Alger rappelle son ambassadeur à Paris pour «consultations»

Alger rappelle son ambassadeur à Paris pour «consultations»

Le déjeuner se voulait apaisant. Il tourne au nouveau coup de froid diplomatique entre Paris et Alger. Le quotidien français Le Monde raconte ce samedi 2 octobre la rencontre du président français Emmanuel Macron avec dix-huit jeunes dont les familles ont vécu "intimement" la guerre d'Algérie. Et le journal de rapporter des mots du président français qui ont provoqué la colère des autorités algériennes.

L'un est l'arrière-petit-fils du général Raoul Salan, l'un des quatre généraux instigateurs du putsch d'Alger en avril 1961. L'autre est le petit-fils d'Ali Boumendjel, avocat nationaliste torturé et assassiné lors de la bataille d'Alger en 1957. Mort dans laquelle la France n'a que récemment reconnu sa responsabilité, par la voix du président Emmanuel Macron. Deux versants d'une même histoires. Deux descendants présents cette semaine à l'Elysée, aux côtés de seize autres jeunes gens de la "troisième génération" après la guerre d'Algérie.

Leurs grands-parents ont été combattants du Front de libération nationale (FLN), harkis, rapatriés, pieds-noirs, militaires français ou membre de l'Organisation armée secrète (OAS, pro-Algérie française). Ils incarnent, sans l'avoir connue, toute la complexité de cette histoire commune entre la France et l'Algérie. Histoire dont le président français, lui-même né près de 16 ans après l'indépendance algérienne -c'est loin d'être un détail - a décidé de se saisir, tant elle est source aujourd'hui encore de tensions, de réactions épidermiques, de souffrances.

La rencontre du jeudi 30 septembre a duré deux heures. Français d'origine algérienne, binationaux ou Algériens, ils se connaissent depuis juin. Ils se voient régulièrement dans le cadre de la mise en oeuvre des préconisations du rapport de Benjamin Stora. L'historien était présent à l'Elysée ce jeudi. Objectif, rapporte-t-il au quotidien français Le Monde, apaiser "cette blessure mémorielle". "Vous portez une part d’histoire et aussi un fardeau, leur a dit Emmanuel Macron cité par Le Monde. Un fardeau car on n’a pas réglé le problème. Nos générations n’ont pas vécu cette guerre, ça nous libère de beaucoup de choses. Vous êtes une projection de la France, votre identité est une addition à la citoyenneté française. C’est une chance pour la France, une chance inouïe. Et pour moi, ce n’est pas un problème, on l’a fait trop vivre comme tel".

Tout au long du déjeuner, le président français a pu écouter les recommandations des dix-huit jeunes invités. Davantage de place pour la guerre d'Algérie dans les cours d'histoire a demandé une arrière-petite-fille d'indépendantiste, tandis qu'une petite-fille de harki proposait un


grand discours sur la guerre d'Algérie. La question da la commémoration du 17 octobre 1961 a également été posée. Ce jour-là, une manifestation pour l'indépendance était sévèrement réprimée à Paris. Ceux qui l'ont vécu racontent encore "les corps flottant sur la Seine".

Soixante ans après, en France, la position officielle reste "une sanglante répression" -on parle officiellement d'une centaine de morts- mais aucune responsabilité officielle telle que celle -notoire- du préfet de Paris, Maurice Papon, n'a jamais été reconnue. 

"Rente mémorielle"

Mais derrière cet échange manifestement respectueux, l'actualité des relations entre Paris et Alger n'aura pas tardé à ressurgir. Et une expression du président français n'est pas passée. Au moment de présenter son point de vue à ses hôtes, Emmanuel Macron dénonce, en Algérie, une "histoire officielle" selon lui "totalement réécrite qui ne s’appuie pas sur des vérités" mais sur "un discours qui, repose sur une haine de la France". Avant de conclure : "La nation algérienne post-1962 s’est construite sur une rente mémorielle, et qui dit : tout le problème, c’est la France."

Cette expression de "rente mémorielle", Emmanuel Macron la prononcera plus tard dans la discussion. Répondant à Nour, une jeune femme ayant grandi à Alger qui lui explique que la jeunesse algérienne n'a pas de "haine" envers la France, Emmanuel Macron explique : "Je ne parle pas de la société algérienne dans ses profondeurs mais du système politico-militaire qui s’est construit sur cette rente mémorielle. On voit que le système algérien est fatigué, le Hirak l’a fragilisé. J’ai un bon dialogue avec le président Tebboune, mais je vois qu’il est pris dans un système qui est très dur".

L'ambassadeur en France rappelé "pour consultations"

Rappelé "pour consultations". C'est la formule diplomatique consacrée. Mais elle cache un coup de froid extrême. Après les propos d'Emmanuel Macron, l'Algérie a décidé ce samedi de rappeler son ambassadeur en France. Les autorités algériennes promettent de communiquer plus précisément sur le sujet.

C'est la seconde fois qu'Alger convoque son ambassadeur à Paris depuis mai 2020 lorsque l'ambassadeur de l'époque avait fait l'objet d'un rappel "immédiat" après la diffusion d'un documentaire sur le mouvement de contestation prodémocratie Hirak, diffusé sur France 5 et la chaîne parlementaire.

Mercredi, l'ambassadeur de France à Alger François Gouyette avait été convoqué au ministère des Affaires étrangères algérien pour se voir notifier "une protestation formelle du gouvernement" après la décision de Paris de réduire de moitié les visas accordés aux Algériens souhaitant se rendre en France.

Agence