La polygamie est une légalisation de l’adultère, par Sanaa Elaji

La polygamie est une légalisation de l’adultère, par Sanaa Elaji

Elle aimait son époux… 10 ans de vie commune, une fillette pour les égayer et beaucoup d’autres choses toutes aussi agréables les unes que les autres… Mais le temps, ensuite, a fait son œuvre, causant ses habituels outrages à la relation conjugale. L’amour a gardé des vestiges mais l’habitude a pris l’avantage… au lit, une certaine routine s’est instaurée et dans les rares discussions, le coût de la vie et de l’école de la progéniture tient la vedette, en plus de quelques cancans familiaux…

Elle avait un collègue. Il était beau et élégant. Elle ne pouvait réprimer une insistante et persistante volonté de comparer son corps musclé et élancé avec celui, ventru et poussif, de son mari. Ce collègue savait choisir ses costumes et les cravates qui allaient avec ; il parlait bien, ayant une intéressante culture générale et un sens de l’humour développé.

Un jour quelle faisait l’amour avec son époux, l’image de son collègue s’est insinuée dans son esprit. Elle en a eu honte, elle s’est reprochée cette coupable pensée, bien qu’elle ne fût qu’une pensée, une simple pensée, mais insistante, impérieuse… Le lendemain, elle a avoué sa flamme à son collègue et, très vite, trop vite, le mariage a été conclu avec cet homme. Oh, elle avait bien longuement expliqué à son premier époux qu’elle l’aimait, qu’elle l’avait toujours aimé et qu’elle ne cesserait jamais de l’aimer. Elle lui avait aussi assuré qu’elle veillerait toujours à maintenir une parfaite égalité entre ses deux époux.

Le couple, dans sa version 1, avait donné naissance à une fillette, et avait acquis un appartement. On ignore si le premier mari avait accepté les explications de son épouse, ou non. Mais avait-il le choix ? Alors, sa femme a pris un autre homme, son collègue et ami. L’affaire a un peu perturbé et un tout petit peu heurté son entourage qui, dans sa grande majorité, a finalement considéré le geste comme ordinaire, relevant de ses droits en tant que femme mariée.

Et depuis, cette dame a commencé à répartir ses nuits entre ses deux époux, s’évertuant à maintenir une certaine égalité entre eux, mais avec une petite préférence tout de même pour son second mari. Elle affectionnait tout particulièrement sa tendresse, son corps d’athlète et la bonne humeur qu’il distillait quand il se trouvait à ses côtés. Ah que c’était bon, se disait-elle, de l’écouter parler, avec ses larges connaissances et la manière de les exprimer, sa liberté d’esprit et tant, tant d’autres choses… jusques-y compris la manière qu’il avait d’ordonner ses affaires dans la salle de bain.

Le premier époux, lui, acceptait cette situation, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, afin de préserver la famille et de protéger les acquis. Le premier ramadan venu, après la seconde noce de l’épouse, il avait proposé un ftour familial triangulaire, ce qui était la meilleure solution pour ne pas se retrouver seul, dans le cas où sa femme aurait décidé de passer avec son second mari les premiers jours du premier ramadan après le second mariage…

… Mais tout cela n’est que fable, bien évidemment, absurdité et même folie. Exactement comme cela serait le cas dans la situation inverse d’ailleurs.

En effet, ni loi religieuse, ni loi tout court ni us et coutumes ne sauraient me convaincre que des épousailles doubles ou plus seraient une affaire naturelle. De même que personne ne saurait m’amener à l’idée que la femme, parce qu’elle aurait des convictions religieuses et qu’elle aurait reçu une éducation islamique, pourrait aisément accepter une seconde noce de son époux. La polygamie est une forme de légalisation de l’adultère, ou du moins de son institutionnalisation.

