Lynchage et acharnement, par Aziz Boucetta

Lynchage et acharnement, par Aziz Boucetta

Mustapha el Khalfi  file un mauvais coton depuis quelques jours, et plus précisément depuis jeudi dernier, quand il s’est laissé inviter par des médias français. Europe 1, RFI… les journalistes se sont lâchés et ont voulu tout savoir de la bouche d’un ministre qui ne voulait pas forcément tout dire. Refuser de communiquer pour un ministre de la Communication n’est pas, en effet, une situation ordinaire ; mais est-ce là une raison pour procéder à son lynchage, avec tout cet acharnement ? Là est la question.

Dans le studio d’Europe 1, el Khalfi a régulièrement prononcé une expression, devenue depuis culte : « Je suis clair ». Les médias, les internautes et tout le monde s’en est donné à cœur joie, faisant montre d’un humour décapant, créant des situations et publiant des photomontages très drôles.

Mais que reproche-t-on à ce ministre quadragénaire, trois fois bachelier (maths, sciences expérimentales, lettres), trois fois licencié (physique, science politique, études islamiques), titulaire d’un DEA et doctorant ? D’avoir très mal répondu, dans un français approximatif, à des questions légitimes. Soit.

Ceux qui ont vraiment regardé sa prestation sur Europe 1, de bout en bout, ont dû noter que le français du ministre est quasi parfait, l’accent en moins. Mais, pour autant, est-ce une tare de parler avec accent une langue étrangère ?  Que ceux qui reprochent à el Khalfi de ne pas parler le français s’interrogent sur leur propre maîtrise de leurs langues nationales à eux… La récente polémique sur Rachid Belmokhtar qui a reconnu « ne pas connaître l’arabe » n’a suscité la colère de personne… voici quelques mois, l’autre ministre qu’est Hafid el Alamy


avait commis de sérieuses erreurs en arabe, au parlement, mais personne n’en avait eu cure… Y aurait-il quelque chose de pourri au royaume du Maroc ?

Emmanuel faux d’Europe 1 a voulu entraîner Mustapha el Khalfi sur deux terrains glissants : d’abord  la polémique franco-française sur la Syrie et les discussions avec le dictateur local et ensuite sur les accusations pour pratique de la torture émises contre le chef de la DST marocaine. Le ministre a « clairement » refusé de se laisser attirer dans ces questions piège. Peut-on décemment reprocher à un responsable de protéger des hauts fonctionnaires, et de refuser de revenir sur un sujet qui a été à l’origine d’une crise d’un an entre Paris et Rabat ?

La relation franco-marocaine, moribonde encore voici quelques semaines, est en convalescence. Un journaliste n’en a cure, mais un ministre, si. Mustapha el Khalfi n’est pas directeur de la Communication, qui doit plaire aux autres, mais un ministre de la Communication, qui doit satisfaire les uns et les autres ; ce n’est pas toujours gagné, et quand c’est perdu, le lyncher est déplacé.

A-t-on réellement la naïveté de penser qu’un porte-parole parle autrement qu’en langue de bois ? Un porte-parole est, par tradition, chargé d’affronter les médias sur, bien souvent, des sujets sur lesquels les gouvernements sont embarrassés et refusent de communiquer. Que les journalistes critiquent le mutisme d’un porte-parole est une chose, ils sont dans leur rôle, mais que tout le monde (médias compris) procède à ce lynchage méthodique et s'en délecte en est une autre ;on est dans l'excès et l'abus.