Agroalimentaire: Aicha Kortbi fait une radioscopie du secteur

Agroalimentaire: Aicha Kortbi fait une radioscopie du secteur

Bien que affectés par un ralentissement des échanges, les indicateurs du secteur agroalimentaire marocain ont su résisté à la pandémie, bien que booster par une forte demande. Mme Aicha Kortbi, Ingénieur Experte en Industrie agro-alimentaire et en Management QHSE décortique les clés succès du secteur.

Aicha Kortbi a 31 ans d’expérience professionnelle dans le secteur agricole et agroalimentaire, elle accompagne les entreprises en Management stratégique et organisationnel, en Gestion de production, en Management liés aux normes qualité Hygiène sécurité environnement « QHSE » et en Management des ressources humaines. Elle réalise  les études de marché, Business Plan et accompagne les investisseurs.

En termes de chiffres, quel a été l’impact de la pandémie dans le secteur agroalimentaire (Nombre d’entreprises en faillites, licenciements, autre impact quantifiable)?

A mon sens, il est primordial de savoir d’abord que ;

L'industrie agroalimentaire est un secteur stratégique au Maroc en raison de son importance économique et sociale, et ce de part sa participation à l’amélioration de la balance commerciale et à la création d’emploi.

Il représente un des meilleurs atouts de développement de notre pays de part ces Indicateurs :

  • Le secteur représente 6% du PIB, génère 30 milliards de Dhs en Valeur ajouté soit 26 % du PIB industriel (30% de la valeur ajoutée) et 12% de l’emploi permanent hors conserve de poisson,
  • Le secteur est un pilier de l'économie marocaine en termes de sécurité alimentaire, de croissance, d'emploi, de commerce extérieur et une source importante de rentrée de devise.

En 2020, 62,5 milliards de Dhs de devise rapporté par le secteur Agriculture et Agroalimentaire et classé troisième des 10 secteurs d’activités apportant de la devise au Maroc.

  • Le secteur regroupe environ 2000       entreprises soit 22 % des industriels et emploi plus de 150 000 personnes, soit 25% de l’effectif industriel global
  • 115 milliards de dirhams du Chiffre d’affaires (CA).
  • 19% des investissements industriels
  • 12% des exportations industriels

Le tissu des IAA marocaines demeure néanmoins essentiellement composé de PMI (sont considérées comme telles les entreprises de moins de 200 salariés) puisqu'elles représentent 95% des IAA. Mais celles-ci n'assurent qu'un peu moins de la moitié de la production agro-alimentaire alors que les 50% plus importantes en assurent près de 55%. 

Effectivement, la crise sanitaire de COVID-19 a mis plusieurs secteurs dans une situation difficile, dont l’industrie agroalimentaire. Cette période pandémique a aussi confirmé que ce secteur était vital pour le pays, qui, en plus, a montré une forme de « résilience » comparativement à d’autres secteurs.

Les conséquences de la pandémie de COVID-19 ont eu un impact dans le secteur de l’agroalimentaire sur plusieurs plans ; financier, Chiffre d’affaire à l’export/ au marché intérieur, Production, Chaine de valeur…

Quelques indicateurs disponibles en chiffre

  • Le chiffre d'affaires de l'industrie agroalimentaire marocaine a diminué de 30 % et les ventes de certaines filières de l'industrie agroalimentaire ont chuté de 40 % (en 2020).
  • La majorité des entreprises fonctionnaient à 26-50 % de leur niveau d’activité normale. Quelques entreprises ont dû arrêter leur activité nécessitant un effectif important de personnel (production de fruits surgelés par exemple) vu qu’il fallait respecter les exigences barrières de la pandémie COVID.19 (Distanciation,…) ou ont fermé leur entreprise à cause de la crise.

Selon les estimations de la FENAGRI la perte potentielle que le secteur agroalimentaire risquait de subir si rien n'était fait, atteindrait 17,3 Milliards dhs, certaines filières enregistrant jusqu'à 65 % de baisse d'activité.

  • La Situation financière était acceptable pour la majorité des entreprises.

