(Billet 910) – Le Maroc en deuil, les Marocains endeuillés

(Billet 910) – Le Maroc en deuil, les Marocains endeuillés

8 septembre, 23h11, la terre tremble au Maroc, précisément dans la région d’al Haouz, à quelques dizaines de kilomètres de Marrakech, avec un épicentre en pleine montagne, 7 degrés sur l’échelle ouverte de Richter. Une grande partie du Maroc et des Marocains ont ressenti les secousses et leurs répliques, durant de longues, d’interminables secondes ; simples frayeurs pour les uns, désastre pour les autres, proches de l’épicentre. A l’arrivée, une hécatombe humaine, un désastre social, un drame national. Et quelques constatations…

1/ Le roi. Comme pour la crise Covid, le roi Mohammed VI entre en scène très rapidement. Moins de 20 heures après la catastrophe, et alors qu’il se trouvait (dit-on) en déplacement privé en France, le chef de l’Etat est de retour à Rabat, où il réunit une cellule de crise composée des principaux concernés (et eux seuls), entérine les décisions déjà prises plus tôt dans la journée, et entrées immédiatement en mise en application. L’absence du ministre des Affaires étrangères montre également, à ce stade, que la priorité n’est pas l’assistance étrangère et que les services d’ordre, de sécurité et de protection (armée, autorités locales, sécurité) sont au front.

2/ La société civile. Très tôt aussi, ce même samedi, la mobilisation se crée, monte en puissance et les gens essaient de s’organiser, spontanément, massivement, tristement, comme voici trois ans pour la Covid. ONG et autres institutions de la société civile, comme la Banque alimentaire, sont en pointe, mais l’action est aussi individuelle ou entre groupes (amis, quartiers, collègues de travail, famille…). Les interminables queues devant les centres de transfusion sanguine dévoilent l’étendue de la solidarité individuelle et spontanée.

Si les ministères de l’Intérieur et de la Santé sont incontournables (d’où la présence des deux ministres à la réunion avec le roi), et si d’autres comme le Budget travaillent en sous-main, on constate que le gouvernement, en tant qu’institution politique, émanation populaire, est absent. Rien dans les médias, ou presque, rien sur le terrain, ou peu s’en faut.

Entre les points 1/ et 2/, c’est en quelque sorte une concrétisation du « vœu » du Nouveau modèle de développement, « un Etat fort, une société forte ». Manquent les corps intermédiaires, mais cela est une autre affaire…

3/ Les premiers secours. Dans l’emballement médiatique et numérique né du séisme, de sa puissance et des ravages dont on ne fait que commencer à mesurer l’ampleur, on oublie que nous ne sommes qu’à la troisième journée de l’ « après ». Les secouristes publics ou privés, d’ici ou d’ailleurs, découvrent l’étendue du désastre à mesure que le temps avance. Rescapés, survivants, blessés, personnes vulnérables à sécuriser… tout cela concerne des centaines de milliers de personnes, vivant ou ayant vécu dans des zones montagneuses aux accès ordinairement difficiles et aujourd’hui presque fermés. Mesurer l’ampleur des dégâts et la nature et le volume des aides, donc, et comme cela a été précisé par le ministère de l’Intérieur, les faire croiser avec les propositions d’aides venues du monde.

Il ne sert à rien, et il serait même contre-productif, d’ajouter du chaos au chaos,...

il est impératif d’organiser les flux d’assistance locale et étrangère pour les additionner rationnellement aux matériels déjà massivement déployés par les autorités marocaines, hôpitaux de campagne, hélicoptères, engins de terrassement.

4/ L’empathie internationale. Un demi-siècle d’engagement du Maroc dans à peu près tous les désastres du monde a montré ses effets. Les messages de compassion affluent, les mots sont soigneusement choisis pour la dire, l’insistance à apporter l’aide nécessaire augmente, les décisions de mobilisation des Etats et des territoires se multiplient de jour en jour un peu partout dans le monde, d’Asie et d’Europe, d’Amérique et bien évidemment d’Afrique. Le Maroc est un pays hospitalier, volant volontiers au secours d’autres pays en difficulté, et aujourd’hui, il en reçoit les « dividendes ».

5/ L’aide étrangère immédiate. Une centaine d’Etats ont proposé l’assistance de leurs équipes pour les opérations de secours et de déblayage et parmi elles, celles du Qatar, de l’Espagne, des Emirats Arabes Unis et du Royaume-Uni sont déjà à pied d’œuvre, s’ajoutant aux quelques 50.000 personnels marocains (protection civile, armée, autorités locales, sécurité, …). Le débat sur « le refus de l’aide étrangère par le Maroc » reste un débat limité aux médias français, pour ne pas changer…

6/ L’aide étrangère à venir. Un point restera à observer, à scruter, celui du montant qui sera alloué par les pays amis. Il sera intéressant de considérer combien l’Europe, dont les 27 membres du Conseil ont tous signé le message de condoléances et de compassion au roi Mohammed VI, attribuera au Maroc. Pour rappel, les Etats-Unis ont alloué plus de 27 milliards d’euros à l’Ukraine en aides non militaires et l’UE s’est engagée pour un total de plus de 5 milliards d’euros en aides humanitaires d’urgence, protection civile, reconstruction d’infrastructures…

7/ Les abrutis. Il y en a eu très peu, du type de ceux qui crient à la colère divine, qui s‘écrient que le tremblement de terre est le juste prix du stupre, du lucre et de la luxure dans lesquels vivrait Marrakech. Ces abrutis sont peu nombreux, et sitôt sortis de leurs trous, ils sont magistralement recadrés par les autres internautes.

D’autres abrutis, d’un autre genre, sont les éternels bienpensants locaux des réseaux sociaux, qui se voient et nous voient dans ces médias étrangers, principalement français, prompts à critiquer, s’appuyant sur des « secouristes » cherchant plus leur quart d’heure de gloire que l’assistance efficace à des populations meurtries.

 

Aujourd’hui, l’heure est à la mobilisation pour nos compatriotes endeuillés, sans logement, sans nourriture, sans rien, car il en reste encore beaucoup dans les zones enclavées ; images terribles de ces douars délaissés, de ces gens en pleurs, meurtris, désemparés, ruinés… Dans cette lutte contre la montre, pour sauver ceux qui peuvent encore l’être et pour protéger et rassurer les rescapés, il faut organiser et canaliser les opérations de secours, laisser les pouvoirs publics faire leur travail et aussi, agir sur la psychologie de ces populations car le mental est aussi important que le matériel dans la gestion de la catastrophe.

إنا لله و إنا إليه راجعون

Aziz Boucetta