Le Nigeria suspend Twitter pour une durée indéterminée
Il a fallu deux jours au gouvernement nigérian pour suspendre l’accès à Twitter à la suite de la suppression d’un tweet du président Buhari. Le Nigéria a-t-il donné une leçon au géant de la tech ?
Le régulateur nigérian de la télévision et de la presse, National Broadcasting Commission (NBC) a depuis hier bloqué l’accès aux IP de Twitter. A Abuja, l’annonce a eu lieu vendredi soir. Selon le communiqué du gouvernement, Nigéria « suspend indéfiniment » la plateforme Twitter, basée aux Etats-Unis.
A l’origine du différend, la censure d’une publication du président Muhammadu Buhari. Twitter avait même annoncé qu’il suspendrait le compte certifié du président. Ce que le ministre de la communication, Lai Raufu Mohammed a qualifié de « l’utilisation persistante de Twitter pour saper l’autorité de l’Etat nigérian et son existence », a-t-il déclaré.
Les internautes nigérians, jusque-là majoritairement outrés par la « censure » qu’ils pensaient subir, ont des avis de plus en plus nuancés. Sans doute, le communiqué de la présidence, publié samedi soir sur Facebook entre autres, a éclairci la position de Muhammadu Buhari. En effet, le chef d’Etat nigérian considère « qu’il y a eu une litanie de problèmes avec Twitter au Nigéria ». Il avait accusé Twitter de parti pris quant aux affaires nigérianes. Et avec des arguments concis, le communiqué bref a commencé à faire pencher l’opinion publique en sa faveur.
Le Nigéria n’est pas le premier pays africain à accuser un réseau social de promouvoir la désinformation. L’Ouganda avait suspendu Facebook dans un passé récent. Plusieurs autres pays africains limitaient l’accès aux réseaux sociaux pendant les élections. Les géants de la tech enfreindraient-ils réellement la souveraineté des Etats africains ?
Twitter, une plateforme bien-pensante ?
Dans le cas précis de Twitter et du Nigéria, le directeur général de la société américaine, Jack Dorsey, avait mobilisé ses abonnés pour des causes politiques internes au Nigéria. Cela a commencé en octobre, lorsqu’il avait retweeté un article sur le mouvement #EndSARS. Un mouvement légitime à tous les effets, contre la violence policière au Nigéria. Toutefois, Dorsey avait activement diffusé un mauvais chiffre des morts lors des affrontements entre les manifestants et la police.
Il avait aussi, en marge du même évènement, demandé à ses abonnés de donner de l’argent aux organisateurs du mouvement. En soi, c’est une ingérence aux affaires d’un Etat. Le gouvernement nigérian avait raté une occasion d’utiliser les mêmes arguments que Twitter dans le récent échange de communiqués. Selon le journaliste Nebojsa Malic, Buhari aurait
pu taxer Jack Dorsey de racisme et d’islamophobie. Pour lui, le DG de Twitter aurait encouragé un mouvement sécessionniste ethnocentré et islamophobe. Puis, Muhammadu Buhari est musulman et africain.
Néanmoins, le communiqué du gouvernement faisait bien allusion à cette tendance de Twitter. Il accuse Twitter d’alimenter « les crimes violents tels que le massacre en Nouvelle-Zélande en 2019 ». On lit ensuite dans la déclaration : « Il y a un risque d’infiltration des entreprises technologiques dans le tissu d’une culture numérique émergente. Elles doivent être conscientes de leurs responsabilités. On ne peut leur permettre de véhiculer les messages racistes, xénophobes ou d’inciter à la haine entre les communautés. Cela peut déchirer un pays », énumère le communiqué.
Ces simples faits que Buhari apprend à Twitter
Là où le message de la présidence nigériane a eu le plus d’impact, c’est en citant des faits simples et concrets. En effet, le président considère que son tweet « aurait dû être lu dans son intégralité, ne constituait pas une menace mais une déclaration de faits ». La déclaration d’hier rappelle que le mouvement des Peuples Indigènes du Biafra (IPOB) est une menace pour la sûreté du Nigéria. En effet, il ne s’agit pas de la tendance sécessionniste de l’IPOB mais simplement des 1300 agents de l’Etat tués depuis 2005 seulement dans le Biafra. Rien que récemment, le mouvement séparatiste aurait brûlé des postes de police et organisé une évasion massive d’une prison de haute sécurité.
Pour Muhammadu Buhari, il ne s’agirait pas d’une promotion de la haine mais « d’un engagement à défendre le droit des citoyens à ne pas subir de préjudice ». Il estime qu’on ne peut pas « s’attendre à ce que le gouvernement capitule devant les terroristes ».
Ensuite, le journaliste et communiquant du président Buhari a fini avec un constat. On lit : « Twitter ne semble pas apprécier le traumatisme national de la guerre civile dans notre pays. Ce gouvernement ne permettra pas que cela se reproduise ». Cette succession d’argument a touché plusieurs internautes nigérians. Il est indéniable que le pays est confronté à la fois à une menace sécuritaire d’envergure et connait des soucis internes quant au respect des droits de l’homme par les forces de sécurité. Néanmoins, le président Buhari, à travers l’explication de son action envers Twitter, a mis en valeur le premier de ces deux facteurs. Il a aussi appris une leçon à Twitter. Le point de vue d’un chef d’Etat devrait prévaloir sur celui du directeur d’un réseau social.