Seul un nombre très restreint d’entreprise étaient soit très solide financièrement, soit très faible au bord de la faillite et de la cessation de paiement.

Certaines entreprises qui dépendent du marché intérieur et de l'importation de fournitures étaient dans une situation financière difficile.

  • La perte de fonds de roulement était aussi un des impacts de la pandémie sur le secteur de l’IAA et s’était considéré comme le plus grand défi des industriels, suivi par le retard de paiement des clients, les difficultés à payer les factures et les difficultés à payer le personnel. Si les difficultés de paiement du personnel ont probablement un impact sur les entreprises qui prévoient de réduire leur personnel, le plus grand défi à long terme pour les entreprises sera la perte de fonds de roulement.
  • La fermeture d’entreprise du secteur concerne juste 3% des IAA à cause de la crise (par extrapolation et supposition (de manière empirique) au moins 20 entreprises des 572 ont fermé).

Les impacts de la pandémie sur l’économie marocaine ont été observé au niveau de la réduction du Chiffre d’affaire des sous secteurs concernés à la valeur ajoutée manufacturière (VAM).

La perte due à la crise COVID.19 pourrait atteindre environ 3 millions KMAD pour l’année 2020 soit environ -40%. De même la réduction globale des exportations sur une base annuelle pourrait être de 5 millions KMAD. (Filière pêche non inclus)

La crise COVID.19 a aussi engendré d’une part un double effet au secteur de l’agro-industrie, sur l’offre (cas des entreprises qui ont eu un problème d’approvisionnement et moins de commandes Nationales et Internationales) et sur la demande (baisse du pouvoir d’achat du consommateur due à la réduction des revenus des ménages), et d’autre part un impact socio-économique comme l’IAA a une dépendance aux importations et exportations.

Ainsi, le Maroc a connu pendant la crise de pandémie des situations difficiles tels ;

  • La Faiblesse de la demande des marchés intérieurs et exports
  • La Réduction des canaux de distribution
  • Le Coût de la MP matières premières nationales et importées est devenu plus coûteux
  • La Réduction de la productivité
  • Le Besoin de soutien pour certains IAA pour leur continuité.

Quelles peuvent être les conséquences au niveau de la balance des paiements?

Sur cette question, on ne peut se prononcer que sur la balance commerciale et non sur la balance de paiement


qui est liée à d’autres comptes (recettes touristiques, transferts MRE…etc). Ainsi selon la publication de l’Office des changes sur les statistiques des échanges extérieurs à fin février 2021, les exportations s’en sortent bien avec une baisse limitée à 2,5% ou 1,2 milliards de DH par rapport à fin février 2020.

Englobent ainsi la contre-performance de l’agriculture/agroalimentaire évaluée à (2%).

De même, les importations accusent une baisse à un rythme plus soutenu : -7,4% ou -6 milliards de DH, totalisant 74,6 milliards. Englobant entre autre la baisse des achats des produits alimentaires évaluée à (-2,5%).

D’où un allègement du déficit commercial qui passe de 29,6 à 24,9 milliards de DH, en baisse de 16%.

Quels sont les secteurs de l’agroalimentaire les plus touchés ?

Au niveau du marché à l’export, Seules les entreprises des sous-secteurs du chocolat et de la confiserie, du poisson et, dans une certaine mesure, des jus de fruits, sont durement touchés par le repli du marché d'exportation, car ces entreprises tirent un pourcentage dominant de leurs recettes de l'exportation. La réduction des ventes sur les marchés d'exportation a eu un impact moindre sur les sous-secteurs des biscuits, de la volaille, des boissons gazeuses et de l'eau, du thé et du café.

Au niveau du marché intérieur, certains sous-secteurs ont connu une légère réduction des commandes intérieurs (biscuits, jus…), alors qu’il n’y a eu aucune variation des commandes du marché intérieur pour certains produits tels que les huiles alimentaires, les produits laitiers, le thé, de poisson, des pâtes, du couscous, des sodas et de l’eau.

