(Billet 229) – Gaïdistan en deuil

(Billet 229) – Gaïdistan en deuil

Le général est mort, vive le général ! Ahmed Gaïd Salah (à droite) a succombé à une subite crise cardiaque, forcément soudaine et par nature inattendue… et le général Chengriha (à gauche) été désigné à sa place, tout aussi subitement, encore plus soudainement. L’Algérie sombre encore plus dans l’incertitude, avec un président peu légitime, privé de son protecteur et bousculé de plus belle, et de la plus belle manière, par la rue…

Lundi 23 décembre, donc, au petit matin, le chef d’état-major de l’armée algérienne, vice-ministre de la Défense et véritable homme fort de son pays depuis plusieurs mois, et plus discrètement plusieurs années, a été terrassé par un infarctus, trois jours après l’investiture du nouveau président Abdelmajid Tebboune. L’Algérie se réveille donc ce matin avec un président aussi nouveau que contesté et un patron de l’armée disparu. L’inquiétude n’est pas un luxe…

Que se passera-t-il maintenant ? Seul un esprit malin, voire même le Malin, pourrait le dire, car l’armée algérienne est réputée pour être une non seulement une Grande Muette, mais aussi et surtout une Grande Secrète, une sorte de secte hermétique qui a créé, puis phagocyté, l’Etat. Qui fut le général Gaïd Salah ? L’homme à tout faire, à tout plaire, de M. Bouteflika… un petit officier sans grande envergure, qui a fini grand général de petite stature, mentale du moins. Il n’est en effet ni Khaled Nezzar, ni Toufik Mediène ni Mohamed Lammari, des idéologues théoriciens du tout militaire, volontaires, au besoin génocidaires.

On doit cependant au général Gaïd Salah, un faucon autoritaire et revanchard, son sens de la retenue ; en dépit des arrestations et des inepties de ses nombreux discours-fleuve, l’Algérie n’a pas enregistré d’effusion de sang lors du hirak, bien que l’histoire de ce pays fût plutôt rouge et violente. Il faut lui en savoir gré, même si faire tirer sur le peuple est toujours quelque chose de périlleux.

Le défunt a été immédiatement, trop vite même, remplacé par le général Chengriha, ancien commandant de l’armée de terre. On le dit plus instruit que son prédécesseur, moins brutal aussi et surtout plus ouvert à l’idée d’une armée dans les casernes. Pourra-t-il vraiment extraire l’armée de la politique ? Rien n’est moins sûr... L’Algérie se trouve cependant aujourd’hui à la croisée des chemins… Une population révoltée, une armée décapitée et un président contesté. Toutes les cartes seront donc rebattues, avec des rapports de force qui pourraient fluctuer d’un bord à un autre, à tout moment.

Il restera également à scruter les réactions des puissances occidentales, France en premier, et des voisins, Maroc principalement. Les deux sont à la peine et peuvent craindre en Algérie une issue incertaine, mais les deux pays ont des intérêts divergents sur le sort de ce pays. Il est cependant inquiétant de noter les condoléances du maréchal égyptien et grand dictateur devant l’Eternel Abdelfattah al-Sissi, lui-même affidé des MBS et MBZ, peu connus pour leur attachement aux valeurs démocratiques universelles…

Aujourd’hui, 24 heures après l’annonce du décès, sur lequel il serait déplacé et irrespectueux de polémiquer, les Etats observent et ne disent rien… et comme le disent les spécialistes du renseignement, « quand les Etats se taisent, leurs services travaillent »… Mais aujourd’hui que l’armée est dans le doute et la présidence en déroute, les Algériens qui ont su démontrer avec éclat leur sens du civisme et du pacifisme ont aujourd’hui une opportunité historique de construire un Etat moderne, civil et démocratique. Ils le valent bien, et ils le veulent encore plus…

Aziz Boucetta