Une malheureuse sortie médiatique, par Sanaa Elaji

Une malheureuse sortie médiatique, par Sanaa Elaji

J’ai visionné l’interview de Mustapha el Khalfi par le journaliste d’Europe 1. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais dire que je n’entérine pas certaines formes de moqueries dont a fait l’objet notre ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement. Il est utile de pouvoir critiquer un responsable politique pour ses faits et gestes mais dans les limites de la courtoisie, du respect de la personne et de sa dignité, autant de choses qui doivent absolument être préservées.

Cela n’empêche pas de dire que cette sortie médiatique de Mustapha el Khalfi était on ne peut plus médiocre, car il aurait dû et pu offrir aux observateurs au Maroc et en France un entretien à la hauteur de leurs attentes, tant dans le fonds que dans la forme.

Il était clair que Mustapha el Khalfi n’était pas à son aise en français, une langue qu’il n’a pas su maîtriser. Et, pour rappel, c’est exactement ce qui était arrivé à Abdelilah Benkirane à ses débuts à la tête du gouvernement, quand il avait si mal répondu aux questions de journalistes d’une chaîne française. Il était alors évident que l’homme réfléchissait en arabe et transformait ensuite ses réponses en français, ce qui conférait à certaines de ses phrases une allure clownesque, parfois catastrophique.

Ce n’est pas un mal qu’el Khalfi ne parle pas un français pur ; un ministre doit certes connaître les langues étrangères, mais ce n’est pas vraiment nécessaire pour qu’il puisse exercer convenablement ses fonctions. En revanche, en homme politique responsable, il aurait pu décliner l’invitation à un entretien dans une langue qu’il ne maîtrise pas. Il aurait pu, et aussi dû, par exemple, demander de s’exprimer dans sa langue, et que ses propos soient ensuite traduits en français. La rédaction aurait alors pris la responsabilité de la traduction, exactement comme si un responsable marocain s’était exprimé devant une chaîne allemande ou chinoise. Nous ne pouvons exiger de nos dirigeants de parler toutes les langues de la terre mais,


en contrepartie, nous leur saurions gré de délivrer des réponses pesées, réfléchies, représentant dignement le pays.

Et puis, au-delà de la langue, il y avait aussi la préparation du contenu, qui manifestement n’était pas au rendez-vous ce jour-là. Il était évident que ni le ministre ni son cabinet n’avaient travaillé le fonds, comme cela se fait dans tous les pays du monde. Cela ne signifie pas que les questions doivent être connues à l’avance et leurs réponses travaillées avant l’entretien. Non… mais on doit prévoir les questions afin que l’interviewé soit correctement préparé à les affronter, et à y répondre. Comment est-il possible que le porte-parole du gouvernement aille à une radio française, dans cette conjoncture qui se caractérise par la fin d’une longue période de brouille, et qu’il ne dispose pas de réponses convaincantes sur ce qui s’est passé ?

Nous avons vu un entretien du même ministre sur à peu près le même sujet, avec des journalistes d’al Jazeera. Il a délivré une prestation honorable. Cela veut dire que ce qui lui manquait sur Europe 1 était un minimum de préparation, et aussi une langue dans laquelle il aurait été plus à l’aise. Mustapha el Khalfi est parti dans les studios d’Europe 1 non en sa qualité de dirigeant du PJD, mais de ministre et porte-parole du gouvernement. Sa responsabilité était plus grande et plus importante.

Cela nous conduit à la conclusion, qui est essentielle : l’obligation de la préparation à la communication avec les médias, comme cela se fait ailleurs. Or, la plupart de nos dirigeants ne prennent pas la chose au sérieux. La tâche d’un ministre en général, et d’un porte-parole en particulier, n’est pas simple, et elle est encore moins un chemin pavé de roses ; il existe des techniques que ces responsables doivent maîtriser pour éviter parfois de répondre à des questions embarrassantes, sans paraître hésitants, cafouilleux ou manquant de confiance en eux-mêmes ; et c’est précisément ce que ne comprennent pas nos politiques, et ce dont tirent profit les journalistes, à leur grand bonheur.