Journée internationale de la femme … L’œil le plus bleu, par Taoufiq Bouachrine

Journée internationale de la femme … L’œil le plus bleu, par Taoufiq Bouachrine

Le 8 mars de chaque année est le jour où nous regardons les femmes d’une manière différente, où nous nous engageons avec elles dans leur juste combat, pour qu’elles soient des êtres humains et non juste des femelles, pour qu’elles soient citoyennes et non plus seulement femmes, pour qu’elles vivent dans l’égalité avec les hommes, dans la liberté et la dignité…

…pour qu’elles s’intègrent dans leurs sociétés qui portent encore les stigmates  du passé, quand les hommes avaient placé les femmes dans des cages avant de s’en aller vaquer à leurs occupations… et pour qu’elles puissent enfin se libérer de ces carcans de croyances et de traditions que ni les religions ni les sciences n’ont pu défaire, les maintenant recluses dans leurs rôles habituels, entre la cuisine et le lit, gardant le foyer et chargées de la garde des progénitures…

Mais aujourd’hui, mon propos n’est point de rediscuter de cette mentalité machiste et phallocrate qui imprègne toujours notre société et ses membres masculins… Je ne souhaite pas non plus aborder cette situation injuste et inéquitable dont la femme pâtit et ces travers de la société que sont le harcèlement sexuel, la violence verbale et physique, l’exploitation au travail, quel que soit ce travail, et l’inégalité par rapport aux hommes pour des activités similaires… Non, cette année, je laisse le soin à d’autres que moi de parler de tout cela.

Aujourd’hui, je veux m’atteler à une autre forme d’asservissement qui caractérise la femme, celle qu’elle s’impose à elle-même… cet asservissement tient dans le fait qu’elle se veut toujours belle et aguichante pour plaire aux hommes, sensuelle et attirante pour capter les attentions… une chevelure de soie, un visage de la douceur du lac Léman, une silhouette aussi fine et altière qu’une flûte traversière, une dentition parfaite comme les dents d’un peigne, les yeux bleus d’une naïade écossaise, marchant dans la rue avec la grâce d’une panthère et exigeant les mêmes avantages et attributs  que l’Américaine Kim Kardashian …

Ce n’est pas là une mode passagère ou encore des goûts spontanés… non, c’est le résultat d’une puissante politique de marketing engagée à grands coups de milliards par les géants de l’industrie cosmétique qui vendent l’image d’une femme, de LA femme belle et séduisante, aguicheuse et attirante, cette créature dont parle notre Zina Daoudiya quand elle dit qu’ « elle veut mettre les hommes en émoi » (dir hala f rejjala, en VO).

Il y a, donc, des femmes qui ne quittent un salon de beauté que pour vite y revenir… Il existe aussi des femmes qui engloutissent leur argent dans leur maquillage, leurs parfums et leurs accoutrements bien plus qu’elles ne dépensent pour leur santé, leurs études, leur culture et leurs autres besoins plus physiques et esthétiques que mentaux et académiques… Un grand nombre de ces dames passent souvent deux heures devant leur miroir


avant de s’en aller à leurs occupations, qui prennent sur leur temps de sommeil afin de paraître sous des dehors qui ne sont pas les leurs. Oui certes, la préoccupation pour l’apparence est un caractère typiquement féminin, mais que cela devienne une obsession, voilà qui plonge la femme dans une forme d’esclavage soft à l’égard de l’industrie hard de la cosmétique, qui ponctionne des milliards chaque année, directement dans les poches des femmes…

En 1993, la romancière et éditrice noire américaine Toni Morrison avait reçu le prix Nobel de littérature, cinq ans après avoir obtenu le Pulitzer, pour l’ensemble de son œuvre marquée par le grand roman « l’œil le plus bleu », un livre qui relate l’histoire de Pecola, une jeune Noire qui priait pour avoir des yeux bleus ; elle avait onze ans et personne ne l'avait jamais remarquée, mais elle se disait qu'avec des yeux bleus tout serait différent. Dans ce roman, l’auteure dévoile la réalité des femmes noires de peau en conflit ouvert avec  deux adversaires : l’homme blanc qui méprise les Noirs et l’homme noir qui se fait violence pour imiter le Blanc, faire siens les critères des Blancs, voir comme le Blanc, faire comme le Blanc, aspirer à devenir blanc… Pecola en rêvait la nuit dans son sommeil et le jour, en plein éveil… Pecola voulait avoir les yeux bleus, ignorant qu’elle s’enfermait dans une double captivité, quand elle accepte d’être l’esclave du regard de l’Autre et aussi lorsqu’elle s’impose de faire comme…

Chère Madame, vous méprisez votre personne dès lors que vous ne l’acceptez pas telle qu’elle est… que vous ne brisez pas les chaînes qui vous enserrent et que vous vous appropriez les critères que d’autres ont décidés pour vous ; vous vous enfermez vous-même dans la cage que d’autres vous ont ouvert la porte métallique, grinçante, menaçante.

Il m’arrive de me promener dans cette république bleue appelée Facebook et je note que la plus grande partie des commentaires des jeunes vont vers les visages de femmes, les silhouettes de femmes, les fripes des femmes, la coquetterie de ces dames… mais rien sur leurs idées, leurs opinions et leurs soucis et combats… ces jeunes d’aujourd’hui sont les adultes de demain, et les idées et clichés d’aujourd’hui seront les comportements de demain aussi. Le problème est que la technologie de la communication, en évolution constante, ne nous projette nullement vers la modernité et le changement, car la profondeur intellectuelle est restée enfermée dans le passé et l’apparence artificielle est une chose contemporaine, en perpétuel changement.

Regardez, pour vous en faire une idée, je vous prie, comment cet homme supposément progressiste et répondant au nom de Driss Lachgar, qui dit défendre l’égalité des hommes et des femmes devant l’héritage, a épinglé l’artiste qu’est Fatima Tabaamrante pour le simple fait qu’elle se soit engagée en politique et qu’elle siège à côté de lui au parlement…

Akhbar Alyoum