

C’est ainsi qu’est la politique du ministre de l’Intérieur qui brandit son grand bâton et l’utilise allégrement contre les militants. Quant à la position du ministre de la Justice et des Libertés, elle est toute autre : lui, il distribue subventions et fonds publics à plusieurs associations pour les inciter à militer encore et toujours pour la défense des droits, affirmant que manifester sur la voie publique est une chose légitime et légale, que les sit-in n’ont pas besoin d’autorisations administratives et que le respect des libertés est une ligne rouge tracée par ce gouvernement… qui croire alors ? Nos oreilles qui entendent le ministre de la Justice chanter les louanges des militants ou nos yeux qui voient ces mêmes militants roués de coups ?

Deuxième exemple : la catastrophe de Tan Tan, quand 35 enfants ont péri sur une route du Sahara qui ressemble désormais à ces voies piégées de Mossoul et de Ramadi en Irak. Le chef du gouvernement


dit que l’enquête en cours doit aller à son terme et mettre à jour les responsabilités des uns et des autres, mais en même temps, son ministre de l’Intérieur sort un communiqué, avant les conclusions de ladite enquête, affirmant que le camion à l’origine du drame n’était pas chargé de carburant de contrebande ; ce faisant, le ministre de l’Intérieur rejoint le groupe socialiste qui a pris sur lui d’innocenter le camarade Belfaqih avant même que les enquêteurs ne rendent leur avis, ces enquêteurs qui viennent du ministère de l’Intérieur, de la gendarmerie et du ministère du Transport. Le titulaire de ce dernier département, Aziz Rabbah, est même allé au parlement clamer haut et fort que l’état de la route n’est en rien responsable de ce qui s’est produit. Allez, rompez le banc et allez chercher ailleurs…

Voici un troisième exemple de l’indescriptible désordre qui règne au sein de ce gouvernement de 39 membres… Belmokhtar règne sur cet ultrasensible et délicat secteur de l’éducation nationale hors de toute coordination gouvernementale, surprenant même son chef Benkirane… Et comme il a été parachuté dans ce cabinet, il attend les conclusions d’Azzimane pour les mettre en application, comme si le Conseil supérieur de l’Education était devenu un mini-gouvernement qui organise et structure l’enseignement au Maroc en dehors des urnes et de l’autorité du parlement et même du gouvernement…

Quant aux partis de l’opposition, aujourd’hui démissionnaires, ils n’ont d’yeux et d’oreilles que pour les sorties de Benkirane et ses discours, préférant aller se plaindre au roi du chef du gouvernement que lutter contre lui avec les armes institutionnelles et constitutionnelles qui sont les siennes… Et puis, comment voulez-vous que cette opposition fasse œuvre pie, elle qui a échoué à son premier test de présidence d’une commission parlementaire sur les inondations de Guelmim, craignant que cette commission n’ouvre les anciens et vieux dossiers que tout le monde croyait révolus ? Si le législateur avait eu une idée précise sur cette opposition dès le départ, il ne lui aurait certainement pas confié la présidence de ce genre de commission d’enquêtes…

Il appartient donc à Benkirane de marquer un temps de pause et de méditer quelque peu sur son sort et sur celui de son équipe. Il devrait tirer profit du prochain remaniement afin de mettre un terme à ce désordre ambiant au sein de son gouvernement, entre ministres politiques et non politiques, entre technocrates et pseudo technocrates et, enfin, avec ceux qui ne se rangent dans rien ni derrière personne. L’expérience gouvernementale actuelle est constitutive d’un système, et son succès, comme son échec, auront un impact sur les cabinets à venir car les règles du jeu, c’est maintenant qu’elles sont tracées. Alors qu’elles le soient d’une façon juste et intelligente.

Akhbar Alyoum