Qui est le juge Pablo Ruz ?, par Aziz Boucetta
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- 15 avril 2015 --
- Opinions
Quand un juge, quel qu’il soit et quoi qu’il fasse, émet coup sur coup plusieurs décisions très fortement médiatiques et médiatisées, on peut raisonnablement s’interroger sur ses véritables intentions ; sont-elle purement juridiques et uniquement judiciaires, ou alors peuvent-elles être inspirées par un besoin de reconnaissance ou une volonté de carriérisme qui égarerait son auteur ?
Rafale de décisions tapageuses
Le juge espagnol Pablo Ruz a, en quelques semaines, émis plusieurs avis et jugements explosifs.
1/ L’affaire du Barça, dans laquelle l’ancien président du club et l’actuel, sont passibles de peines privatives de liberté pour avoir, volontairement selon le juge Pablo Ruz, sous-estimé la valeur du transfert de Neymar. Un juge madrilène lance un grand coup de pied dans la fourmilière catalane en ces temps d’appels à l’indépendance de la Catalogne…
2/ L ‘affaire du Parti populaire au pouvoir, et pour laquelle le juge Pablo Ruz – connu pour ses sympathies de gauche – estime disposer d'indices suffisants pour conclure que le parti (de droite) du chef du gouvernement Mariano Rajoy a disposé de « différentes sources de financement (...) en marge de la comptabilité officielle déclarée par le parti et présentée à la Cour des comptes ». Rappelons que l’Espagne est à un an des élections générales…
3/ L’affaire des « génocidaires marocains », où le juge Pablo Ruz lance des mandats d’arrêt internationaux contre 7 ex-responsables marocains et émet des commissions rogatoires contre 4 autres. Cette affaire, « examinée » par la justice espagnole depuis 2007, au plus fort de la compétence universelle de la justice espagnole, au firmament de la puissance de son chantre Baltazar Garzon, n’avait pas eu de suite notoire, mais elle est ravivée maintenant, en avril, mois d’intenses discussions à l’ONU sur le Sahara…
Ainsi, mettre en prison le président de cette véritable institution qu’est le Barça, ébranler la majorité gouvernementale dans un pays connu pour sa stabilité politique et chercher à embastiller les responsables d’un pays voisin, ami et partenaire pour « génocide », sont trois décisions, tombées en un mois, émanant d’un même juge. Elles peuvent à juste titre nourrir de légitimes suspicions sur la volonté de célébrité, le sentiment de rancœur ou le besoin de vengeance qui pourraient animer ce magistrat.
Qui est le juge Pablo Ruz ?
Pour être indépendant, un juge n’en est pas moins un homme, et un homme a ses passions, ses convictions et ses ambitions. Le juge Pablo Ruz a (certainement) la passion de la justice, (souvent) la conviction d’avoir raison, mais il a aussi l’œil (toujours) rivé sur ses ambitions.
Il a été désigné à la prestigieuse fonction de juge à l’Audience Nationale en 2010, à seulement 35 ans, en remplacement du non moins prestigieux Baltazar Garzon qui, lui, avait eu le courage et le panache de s’attaquer aux années sanglantes du franquisme. Il en a payé le lourd tribut d'une carrière foudroyée en pleine ascension. Il serait inutile de revenir sur cette affaire, qui ne fait pas forcément honneur à la justice espagnole, ou du moins entrave son droit moral de s'ériger en justice universelle.
Mais le juge Pablo Ruz, étiqueté pour être un homme aux sympathies de gauche bien ancrées – ce qui pourrait être de son plein droit, s’il n’avait été juge – et qualifié de « lent » par son illustre prédécesseur à l'Audience Nationale, vient d'apprendre également qu'il quitte son poste, remplacé par un homme de gauche. Comment donc ne pas s’interroger sur la concomitance de sa triple attaque, et sur l’éventualité qu’elle ne soit destinée à embarrasser
un gouvernement de droite qui a pris l’initiative d’agir en coulisses lui faire quitter l’Audience Nationale ?...
L’Espagne et la justice à compétence universelle
Le 5 octobre 2005, le Tribunal constitutionnel espagnol estime que « le principe de compétence universelle », qui fait obligation aux Etats de poursuivre les auteurs de crimes contre l'humanité quelle que soit leur nationalité ou celle de leurs victimes, « prime sur l'existence ou non d'intérêts nationaux ». La cour espagnole avait en quelque sorte officialisé l’intervention du juge Baltazar Garzon qui avait demandé et obtenu l’arrestation de l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet à Londres en 1998.
Cela avait déclenché de bien regrettables, et très fortement dommageables, crises diplomatiques entre l’Espagne et d’autres pays, comme la Chine ou encore Israël. En conséquence, le 14 février 2014, les députés espagnols avaient voté la loi controversée restreignant le principe de justice universelle ; aux termes de la nouvelle législation, l’accusation populaire – une figure qui en droit espagnol permet à un particulier ou à une organisation non-impliquée ni victime dans une affaire de saisir la justice – ne pourra ainsi plus déclencher une procédure visant des faits commis à l'étranger. De plus, les tribunaux espagnols ne pourront plus agir que dans les cas de « génocide, crime contre l'humanité ou contre les personnes et biens protégés dans les conflits armés », et seulement si la procédure est dirigée « contre un Espagnol ou un citoyen étranger qui réside habituellement en Espagne ».
Ce n’est bien évidemment pas le cas, le Sahara ayant été rétrocédé au Maroc en 1975, malgré les glapissements du Polisario soutenu par l’Algérie pour de toutes autres raisons que l’ « indépendance des peuples », et les 11 Marocains ne sont pas espagnols, pas plus qu’ils ne résident en Espagne. La décision du juge Pablo Ruz de l’Audience nationale pourra donc être – et sera très certainement – cassée par le Tribunal suprême d’Espagne qui, si le Maroc sait agir comme il l’a récemment fait devant le tribunal arbitral de Lausanne, montrera que l’article 6 du Statut de Rome, alinéa 1, n’est pas respecté.
La loi prescrivant les crimes commis au temps du franquisme
En 1977, le Parlement espagnol votait la loi d’amnistie d’actes et de crimes découlant d’ « actes à intention politique » commis avant le 15 décembre 1976. Qu’en termes délicats les assassinats sont décrits… L’ensemble des brutalités, crimes et meurtres de la période franquiste étaient désormais protégés par la force de la loi. Près de 40 ans après, il reste toujours des nostalgiques et/ou des acteurs de cette période, surtout à la droite de la droite, mais l’Espagne avait trouvé cette solution pour asseoir une paix sociale et assurer une stabilité politique que le monde entier lui envie aujourd’hui. Aucun pays n’a le droit de lui contester ce droit d’instaurer la paix sur son sol…
… de même qu’aucun pays et aucun juge comme Pablo Ruz ne peut remettre en question le processus, pénible mais salutaire, qui avait été celui de l’Instance Equité et Réconciliation. Le Maroc a certes eu la main lourde à certaines périodes de son histoire. Il essaie de s’en sortir. Sa bonne foi est évidente. Qu’on le laisse faire sa besogne en interne… comme l’ont fait avant lui les Américains, les Français, les Britanniques et les Espagnols.
Quant au « petit » juge Pablo Ruz, et tout en lui souhaitant beaucoup de bonheur dans sa carrière, il fait un penser à ce brave Don Quichotte de l’Audiencia qui ferraille inutilement contre trois moulins bien (im)plantés dans le sol et l’esprit espagnols, le Barça, les institutions constitutionnelles et le Maroc.