(Billet 240) – Croissance sans confiance n’est que ruine de l’homme

(Billet 240) – Croissance sans confiance n’est que ruine de l’homme

« La confiance pousse aussi lentement qu'un cocotier, mais tombe aussi vite qu'une noix de coco », nous suggère l’économiste indien Ahluwalia. Remplaçons cocotier et noix de coco par olivier et olive, et on aura marocanisé cette très pertinente pensée, qui s’applique à peu près à tout dans ce nôtre royaume. Et le manque de confiance a basculé, bascule en défiance généralisée…

La société marocaine est marquée par les antagonismes et les oppositions : riches contre pauvres, ruraux contre urbains, femmes et hommes, arabophones contre francophones, arabisants contre darijophones, religieux contre « laïcs »… Tout le monde excommunie tout le monde et chacun exclut son prochain. Les anathèmes sont jetés au vent, à la face des gens, et volent en escadrilles.

Et pendant ce temps-là, l’Etat… Et bien, l’Etat joue sa partition en solo, comme s’il vivait en vase clos… et il vit en vase clos. Fauché comme les blés et autant que les gens du bled, il s’énerve et accepte de moins en moins la contestation. Alors, il agit en deux temps : il arrête les râleurs et lâche les percepteurs. Vu comme cela, la vie est belle, mais les choses sont plus compliquées…

L’économie du pays est, dit-on, à 40% informelle, et sur les 60% restants, la part d’évasion et de fraude fiscales est intéressante. Et ce ne sont pas les amnisties en rafale qui ramèneront les gens dans les circuits officiels, mais la confiance générale. L’affaire est simple : la défiance est là, les gens le disent, certains d’entre eux étant virulents et sortant même des clous du politiquement correct. Ils sont bousculés, harcelés, interpelés, muselés… bien que leur seul crime soit d’avoir dit tout haut ce que tout le monde, en haut et en bas, susurre tout bas. Que pensez-vous qu’il arriva ? Ce fut la confiance qui creva et...

la défiance, voire la méfiance, qui triompha !

4 journalistes condamnés à de la prison avec sursis pour avoir fait leur job, un autre incarcéré par une justice à l’ouest… du Pecos, des amnisties totales en échange de l’amnésie fiscale, des gens qui s’aiment et qui s’attachent mais que la justice et la société entache, et des Assises, des Assises, et encore des Assises… pendant que le gouvernement, les partis et leurs chefs ne disent rien ou bien n’importe quoi. Il y a de meilleures façons de gagner la confiance d’un peuple. En réaction, les gens retirent leur argent des banques, multiplient les planques et les caches pour leur cash, vident leurs comptes à défaut de vider le pays.

Alors l’Etat se met dans tous ses états, s’inquiète un peu et réfléchit beaucoup, puis dégaine la carte de l’amnistie fiscale. Peine perdue… tant qu’il n’y aura pas d’équité fiscale et d’équité sociale, de justice fiscale et de justice tout court, rien ne s’arrangera et les gens continueront de fuir l’Etat, avant de s’enfuir du pays.

La solution existe pourtant… Libérer les énergies en libérant les détenus d’opinion (même ceux qui ont abusé), car oui, il en existe désormais, puis une amnistie fiscale qui se double d’une fermeté – carcérale au besoin – envers les prédateurs et autres fraudeurs. Dans ce pays, que nous nous évertuons à tenter d’aimer, on se trompe dans les amnisties comme on se trompe dans les arrestations, on se montre abusivement fermes envers ceux qui refusent de « la fermer » et coupablement indulgents pour ceux qui volent l’argent et abusent de l’entregent…

On peut pousser la croissance et se gargariser de puissance, mais sans confiance des populations, le Maroc continuera de sombrer dans la régression… voire la dépression. 

Aziz Boucetta