Les entreprises spécifiques des sous-secteurs des pâtes et du couscous, de la volaille et du café, sont les plus touchés par la perte de commandes sur leurs marchés primaires

Le secteur des fruits et légumes reste le plus touché par les perturbations dus à la pandémie. Ceci en termes de pourcentage de réduction de commande et de chiffre d’affaire (marché intérieur et à l’export).

En conclusion, les secteurs dont les conditions financières étaient plus solides avant la crise et dont la demande est plus forte pendant la pandémie, étaient en mesure de faire face pendant une longue période, c’est le cas des secteurs qui englobent les huiles alimentaires, les pâtes alimentaires et couscous, le thé et le café et les boissons gazeuses.


Comment appréhendez-vous le plan de relance ?

Le plan de relance est venu pour redresser l’économie marocaine en veillant au renforcement et au soutien à la compétitivité des entreprises y compris celles du secteur agroindustriel et ceci à travers deux dispositifs principaux : un dispositif de prêts garantis par l'Etat et un Fonds d'investissement stratégique.

Cet effort monétaire traduit par une injection de liquidité devrait bénéficier aux entreprises, à travers le financement de leur besoin en fonds de roulement, particulièrement celles touchées par la crise sanitaire, et à travers le soutien de la reprise de l’activité économique via la promotion de l’investissement privé et public. 

A mon avis, le plan de relance devrait accompagner les opérateurs du secteur IAA dans la reconquête des marchés en fonction de la dépendance des filières aux exportations et aux importations. Ainsi, trois catégories de stratégies peuvent être définies et par conséquent soutenues ;

  1. Pour les filières dont les produits sont destinés à l’export: Recherche des Marchés alternatifs avec nécessité de diversification vers des produits nouveaux plus demandés ;
  2. Pour les produits intermédiaires dépendants des importations: Adopter une nouvelle stratégie qui consiste à compenser l’augmentation des coûts (réduction des taxes à l’importation, un assouplissement de la règlementation relative aux importations et d’autres mesures de baisses des couts unitaires dans les entreprises), Substituer les approvisionnements à l’international par la production nationale (mise en place des incitations massives à la production et un soutien au développement des entreprises nationales).
  3. Les filières qui dépendent du marché intérieur dont les Produits alimentaires de base destinés au marché intérieur : adopter une politique de réduction des prix, Augmentation de la protection vis à vis des importations, Se diversifier dans des produits nouveaux et améliorés, mener des Campagnes de marketing pour stimuler la demande.

 Risque-t-il d’y avoir une politique de révision des prix ? Et que faudrait-il faire pour préserver les ménages ?

Malgré le rebond des cours des matières premières agricoles importées, l’inflation devrait continuer à évoluer à des niveaux relativement contenus au cours de l’année 2021 et ceci selon l’estimation du HCP. Ceci peut s’expliquer par le fait que 2021 est une bonne année agricole et les faibles pressions émanant de la demande seraient de nature à maintenir le taux d’inflation au cours de l’année 2021 à des niveaux toujours modérés.

A signaler, que la hausse exceptionnelle des prix des huiles de table et des autres produits alimentaires tels que les céréales sont résultantes de l’augmentation des cours des matières premières sur le marché international. Cette hausse peut concerner également la filière de viande rouge, des viandes blanches et des œufs dont la composante alimentation dépend de produits composés importés avec une grande proportion.

Il faut noter que depuis la promulgation de la loi sur la liberté des prix et la concurrence, le marché des produits alimentaires répond à la seule loi de l’offre et de la demande. Et par conséquent le gouvernement ne peut agir que sur les produits dont les prix sont réglementés et dont les produits agroindustriels sont au nombre de 3 (la farine nationale de blé tendre, le sucre et le tabac manufacturé). Cependant, l’article 4 de la loi sur la liberté des prix et la concurrence permet à l’état de procéder à des mesures temporaires contre la hausse ou la baisse excessive des prix du à des circonstances exceptionnelles. Le gouvernement peut-elle aller jusqu’à considérer la pandémie comme circonstance exceptionnelle, reste à savoir.