(Billet 1101) – Les témoignages sur l’histoire monarchique doivent se multiplier
L’histoire d’un pays ne peut pas être qu’officielle ou le seul fait des historiographes, voire des hagiographes. Plus l’histoire d’un pays, d’une nation, est ancienne, plus elle est riche et variée et plus elle compte de personnages divers, centraux, en coulisses, opaques, brumeux, brillants, qui ont marqué leur époque et leur espace. Nous assistons aujourd’hui à une réémergence de l’histoire du Maroc, mais rares cependant demeurent les témoignages et les productions.
Avec son emplacement géographique à l’intersection de trois grandes civilisations (arabo-musulmane, latino-chrétienne et africaine), et avec sa longue, sa très longue histoire, il est curieux que les livres, contributions et témoignages sur le Maroc ne soient pas au niveau de cette richesse. Il existe bien des ouvrages déterminants et fourmillant de détails sur les époques traitées, comme Kitab al-Istiqsa d’Ahmed En-Naciri et d‘autres encore, mais cela reste insuffisant.
Connaître l’histoire d’une nation implique d’avoir examiné les contributions et apports des contemporains et des historiens. Or, comme le disait Marc Bloch, « la mission d'un livre n'est jamais mieux remplie que le jour où les conclusions en sont contestées », ce qui implique le nombre, la quantité d’ouvrages écrits, et dont la « contestation » nourrirait le débat et enrichirait la connaissance. L’Histoire du Maroc a été « retravaillée » au début du 20ème siècle par le Comité Maroc, dirigé ou au moins influencé par le « Pape des coloniaux » Eugène Etienne. Sa mission, avec un jeune colonel dévoré d’ambition nommé Lyautey, était de réécrire l’histoire du royaume, célébrant la geste héroïque des conquérants français et se basant sur les sources existantes, « réadaptées et réécrites » pour l’occasion et pour la Cause (coloniale).
Cela doit être corrigé et revu, par des Marocains. Pour la restitution de la « vraie » histoire du Maroc. Et cela passe par deux voies : l’ouverture des archives familiales, et le témoignage de ceux qui ont tenu des rôles officiels et/ou officieux aux côtés des différents princes. On ne parle pas ici de la « grande histoire », mais de la « petite », celle des anecdotes, des petites histoires, des incidents, des secrets de couloirs et des chamailleries de palais…
Que cela soit dans les Archives du Maroc ou dans es bibliothèques ou archives familiales, les sources d’information pullulent et doivent être classées, répertoriées, puis révélées au grand public. Cela est l’affaire des historiens et des responsables des Archives. Mais il y a aussi les témoignages. Or, il existe au Maroc une certaine réticence, voire une réticence certaine, à narrer des faits impliquant des rois ou la famille royale. Un mélange de prudence, de crainte, de respect et de réserve empêche des acteurs de premier plan de témoigner. La rédaction de « Mémoires » n’est pas une habitude ancrée dans les esprits de nos responsables.
On assiste cependant et depuis une vingtaine d’années, à une « libération » à ce niveau. Mohamed el Yazghi ou feu Mhamed Boucetta s’étaient livrés à ce jeu, face caméra, racontant des anecdotes croustillantes, de celles qui ne sont pas retenues par l’Histoire mais qui font cette Histoire. Plus haut dans le temps, Moulay Ahmed Laraki avait apporté son témoignage illustré de faits et d’histoires de sa longue relation avec feu Hassan II. Tout récemment encore, l’ancien ministre de la Justice sous Hassan II et professeur de droit Mohamed Drissi Alami Machichi devant la caméra de thevoice.ma.
Et aujourd’hui… Aujourd’hui, nous assistons à une certaine libération des esprits et de la parole. Dernièrement, à Dakhla où se tenait la 4ème édition du Forum MD Sahara, l’assistance a eu l’occasion et le privilège d’entendre certaines confidences de l’ancien premier ministre Driss Jettou, par exemple sur le lancement des travaux du port Tanger-Med ou le suivi de l’avancement de la politique de construction des autoroutes au Maroc. Ces confidences impliquaient le roi Mohammed VI, dont on comprend mieux à travers ce témoignage la personnalité et la ténacité.
Lors de ce même forum, c’est Seddik Maâninou, une mémoire vivante de l’information au Maroc, dont il fut le grand patron du temps de Driss Basri, qui s’est exprimé. Il a pris sur lui, depuis de nombreuses, années, de raconter des séances de travail avec feu Hassan II, des anecdotes sur le roi défunt, des moments d’intimité et de proximité avec lui…
Que les puristes de la sacralité de l’institution royale se rassurent… il est tout à fait possible de narrer de tels épisodes sans manquer au respect dû à la famille royale et au roi. Mais cela enrichit l’histoire du pays, permet de comprendre bien des choses, qui ont été déformées ou dénaturées par la réécriture de l’Histoire du Maroc par le Comité Maroc, et cela permet de populariser la monarchie et d’humaniser ses différents rois. Ce n’est certes pas la tradition dynastique marocaine, mais le roi Mohammed VI a montré que cette tradition peut évoluer.
Il manquerait aussi des films, des séries télé, des capsules audiovisuelles sur l’histoire du pays. Le monde entier connaît les Tudors après la diffusion de la série éponyme, de même que la terre entière sait qui fut Soliman le Magnifique grâce aussi à une série télé. Quant à l’Histoire de France, du Royaume Uni ou des Etats-Unis, de Russie et de la Chine, elles sont également connues de tous grâce à l’effort culturel déployé par les Etats concernés, l’effort décliné en incitations à produire, à écrire, à diffuser… et les différents et très nombreux témoignages
Il est donc plus que temps que les Marocains encore de ce monde et qui ont exercé une forme ou une autre de pouvoir – ou qui ont côtoyé ce pouvoir – témoignent, racontent, exposent, expliquent, tout en gardant pour eux les informations ou anecdotes qui relèvent des secrets d’Etat. Et il est plus que temps que cela soit mis à la disposition du public, marocain d’abord, international ensuite.
C’est bien de revenir à son histoire et à la grandeur mémorielle du pays, mais cela doit être étayé par celles et ceux qui savent. Autrement, cela risquerait de tomber dans l’hagiographie ronronnante.
Aziz Boucetta