Les non-dits du recours de l’opposition au roi, par Taoufiq Bouachrine
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- 09 avril 2015 --
- Opinions
Les informations provenant du palais nous disent que le cabinet royal a dépêché MM. Fouad Ali el Himma et Abdellatif Menouni auprès du chef du gouvernement Abdelilah Benkirane pour recueillir sa déclaration à propos de la plainte émise contre lui par les partis d’opposition et dans laquelle les chefs de ces formations l’accusent d’instrumentaliser le nom du roi dans les conflits et dissensions politiques…
Benkirane n’a besoin de personne pour le défendre car il a le verbe facile et bénéficie d’une considérable popularité ces temps-ci. Néanmoins, la fonction qui est la sienne a besoin qu’on la défende. Explications.
Récemment, lors du 50ème anniversaire de son entreprise familiale, j’ai demandé à Karim Tazi son opinion sur l’action et le bilan d’Abdelilah Benkirane. Il a eu cette réponse aussi rapide qu’enthousiaste, à son habitude : « Je ne partage pas les positions de Benkirane sur bien des sujets, comme chacun sait, mais avec lui j’estime que nous avons gagné quelque chose de très important, à savoir la fonction ; avec son style, sa sincérité, sa manière de faire, son bagout et ses décisions, il a su créer cette institution de la présidence du gouvernement, ce qui est un acquis unique dans l’histoire politique du Maroc. Le reste, tout le reste, est discutable ».
Karim Tazi est un homme d’affaires dont le cœur bat à gauche en dépit du fait qu’il soit le descendant d’une famille de la bourgeoisie de Fès mais il ne partage guère le référentiel idéologique de Benkirane, ni même sa méthodologie réformatrice ; cela ne l’empêche cependant pas d’avoir une lecture objective et intellectuellement saine de la réalité politique. Il parle sans fioriture et dit ce qu’il pense.
Et donc, quand l’opposition a été se plaindre du chef du gouvernement au palais, elle n’a pas tant atteint Benkirane comme homme que la constitution de 2011 et ses acquis et avancées ; cette opposition a une très courte vue et ne réfléchit pas plus loin que des avantages électoraux immédiats. Les gens qui la composent ne comprennent pas encore que le pays a besoin d’une endurance longue et de souffle démocratique encore plus profond. Or, cela ne saurait être sans des institutions fortes, et à leur tête la présidence du gouvernement qui saurait employer ses nombreuses attributions et en tirer profit, qui pourrait se créer un champ de manœuvres le plus large possible et qui serait à même de communiquer avec l’opinion publique, la convaincre que les élections ont un sens et une grande portée et la conduire à penser que le chef du gouvernement est aujourd’hui un homme qui décide, fait des choix, exécute et s’expose à la critique de la population, qu’il ne porte plus cette tunique unique qui a été celle de ses prédécesseurs et qui les empêchait de bouger, ni même de croître.
Aujourd’hui, à la présidence du gouvernement se trouve un homme qui s’appelle Abdelilah Benkirane,
mais demain, quelqu’un d’autre le remplacera, venant d’un autre parti… le plus important est de préserver les acquis et de contribuer, chacun de son côté, à créer cette institution qui n’a jamais existé sous nos cieux. La constitution a certes donné des garanties pour mettre en place une véritable présidence du gouvernement, la faire émerger et la laisser s’imposer, mais il faut reconnaître que la personne et la personnalité de Benkirane ont été décisives dans l’image que cette institution renvoie désormais. Et c’est précisément cela qui a effrayé les leaders de l’opposition qui craignent une saine compétition, préfèrent encore et toujours s’abriter derrière le trône et se réfugier sous son ombre protectrice, tant ils craignent le peuple, tant ils appréhendent les urnes et tant ils évitent la clarté pour lui préférer l’opacité…
Avez-vous déjà entendu dire l’opposition de Sa Gracieuse Majesté au Royaume-Uni demander la protection du palais de Buckingham ? Vous est-il déjà arrivé de voir l’opposition espagnole se précipiter vers le palais de la Zarzuela pour y quérir l’assistance du roi ? Chez nous, à l’inverse, le roi et le palais sont omniprésents dans les discours de nos politiques, de tous les politiques. La raison ? Il y en a deux : Un, la forte présence de la monarchie au sein de la société, dans les médias et dans la culture politique du pays et, deux, la faiblesse congénitale ou acquise de notre classe politique brinquebalante qui se réclame toujours du roi pour faire passer ses discours insipides…
En 2011, après le mouvement du printemps, la constitution de l’été et les élections de l’automne, le Maroc avait eu grand espoir de voir une interprétation démocratique des nouvelles règles et d’entrevoir une modernisation des us et une rationalisation des coutumes politiques ; las… que pensez-vous qu’il arriva, ce fut le contraire qui arriva.
Nous avons en effet effectué une lecture plus qu’étroite de la constitution et même les acquis qui semblaient sûrs ont été effacés, ou rédigés à l’encre invisible. Cela est de la responsabilité de tous, jusques-y compris de celle du chef du gouvernement qui a toujours veillé, depuis qu’il est en situation, à rassurer le palais, négligeant le fait que ce faisant, il égratignait l’esprit de la constitution. Ainsi, quand Benkirane dit que « le roi est mon chef hiérarchique », cela signifie qu’il nous ramène à grands pas vers la monarchie exécutive car la notion de « chef hiérarchique » n’existe nulle part dans la constitution. Au contraire, ce texte a entériné une sorte de collaboration entre le roi et le chef du gouvernement dans la gestion de la chose publique, et c’est le roi qui a proposé et fait rédiger cette constitution avant de le soumettre à référendum.
C’est pour cela qu’il appartient à tous de se souvenir quelle a été la – courte – histoire de cette constitution, en 2011 et quel a été le contenu de ce nouveau pacte social, qui fut.
Akhbar Alyoum