Le ministre Choubani et le préfet Khiam, par Noureddine Miftah
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- 23 avril 2015 --
- Opinions
Que les deux respectables responsables mentionnés dans le titre de cet éditorial se rassurent, nous n’établirons aucune relation entre eux, mais nous commenterons leur action, séparément…
Commençons donc par ce qui est plus sérieux, laissant pour la fin la saveur de la corne de gazelle que les convives ne manqueront pas de goûter et de déguster lors de ce mariage ministériel auquel s’attend une opinion publique qui vacille, dans ce pays, entre les extrêmes ; mariages d’exception et aussi catastrophes exceptionnelles, dont ce drame de Tan Tan où l’enquête a calé en pente, puis d’autres comme cet accident de l’autocar transportant l’équipe de football de Khenifra, ou encore l’incendie d’un autre autocar à Agadir, et d’autres encore. Seigneur, apporte-nous la paix et la sécurité !
Pour ce qui concerne M. Abdelhaq Khiam, qui a dirigé de longues années la Brigade nationale de la Police judiciaire, il présente de très nombreux points forts. Du temps de ce préfet de police, la BNPJ a gagné en notoriété dans ses célèbres locaux du Maârif à Casablanca, sortant de l’ombre pour passer à la lumière et s’imposer comme le service qui traite des grands dossiers de portée nationale.
Quant avait été adoptée la loi qui confère le statut d’officier de police judiciaire aux fonctionnaires de la DST, il avait ensuite fallu l’appliquer dans les faits, et c’est ce qui a donné naissance au Bureau central d’investigations judiciaires (BCIJ, ou Bsije), sous la direction d’Abdelkaq Khiam. Il faut ici admettre que le premier informateur du royaume, en l’occurrence le patron de la DST Abdellatif Hammouchi, a mené un travail remarquable. Cet homme a hérité d’un service à la réputation aussi sanglante que sulfureuse, le Cab1, dont le nom est associé à ceux d’Oufkir, de Dlimi, d’Achaâchi et de bien d’autres encore, un service qui a par la suite été dirigé un quart de siècle durant par Driss Basri, puis par le général Hamidou Laânigri qui lui a imprimé sa poigne de fer et sa (trop grande) fermeté. Mais après le choc du 16 mai 2003, il s’est produit quelque chose dans les esprits des femmes et des hommes de la DST, et les changements qui avaient commencé à être opérés au sein de la famille sécuritaire avec le nouveau règne ont coïncidé avec l’émergence du péril terroriste islamisant comme priorité numéro 1 au Maroc et dans le monde.
Et c’est là que le jeune Hammouchi a fait son entrée en scène, prenant en charge ces changements suite à sa nomination à la tête de la DST. L’homme a ouvert les locaux de Temara à la société civile, puis les coups répétés de ses hommes contre les cellules dormantes se sont mis à donner leurs fruits et, partant, à améliorer la réputation des agents des services aux yeux du monde, lequel a commencé à comprendre que si dépassements et abus il y avait encore, ils ne faisaient plus partie d’un système structuré mais que la volonté était réelle de trouver un équilibre entre le respect de la loi et du droit d’une part et, d’autre part, les contraintes de la lutte efficace contre le terrorisme et le crime organisé.
La suite, on la connaît. Hammouchi a été décoré par l’Espagne, puis la France, et ensuite les services de sécurité se sont fait connaître au public, avec des locaux identifiés, des dirigeants visibles et une politique de communication sans précédent.
Et si M. Khiam, qui a été choisi pour cette mission, est un homme qui sait communiquer, qui multiplie les conférences et les sorties médiatiques (comme avec le groupe al Ahdath et MedRadio), on peut dire que cette politique donnera bien vite des résultats contraires à ceux escomptés si elle se poursuit à ce rythme effréné, pour des opérations de moyenne importance et pour un service de cette envergure qui doit préserver une part de secret et de mystère, une certaine aura et un prestige certain pour garder toute son efficacité.
Trop de com tue la com… en effet, convoquer la presse nationale pour expliquer les tenants et les aboutissants d’une opération ayant conduit à la mise hors d’état de nuire d’une bande qui, aussi organisée fut-elle, faisait dans le vol de moutons, réduit le BCIJ à une dimension qui ne doit pas être la sienne, ni dans le fonds ni dans la forme. Cela banalise l’action de ce Bureau aux yeux de l’opinion publique, en dépit de l’efficacité qu’il a eue, avec la DST qui lui a donné naissance, dans la lutte contre le danger et la menace terroristes.
