M. Fabius, bienvenue, quand même, au Maroc …, par Aziz Boucetta
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Comme tous les visiteurs qui viennent en ce pays, vous y êtes le bienvenu même si vous êtes réputé ne pas trop l’apprécier, ce qui est votre plein droit. Votre passé d’enfant spirituel de François Mitterrand, qui vous a fait, et l’affaire de votre enfant Thomas qui, au Maroc, avait fait ce qu’il a fait, n’y sont certainement pas pour rien. Mais le fait que vous ayez occupé à peu près toutes les hautes fonctions de la République vous procure la posture d’un homme d’Etat, dont vous seriez grandi à adopter le comportement et accepter les contraintes.
Vous venez aujourd’hui au Maroc à l’insu de votre plein gré, vous dont le penchant connu, reconnu et assumé pour l’Algérie, sans que cela ne soit nécessairement un mal, aura néanmoins marqué de son empreinte la position de la France dans le Maghreb post-printemps arabe. Vous êtes aujourd’hui sur notre sol contraint et forcé, contraint par les récents et douloureux massacres à Paris, et forcé par votre président à propos duquel vous auriez dit un jour, à en croire l’Express, « là, j’ai dix ans de plus que Hollande. On n’est pas du tout dans le même rapport que ma position à l’égard de Mitterrand ».
Oh, je sais bien que les règles de courtoisie ne permettent pas de dire cela à un visiteur, mais votre voyage sur nos terres aura trop tardé, a souvent été retardé et intervient aujourd’hui dans un contexte particulier, où votre gouvernement en fait trop, montrant que quand il était encore temps, il n’en avait pas fait assez.
Comment convaincre de votre bonne foi quand, à supposer d’une réelle indépendance de la justice française qui décide seule de ce qu’elle à faire, aucune sanction n’avait été décidée contre ces fonctionnaires de police qui avaient surgi voici un an aujourd’hui devant l’ambassadeur du Maroc, ancien ministre de l’Intérieur de surcroît, munis d’une convocation au nom du chef de la DST, accusé de faits douteux par des gens encore plus douteux ? Je dis supposée indépendance de la justice car il me revient à la mémoire le cas de feu le général Aussaresses, condamné
à 7.500 € (le double pour ses éditeurs !) après avoir rédigé un livre sur ses activités de tortionnaire crapuleux en Algérie, à la satisfaction de l’Action chrétienne pour l’abolition de la torture ACAT ; cet homme n’avait pas été condamné pour les crimes qu’il avait reconnu avoir commis et qu’il s’était dit prêt à re-commettre s’il le fallait, mais pour apologie de crimes…
Ainsi donc, en février 2014, la France était en effervescence électorale, la gauche était donnée perdante et elle a perdu, vous étiez pressenti pour Matignon, mais vous aviez préféré rester à Quai, soutenant l’alors ministre de l’Intérieur Manuel Valls qui ne vous aurait vraiment pas refusé la faveur d’une mesure administrative contre ces policiers (et/ou leurs chefs) aussi lourdement armés que résolument indélicats…
Glissons sur cette fouille au corps infligée au chef de la diplomatie marocaine, votre homologue – qui n’avait certes pas estimé devoir protester alors que les us et coutumes diplomatiques internationales l’y autorisaient –, au sujet de laquelle vous vous étiez contenté de molles excuses alors que vous auriez pu exciper de votre bonne foi en sévissant aussi durement que résolument. Et passons aussi sur ces termes d’alcôve prêtés à l’un de vos ambassadeurs sur le Maroc et la France, et qui n’avaient suscité qu’un rapide démenti, quelque peu hautain, à votre manière, malgré leur gravité.
Aujourd’hui, Monsieur le ministre, le monde évolue rapidement, et les événements s’enchaînent encore plus vite. Daech coupe les têtes aussi sûrement que l’Afrique a relevé la sienne et, dans les deux cas le Maroc a un rôle à jouer pour la France qui, il convient de le reconnaître, a toujours été aussi de son côté dans les moments difficiles. Il serait temps aujourd’hui de conjuguer la coopération bilatérale que vous êtes venu remettre en selle en termes de liberté de circuler, d’égalité entre les partenaires, et de fraternité dans et entre les deux pays. Des notions qui vous sont chères, ou plutôt ainsi on le suppose.
Ces quelques lignes sont certes rudes, cher M. Fabius, mais ainsi sont les règles de l’amitié. Dire ce qu’il faut, quand il le faut, dans des termes qui ne sonnent pas faux.