Est-ce la fin du parti de l’Istiqlal ?, par Soulaïmane Raïssouni
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- 19 avril 2015 --
- Opinions
Tout récemment encore, j’ai entendu un des anciens du parti de l’Istiqlal, un de ses grands caciques, annoncer à l’envi, et avec un humour grinçant, les prémisses de la fin de cette formation. Face à mon étonnement, il a précisé sa pensée : « Les anciens chefs de l’Istiqlal, en sortant Chabat des tréfonds obscurs du parti pour lui faire faire la sale besogne contre leurs adversaires à l’intérieur du parti et à l’extérieur, et en pensant qu’il allait rester indéfiniment à leur solde et à leur botte comme un esclave docile et soumis, n’avaient jamais imaginé qu’un jour viendrait où il les mettrait eux-mêmes dehors et s’accaparerait le pouvoir, prenant le dessus sur eux, leurs enfants et les enfants de leurs amis et alliés, qu’il les tiendrait pour ses propres serviteurs et qu’ils seraient obligés d’écouter béatement ses platitudes et ses non-sens »…
J’ai souri, il a ajouté : « Quand les incompétents arrivent aux postes de direction, il n’y a plus qu’à attendre la fin… ».
Avec Hamid Chabat, le parti de l’Istiqlal vit ses heures les plus sombres. Qui oserait soutenir et défendre le contraire ? Les informations provenant de temps à autres et à intervalles réguliers de l’intérieur du parti indiquent que la plupart des membres du Comité exécutif, et surtout les jeunes issus des plus grandes familles et titulaires des meilleurs diplômes, sont de plus en plus consternés par les sorties douteuses de Chabat. Ils se font des clins d’œil, discrètement, et murmurent que ces saillies font bien plus de tort au parti lui-même qu’elles n’atteignent ses adversaires. Mais ils s’arrêtent là, ne pouvant aller plus loin et mettre un terme à cette situation déplorable. Pour au moins cinq raisons…
Un, ces jeunes, quand ils tenaient les rênes du pouvoir dans les ministères et les administrations, ont accumulé richesses et privilèges, et certains d’entre eux ne sont cités dans les médias que pour leurs frasques et autres indélicatesses. Deux, la plupart d’entre eux ne sont pas de vrais militants ayant accumulé un passé engagé au sein de l’Istiqlal, un passé qui leur permettrait de renverser la table à chaque fois qu’ils voient des abus et des excès, et ces gens sont venus au parti dans des contextes très particuliers et connus, ce qui les place en situation de s’en aller à la première injonction de ceux qui les ont placés aux commandes du parti. Trois, ils connaissent le bagout, la hargne et la langue bien pendue de Chabat et craignent leur Secrétaire général. Quatre, ils sont toujours persuadés que Chabat est encore soutenu en haut lieu et… cinq, pour ceux qui sont convaincus que les jours et les heures de Chabat sont comptés, la meilleure attitude consiste à rentrer dans le rang et incliner le chef pour pouvoir prétendre à un meilleur sort dans le proche avenir.
Cependant il faut le dire, la situation actuelle de l’Istiqlal n’est-elle pas tout simplement liée à la présence de cette personnalité qui sort du lot et qui ne répond pas aux codes connus, à savoir Hamid Chabat, par qui le problème
est arrivé et dont le départ serait la seule condition pour restaurer les choses à leur endroit ? Mais il se pourrait aussi que Chabat ne soit au final que l’incarnation physique de cette crise qui touche l’Istiqlal et les autres partis du mouvement national, à savoir le vieillissement du discours et sa ringardisation, mais aussi le pourrissement des structures décisionnelles, ce qui pourrait expliquer que les agissements de Chabat et ses sorties irréfléchies ne sont que les derniers soubresauts d’un corps moribond.
Au sein de l’USFP, les anciens que sont Abderrahmane el Youssoufi, Mohamed Achaâri et Mohamed el Gahs affirment qu’il ne sert plus à rien à l’USFP d’exister encore dans sa forme actuelle. Pourquoi cette profession de foi ne s’applique-t-elle pas à l’Istiqlal ? Chabat et ses affidés soutiennent l’idée inverse, à savoir que l’Istiqlal sous sa forme actuelle est essentiel à la stabilité du pays, à sa modération et à sa prospérité, et que cela œuvre à parachever, ou du moins à aider à parachever l’intégrité territoriale.
Même les membres du courant de réorientation qui se font appeler « intransigeance » et qui œuvrent à remettre les choses à l’endroit après que l’Istiqlal ait dévié à leurs yeux des « fondamentaux » ne se sont guère donné la peine de poser la question existentielle de savoir s’il existe bien des « fondamentaux » en politique, dont il ne faut jamais s’écarter pour préserver la morale et l’honneur de l’action politique. Et puis, ces mêmes membres n’ont pas pensé au fait qu’en brandissant le concept de « fondamentaux », ils ont commis l’erreur de choisir le mauvais argument pour le mauvais combat car en effet, ceux qui fulminent contre « l’intervention de l’Etat » dans l’accession de Chabat à la tête du parti savent que ce type d’implication de l’Etat dans les affaires intérieures de l’Istiqlal est une constante « fondamentale » qui n’a pas commencé avec Chabat, mais bien avant. « Quand on aime les roses, on ne doit pas craindre la piqûre des épines », en quelque sorte…
Et donc, en définitive, si nous considérons que le mouvement « intransigeance » a vu le jour en réaction de l’arrivée de Hamid Chabat au Secrétariat général du parti de la manière qu’on sait, on comprendra mieux pourquoi aucun des membres de ce courant autoproclamé réformateur ne lie la « déviation » actuelle de l’Istiqlal à des faits qui vont au-delà de ce phénomène passager qu’est finalement Chabat, et pourquoi aucun d’entre eux n’a le courage historique de proclamer l’inutilité du parti dans sa forme que nous lui connaissons aujourd’hui… Personne ne se pose la question de savoir si le parti de l’Istiqlal serait en mesure de maintenir sa puissance si nous étions en vraie démocratie et si les élections se déroulaient comme elles le devraient, sans accords consensuels préalables… Ces gens ne s’interrogent pas non plus sur la nécessité pour leur formation de connaître une véritable révolution interne, un séisme qui la ferait évoluer, à moins qu’elle ne soit vouée, tôt ou tard, à en être réduite à un patrimoine intellectuel et/ou à un simple club de réflexion politique à l’instar du parti de la Choura et de l’Istiqlal…
Al Massae