La lassitude de l’autre, les corps qui se déforment et qui vieillissent et dépérissent, l’éventuelle stérilité de la femme et tous ces arguments de mauvaise facture valent tout aussi bien pour l’épouse que pour le mari. Alors l’alternative


est simple : ou on trouve une solution raisonnable et rationnelle pour tous les cas, ou alors on en cherche une autre, pour tous les cas aussi. Et si les hommes se sont sentis outrés, vexés, offensés, voie meurtris à la lecture des premiers paragraphes de cette chronique (sans même les vivre dans leur réalité conjugale), alors ils doivent savoir que les femmes éprouvent exactement les mêmes sentiments dans le cas de la polygamie de leurs époux, même celles qui laissent apparaître une réaction d’acceptation, ou même de compréhension.

Oh, bien sûr, j’aime les histoires d’amour, et je suis très heureuse de savoir que ce monde de folie et de guerre est (encore) capable de produire de telles histoires. J’ai du respect pour Lahbib Choubani et Soumaia Benkhaldoune et pour les sentiments d'amour qu'ils éprouvent, mais leur idylle comporte bien des failles qui pourraient ternir leur bonheur.

D’abord, il faut dire qu’il n’y a pas lieu dans cette affaire de parler de vie privée car les ministres PJD ne peuvent instrumentaliser leur vie privée lorsque cela les arrange (quand ils dégustent la bissara de la mahlaba, quand ils inscrivent leurs progénitures dans les cités universitaires…) et puis, soudain, cette même vie privée devient sacrée lorsque cela n’arrange plus leurs intérêts de la voir étalée dans l’espace public… Ensuite, dans tout pays qui se respecte et qui respecte ses citoyens, une telle affaire ne saurait être retirée du débat public. Choubani, ce ministre qui avait chassé du parlement une journaliste dont la mise vestimentaire ne lui convenait pas, aimait son ancienne directrice de cabinet qui lui témoignait le même sentiment en retour, du temps du gouvernement Benkirane I, et avant même que cette dame ne fut promue ministre. Il y a là un conflit flagrant sur le plan professionnel, et aussi sur celui du discours, car cette affaire n’est pas acceptable de la part de deux représentants d’un parti qui fonde une grande partie de son discours sur la morale. Or, en l’absence de démenti formel des intéressés, nous nous retrouvons face à deux ministres, dans le même gouvernement, qui se préparent à se marier. Nous ne pouvons considérer cela comme relevant de leur vie privée et, à ce propos, je reprends les propos de mon confrère et ami Abdelkhalek Zyne : « Si un conflit d'intérêts naît dans la gestion des affaires publiques entre les deux départements des deux ministres, comment gérer la situation ? Si les deux ministres doivent assister à une activité officielle, parlementaire ou protocolaire, c'est à quel titre? Seront-ils ministres ou mari et femme ? ».

Et puis, nous ne pouvons escamoter le débat sur la polygamie au Maroc. Selon les statistiques du ministère de la Justice, la polygamie entre 2004 et 2011 ne dépasse guère 0,34% de l’ensemble des contrats de mariage conclus, ce qui signifie que cette pratique est fort limitée. Mais au sein du gouvernement, le taux passe à 10%. Autrement dit, le gouvernement surexpose un phénomène somme toute insignifiant au sein de la société et lui confère une symbolique forte et antagonique avec le Maroc que nous souhaitons construire.

Et, enfin, rappelons cette affirmation qui revient de plus en plus et qui veut que « les islamistes ont une seconde épouse alors que les modernistes ont une maîtresse ». Non, la modernité ne signifie pas qu’un individu puisse nécessairement avoir un(e) amant(e), car un moderniste, comme un islamiste, peuvent en avoir. En matière d’amour ou d’adultère, il n’y a guère de différence entre moderniste et islamiste ; cela relève du comportement de chacun(e), des pratiques de chacun(e), sans que les convictions n’entrent en considération. L’adultère, légal ou non, est et restera une chose offensante. Alors, il faut cesser de le légitimer par la pratique religieuse ou par une quelconque modernité. Les deux sont blessantes pour une tierce personne.

L’adultère ou la polygamie ne sont ni islamisme ni modernité, ils ne sont que tromperie.

Al Ahdath al Maghribiya