La darija, d’Ayouch à Benkirane, par Ahmed Amchakah

La darija, d’Ayouch à Benkirane, par Ahmed Amchakah

A mesure qu’approche l’échéance que s’est fixée le Conseil de l’éducation et de la recherche scientifique pour remettre son rapport sur la réforme de l’enseignement, on voit apparaître ici et là des rumeurs, des idées, des suggestions, comme ces ballons d’essai qu’on lâche pour tester et éprouver ce qui doit l’être. Parmi ces ballons, la question de la darija que M. Ayouch nous a suggérés d’introduire dans les premières années de l’enseignement fondamental si on veut garantir un succès de l’école publique.

Cela nous a replongés dans la même polémique qu’il y a quelques mois, surtout maintenant que M. Ayouch est membre du Conseil de l’éducation, au grand dam d’Abdelilah Benkirane. Aujourd’hui, à l’approche du délai de remise du rapport, le chef du gouvernement est sorti de son silence pour s’exprimer sur la question de la darija et exprimer son courroux de la voir introduite dans le cursus pédagogique des écoliers, expliquant que ce serait là une mesure que les Marocains refuseront de voir appliquée.

Mais le plus étrange dans cette histoire entre Benkirane et Ayouch, de cette question de l’apprentissage en darija, est que le premier, dirigeant le gouvernement, n’hésite pas à attaquer avec virulence le second, dirigeant de Zakoura, allant jusqu’à le qualifier de marchand qui a fait fortune dans l’enseignement, tantôt dans l’éducation informelle tantôt avec ces histoires de ressources numériques que le patron de Zakoura veut introduire un peu partout. Tout cela entre dans le cadre de la riposte à l’accord de partenariat signé entre Ayouch et le ministre de l’Education nationale dans le gouvernement Benkirane, M. Rachid Belmokhtar.

Nous nous sommes donc retrouvés face à une question brûlante : qui croire ?… Benkirane, qui voit en Ayouch un simple manœuvrier percevant  20.000 DH pour chaque élève dans le secteur informel de l’enseignement, ou Belmokhtar qui a signé une convention de partenariat avec Ayouch, non seulement pour tous ces élèves en déshérence, ou pour la darija qui a suscité toute cette passion, mais aussi pour ce qui concerne le soutien scolaire, la lutte contre la déperdition scolaire etc… ? On est un peu dans une situation où M. Belmokhtar aurait confié tous les secteurs et priorités de son ministère à Ayouch…

Ce qui se produit dans ce département si sensible remet au goût du jour et confère toute sa légitimité à la question fondamentale suivante : « Qui dirige ce pays ? ». Belmokhtar n’est-il pas ministre dans un gouvernement dirigé par Benkirane ? Alors pourquoi le


chef du gouvernement a-t-il accepté cet accord de partenariat d’un ministère avec un individu qu’il accuse de faire commerce avec l’avenir du pays et le devenir de ses habitants ?

Rachid Belmokhtar est certes un ministre « technocrate » qui ne s’en cache pas mais il est aussi un responsable qui travaille dans le cadre d’une équipe,  en l’occurrence un gouvernement supposé exécuter un programme préalablement défini. C’est pour cela que les mécontents sont légion et qu’ils continuent de se multiplier face à cette situation qui caractérise notre école publique et qui consiste à lancer un programme de réformes à mi-mandat de Benkirane sans que le même Benkirane en soit vraiment convaincu !…

Las. Entre Benkirane et Ayouch, la guerre de la darija ne fait que commencer.

Dans une première manche de cette lutte épique de l’apprentissage de la darija dans les premières années élémentaires, s’était posée la question du vocabulaire et du dictionnaire qui va avec. Lors du fameux débat télévisé qui avait opposé Ayouch à Abdallah Laroui, ce dernier avait exposé toutes les difficultés à mettre en place un tel dictionnaire et il avait longuement expliqué que c’était cette difficulté qui empêchait et empêcherait la darija de conquérir le statut de langue d’apprentissage.

Mais Ayouch ne s’état pas déclaré vaincu. Il avait réuni autour de lui des enseignants et pédagogues qui lui avaient concocté un tel dictionnaire pour faire de la darija ce qu’imaginait le patron de Zakoura.

Mais dans cette première manche, l’ensemble des arguments développés par Ayouch pour imposer la darija dans les trois ou quatre premières années du primaire ne tenaient pas, et se sont effondrés au premier examen sérieux. Et ainsi, il était apparu que le problème de l’enseignement au Maroc n’était pas à ce niveau linguistique, malgré son caractère sensible, mais ailleurs.

Aujourd’hui, il semblerait bien que notre homme Ayouch soit en train de remporter une bataille, envers et contre les positions du chef du gouvernement. C’est du moins de l’avis de ceux qui ont pu parcourir une copie du rapport du Conseil, en train d’être finalisé. Cela a suscité la stupeur de plusieurs observateurs, qui posent la question de savoir si Abdelilah Benkirane ruera dans les brancards contre Ayouch et sa darija ou si, à l’inverse, il renouera avec la pratique de dame autruche, ainsi qu’il l’a fait auparavant à maintes occasions…

Dernière question : devrons-nous attendre une autre sortie du grand intellectuel Laroui afin de faire reculer Ayouch et sa darija ?

Al Massae