De plus, le
Bureau dispose d’équipements logistiques et techniques, d’hommes masqués et cagoulés et d’infrastructures très développées pour terroriser les terroristes et incriminer les criminels. Mais tout cela doit être préservé pour les véritables missions qui sont la lutte contre les grandes menaces et la sécurisation de la société.
Si, aujourd’hui, par ailleurs, une confusion règne encore entre la BCIJ et la BNPJ, c’est parce que Khima les dirige encore tous deux et le conflit de compétences est clair, mais gérable. Plus tard, ce conflit sera difficilement maîtrisable car le futur patron de la BNPJ ne saura pas où s’arrêtent ses compétences et les limites de son intervention, et où commencent celles du BCIJ.
Et puis, dernière remarque, Hammouchi, Khiam et leurs hommes savent bien que les milliers d’inspecteurs et de commissaires qui travaillent au sein de la Direction générale de la police nationale ont des compétences que tout le monde connaît, même s’ils ne disposent pas des mêmes moyens ; ils peuvent affronter le crime et lutter contre ses auteurs. Il n’est donc pas bon que les efforts du BCIJ soient dispersés et il serait meilleur que ses agents se concentrent sur ce qui est plus important et ce pour quoi ils ont été installés, à savoir la protection de l’Etat et de la société de ces périls terroristes.
Ce sont, donc, là des avis sur une administration qui s’est fait connaître du grand public, qui s’est exposée au débat public et qui a voulu nous adresser le message que les services d’aujourd’hui ne sont plus comme ceux d’hier. Il nous appartient donc à tous d’exprimer nos avis quant à ce message, sans doute nous contribuerions fort modestement à ce noble dessein.
Et puis nous en arrivons, loin de ces histoires de barbouzes, au mariage ministériel qui se profile à l’horizon, et qui a été annoncé dans un déferlement médiatique que rares sont les noces en ce pays qui peuvent se vanter d’avoir été autant commentées. Ce mariage a même fait l’objet d’un titre en Une du journal le Monde et de l’intérêt de l’agence espagnole d’informations EFE. Quant aux réseaux sociaux, ils n’ont de claviers et de mots que pour ces épousailles entre le ministre Lahbib Choubani et sa collègue au gouvernement Soumaia Benkhaldoune. Une histoire d’amour qui a tous les ingrédients d’un film à l’eau de rose, tout romantique et aussi mignon. Les deux tourtereaux sont ministres, ils sont aussi islamistes. Elle a la cinquantaine, elle est divorcée depuis quelques mois et a des enfants adultes, dont un pilote de chasse ; lui est encore marié et a des enfants dont certains sont encore étudiants en Turquie. Et le paradoxe consiste en cela que ces gens, qualifiés de Frères musulmans voire de « daechistes », sont les mêmes qui viennent d’enregistrer, au dam des modernistes, un joli gazouillis dont seul le cœur, les cœurs, connaissent les secrets.
L’histoire a commencé, donc, par une banale idylle entre deux ministres avant de plonger dans la polémique politicienne quand le patron de l’Istiqlal Hamid Chabat a attaqué les deux amoureux en usant de termes « daechiens » comme le péché de séduction ou la faute de dislocation des familles. Au commencement, la société civile avait eu de la sympathie pour Soumaia Benkhaldoune, avant la révélation du détail qui tue, à savoir que Choubani a été demander la main de son amoureuse en compagnie de sa première épouse !
Pour faire court, et vrai, la vie privée de ceux qui sont en charge de l’espace politique épouse parfois leur vie publique, et il n’y a donc aucun mal à la suivre et la commenter. L’amour entre les deux ministres les sert plus qu’il ne les dessert, mais c’est la question de la polygamie qui prête à polémique, en plus de la mise à mal de la dignité de la femme. D’autres ministres sont polygames, pourtant, mais l’esprit du nouveau Code la famille va dans le sens de l’interdiction de cette pratique, l’ayant entourée de toutes les complications possibles. La polygamie est restée donc permise pour certains cas dans le Maroc profond, et non pour des ministres qui sont, ou devraient au moins être des exemples.
Et si le Dr Ahmed Raïssouni affirme que la polygamie est faite selon la loi de Dieu, on lui répond que nous en sommes fort aise, mais que l’esclavage est aussi légalisé par l’islam, selon la loi de Dieu, mais qu’il a été prohibé par les valeurs humaines universelles. Et donc, le comportement du prince charmant Choubani et de sa dulcinée Benkhaldoune a viré à un scandale que ne pourrait circonscrire que le prince tout court.
Al Ayyam