La France et nous, par Noureddine Miftah

La France et nous, par Noureddine Miftah

La crise entre la France et le Maroc s’est finalement résolue d’une manière inattendue. Voici un an, en effet, des éléments de la police judiciaire française s’étaient présentés à la Résidence de l’ambassadeur du Maroc à Paris pour lui remettre une convocation au nom d’Abdellatif Hammouchi, patron de la DST, en raison de plaintes pour tortures le concernant, et la semaine dernière le ministre français de l’Intérieur était à Rabat pour faire un éloge appuyé du même Hammouchi et annoncer sa prochaine décoration de la Légion d’honneur française.

Une année, donc, a été perdue dans les méandres de ce grand malentendu initié par des personnes hostiles au Maroc pour diverses raisons les animant. Dans cette affaire, ce sont des intérêts particuliers qui ont présidé à l’effondrement d’une entente entre deux pays pourtant unis par de profonds liens historiques, tant heureux que malheureux, et d’aussi profondes relations bilatérales fondées bien plus sur le culturel et le social que sur le politique.

La solution à cette crise franco-marocaine doit être appréhendée sous l’angle du gagnant-gagnant et non à travers un prisme unilatéral où l’un dominerait l’autre. Tout accord nécessite des concessions et toute concession doit être considérée comme honorable et non comme une marque d’infamie ; quand un camp estime qu’il a fauté et que, par la suite, il reconnaisse sa faute, cela est un point fort et absolument pas une faiblesse. Quant à la défaite en rase campagne, elle a été le lot de ceux qui aspiraient à voir cette relation entre les deux pays définitivement rompue afin qu’eux marquent des points dans la provocation et l’esprit de revanche.

Ceux qui auront connu la relation du Maroc avec l’Espagne du temps de l’ancien premier ministre Aznar auront du mal à admettre l’entente et la coopération qui règnent entre les deux capitales aujourd’hui, à l’ère du dauphin d’Aznar au parti populaire, Mariano Rajoy ; cette relation a ouvert la voie à bien des domaines de collaboration, tant économiques que sécuritaires. Aussi, les relations entre Paris et Rabat sortiront renforcées de cette crise, maintenant qu’elle a été résorbée. Il est juste de dire que l’ancien chef de l’Etat français, Jacques Chirac, entretenait des relations quasi familiales avec la famille royale et que son successeur Nicolas Sarkozy a une amitié particulière avec le roi Mohammed VI, et cela a eu un très fort impact sur les relations bilatérales. Mais penser que l’arrivée des socialistes français au pouvoir à Paris équivaut immanquablement à la détérioration des liens d’amitié entre le Maroc et la France est une idée fausse car l’idéologie ne marque plus d’une manière aussi forte qu’avant les relations internationales, alors a fortiori celles régnant entre deux nations que l’histoire a autant rapproché…

La France, avec sa gauche et sa


droite, a des fondamentaux immuables, dont la défense de son influence économique et culturelle dans certains pays particuliers. Et parmi ces pays, le Maroc où la francophonie représente tout un courant sociétal. Si notre pays n’a pas emboîté le pas à certains Etats africains anciennes colonies de la France et qui ont fait du français leur langue officielle, force est de constater que dans la réalité marocaine, la langue de Molière est une langue officielle qui concurrence l’arabe dans bien des domaines vitaux, comme le monde des affaires, le secteur des finances et le privé. Quant à la classe moyenne, elle est très majoritairement en faveur du français comme tremplin pour sa progéniture ; de très nombreux ménages utilisent cette langue à la maison et les enfants, dès leur jeune âge, maîtrisent le français bien mieux et bien plus que l’arabe.

Or, cette réalité marocaine, la France l’observe avec une grande attention, tant sa gauche que sa droite, tant ses socialistes que ses libéraux, car c’est la culture qui garantit les bonnes relations sur le long terme et non la politique et ses évolutions. Au Maroc, nous avons cette particularité de disposer d’une société scindée en deux parties, l’une francophone et l’autre arabophone. Ceux qui œuvrent à creuser les écarts et les ruptures entre ces deux franges de la société font fausse route car le bilinguisme est une richesse pour ce pays ; et donc, les extrémistes des deux camps arabophone et francophone ne réussiront jamais à changer les choses et à prendre l’avantage sur l’autre.

Aussi, la France demeurera pour longtemps encore au centre de nos préoccupations : il y aura toujours plus français que les Français, de même qu’il y aura d’autres personnes qui estimeront que la France est un mal qu’il faut rejeter dans son ensemble. Mais plus sage serait que le Maroc arrive à conceptualiser une bonne entente et un bon équilibre culturels, qui ne pourront être véritablement mis en œuvre qu’à partir de l’école et en se fondant sur les intérêts supérieurs du pays.

Sur le plan économique, si la France tient le rôle de leader, il faut éviter que Paris ne garde son droit de veto non déclaré au Maroc et ne considère aussi que les marchés qu’il remporte sous nos cieux sont la contrepartie de certaines de ses positions en notre faveur. Et donc, l’évolution des relations franco-marocaines doit être bâtie sur l’intérêt mutuel et le gagnant-gagnant afin que nul ne soit perdant. Mais si le sentiment de mépris perdure dans ces relations, alors les bas deviendront plus nombreux que les hauts, et les deux peuples en sortiront perdants.

Aujourd’hui, la crise a eu une fin heureuse, et il ne reste plus qu’à espérer la pérennité de ce bonheur…

Al Ayyam