Ceux qui refusent  la réglementation de l’avortement doivent apporter leurs solutions, par Ahmed Aassid

Ceux qui refusent  la réglementation de l’avortement doivent apporter leurs solutions, par Ahmed Aassid

Présentons avant toute chose nos remerciements les plus vifs et les plus profonds au Dr Chafik Chraïbi, président de l’association marocaine pour la lutte contre l’avortement clandestin, qui a si bien su faire éclater un des tabous de notre brinquebalante réalité et qui a pu si efficacement mettre le doigt sur l’une des plaies les plus saillantes de notre société en lançant ce débat sur l’avortement.

Cet homme et ses semblables, malgré de tous ce qu’ils peuvent endurer aujourd’hui et demain, savent consentir les sacrifices nécessaires qui créent l’évènement et façonnent de nouvelles réalités, plus humaines et bien moins incertaines. Nous le remercions et nous lui savons gré car il a eu le courage de montrer que sa position professionnelle et sociale ne représente pas tant pour lui que cet idéal ultime qui est la préservation de la vie des femmes et la protection de notre société de bien nombreuses calamités.

Mais d’un autre côté, et dans la même logique, nous ne pouvons que marquer et souligner notre stupeur et notre effarement de constater comment les conservateurs peuvent défendre la vie des fœtus dans les utérus sans plus se préoccuper de l’existence des vivants, ceux qui tuent et égorgent au nom de la religion ou encore en vertu d’un machisme et d’une phallocratie dépassés ou enfin sur la base de principes tribaux empêtrés dans le sous-développement dans toutes ses formes.

Cette attitude des conservateurs ne défend pas vraiment la personne humaine ou sa vie car si cela était réellement le cas, nous les aurions entendu protester contre ce qui se produit actuellement dans bien des pays islamiques où le meurtre et l’assassinat sont devenus des activités quotidiennes tout à fait ordinaires et anodines qui obtiennent l’onction des théologiens, lesquels ont appelé à ces actes et qui les considèrent aujourd’hui comme un jihad sacré en Mésopotamie. Dans cette région du monde, la dignité humaine est quotidiennement bafouée et des milliers de personnes sont tous les jours assassinées sans qu’ils n’y trouvent rien à redire. Non… La position défendue par les conservateurs va dans le sens de la protection et de la défense des textes religieux tels que compris et assimilés par les plus anciens des théologiens salafistes, dans la pensée desquels la religion prime sur la personne, contrairement aux modernistes qui sacrent, consacrent et sacralisent l’être humain, placé au plus haut des préoccupations des sociétés.

Et donc, partant de là, quand la vie des femmes et l’existence des sociétés sont menacées, alors sacrifier le sperme qui n’a aucune identité pour préserver les vivants évoluant parmi nous devient une priorité, ainsi que le pourront attester toutes les vertus, les raisons, les civilisations, et les esprits sains. Mais prétendre défendre le sperme contre la vie des femmes et leur santé, contre la stabilité de la société et son avenir, contre le devenir des enfants qui, une fois nés « naturellement », seront jetés dans les rues pour un sort indéterminé, alors voilà ce qu’on peut qualifier de superficialité puérile de la piété et de formalisme stérile dans les mœurs.

Et ainsi donc, voilà ces conservateurs qui viennent nous expliquer en déployant tous leurs efforts possibles que le fœtus, depuis l’instant sa conception, est un être vivant qui doit disposer du droit de vivre mais, ce faisant, ils ne montrent aucun intérêt ni aucune compassion


pour ces mères qui auront pourtant passé tant d’années au sein de nos sociétés, à subir et à endurer des affres de l’existence. Ces mêmes conservateurs ne remuent pas le petit doigt pour pointer l’autre sur les drames sociaux qui ont vu disparaître bien des femmes dans la fleur de l’âge sous les coups de boutoir de cette abjecte mentalité phallocrate. Des milliers de ces femmes ont quitté cette vallée de larmes du fait de la négligence et des tentatives d’avortement dans des conditions lamentables et odieuses, inhumaines, et aucun, absolument aucun de ces conservateurs n’a pipé mot sur ces enfants abandonnés, livrés à eux-mêmes dès les premières années de ce qu’ils appellent leur vie. Ces conservateurs, toujours eux, se terrent dans un effroyable mutisme face aux tragédies de ces mères célibataires et font comme ce que fait Benkirane, se taire sur le sort des femmes et parler des enfants…

Quelles solutions alternatives nous présentent donc ces conservateurs ? Ils refusent toutes les idées rationnelles et réalistes, leur préfèrent la prédication et le sermon sur des modèles prétendument exemplaires mais en réalité totalement fantaisistes. Que vaut un sermon servi à quelqu’un pour une réalité vécue ? Cela me rappelle la campagne en faveur de la lutte contre le sida et que les conservateurs avaient qualifié de « propagande pour la luxure », comme si ces gens avaient le contrôle sur la vie et les agissements des gens et qu’ils pouvaient garantir que la pandémie ne pouvait autant s’étendre. Mais en réalité, ces gens, les conservateurs, savent bien les limites de la prédication et ont bien conscience que tous leurs sermons n’ont que des impacts très limités, à l’exception d’un nombre extrêmement  restreint de leurs ouailles ; ils ont bien compris que les beaux discours ne peuvent servir à eux seuls à solutionner les problèmes de la société. Nous voyons à ce propos ce qu’il se passe dans des pays extrémistes sur le plan religieux comme l’Arabie Saoudite et l’Iran, où l’on sert des prêches du matin au soir et du soir au matin, sans autre résultat que l’extension de la frustration sexuelle et des maladies psychiques contre lesquelles la prédication ne saurait produire de résultats, surtout quand elle est servie par des personnages grossiers et assénée  par des énergumènes brutaux.

Et pourtant, nous avons des statistiques très parlantes, et qui affirment que l’effectif des naissances suite à des grossesses non désirées atteint les 200.000 enfants par an, soit un peu moins que la moitié des naissances voulues, qui sont de l’ordre d’un demi-million chaque année. A la lumière de cette donnée, il appartient au Maroc de procéder à la réglementation de l’avortement pour protéger les vivants et préserver la société de maux et de cataclysmes qu’il n’a pas les moyens d’affronter, pour garantir les filiations et permettre à la famille nucléaire de gérer son avenir et son devenir de façon rationnelle, conformément aux exigences de notre époque ; il est utile d’introduire l’éducation sexuelle dans les corpus éducatifs et d’instruire les jeunes sur les précautions nécessaires pour éviter les grossesses non désirées.

Quiconque penserait le contraire est invité à produire des idées alternatives et des solutions concrètes, mais nous ne pensons pas qu’il le pourrait car il en est incapable et la plus belle du monde ne peut donner que ce qu’elle a…