« Akhannouch, dégage ! », par Aziz Boucetta

« Akhannouch, dégage ! », par Aziz Boucetta

La scène est inédite, violente, ahurissante… A Tanger, ce jeudi 7 juin de l’an de grâce 2018, le roi Mohammed VI s’apprête à inaugurer des installations portuaires, en présence de plusieurs officiels et d’un public composé de quelques dizaines de personnes. Jusque-là, tout est normal, le Maroc avance à son rythme et à sa manière. Puis le public commence à scander « Mohammed VI est notre roi », lentement, à intervalles irréguliers, puis de plus en plus vite, et de plus en plus fort… Tout est encore normal, jusqu’à ce que jaillissent des cris « Akhannouch, dégage »…

Le roi arrive, sort de sa voiture puis va saluer les officiels alignés, dont le ministre de l’Agriculture Aziz Akhannouch. Les cris sont de plus en plus forts, entre slogans royaux et invectives politiques.

Le roi s’avance alors comme à son habitude vers le public pour serrer des mains, et les cris reprennent de plus belle. L’acte est inédit et irrespectueux, et il est à relever, avec cette question : Pourquoi la scène s’est-elle produite à Tanger précisément, fief de deux partis farouchement opposés au RNI et à Aziz Akhannouch, en présence du roi ?

Et cette autre question : Pourquoi Aziz Akhannouch ne se défend-il pas ? Il est ministre depuis 11 ans, il est président du RNI depuis un an et demi, il est une pièce désormais incontournable de la politique nationale, et il est pour cela et pour cela uniquement, particulièrement ciblé et visé, en dehors et au-delà de la campagne de boycott qui frappe trois entreprises, dont une appartenant à sa famille ?

Ici ou ailleurs, les hommes politiques sont exposés à ce type d’attaques… Nicolas Sarkozy, Angela Merkel, Mariano Rajoy ou encore Silvio Berlusconi ont eu à faire face à de pareilles situations, et y ont répondu… Au Maroc, on a encore en mémoire ce jour où la voiture de l’ancien chef du gouvernement Abdelilah Benkirane avait été cernée par un groupe de diplômés chômeurs à Rabat, et où il était sorti de son véhicule pour les affronter et subir leurs critiques à bout touchant.  Abbas el Fassi avait également eu son lot d’attaques et d’invectives, mais lui était, et est toujours, silencieux.

Aziz Akhannouch, lui-même, a eu à faire face à une population énervée quand, à al Hoceima, en juin dernier, il y avait fait le déplacement et était sorti, seul, dans la rue, puis avait été entouré par un groupe de jeunes gens de la ville, avec lesquels il s’était finalement expliqué, avant de rentrer à son hôtel.

Un homme politique, par essence, a des partisans et des opposants. Aux premiers, il parle, aux seconds, il répond. Akhannouch a fait renaître en 18 mois le RNI de ses cendres, et cela ne fait


pas que des heureux, et ceux qui en sont malheureux basculent dans la violence verbale et dans les excès comportementaux. Il est important de faire face, de réagir, de répondre. Nous ne sommes plus ici dans la logique du boycott, mais dans celle de la lutte politicienne, piétinant les règles les plus élémentaires du fair-play politique, du politiquement correct.

Aziz Akhannouch a dit et redit qu’il s’apprêtait aux élections générales de 2021, avec le RNI en ordre de marche, ou en phase de l’être. D’ici là, le chemin est semé d’embûches, d’obstacles, de moments durs, de scènes rudes. Les attaques contre lui, sa personne, sa famille, ses affaires, son action, ont commencé voilà bien longtemps et les adversaires politiques prennent aujourd’hui appui sur tout ce qui peut les aider à abattre l’homme, comme le boycott.

Cicéron écrivait ceci à son frère Marcus, novice en politique : « Prends bien soin que, si possible de quelque manière, se diffuse concernant tes concurrents une rumeur infamante de crime, d’immoralité ou de corruption accordée à leurs mœurs ». C’était en 64 avant JC, à Rome ; qui a lu ces mots en juin 2018, à Tanger ?... Et qui est, encore une fois, derrière cette campagne de boycott qui fut mais qui n’est plus l’expression d’une protestation collective, mais d’une œuvre de destruction sociétale, avec une entreprise à genoux (ce n’était pas le but initial), avec des entrepreneurs tétanisés, avec des investisseurs étrangers et/ou locaux démobilisés, avec une fracture de plus en plus préoccupante au sein de la société ?

La majorité des experts en communication pensent qu'il y a une armée, des brigades, des robots, quelque chose de très puissant et d'inédit au Maroc dans ce mouvement de boycott, comme le fait de voir alignée devant le roi une vingtaine de jeunes hommes surexcités dont le message principal est politique.

Et le faire en présence du roi, en activité officielle, bousculant tous les codes de la société et de la bienséance, est une chose grave. Le Maroc n’est pas coutumier de ce genre d’actes, car si la liberté d’expression est un droit pour les uns et les autres, le respect de l’autre est un devoir. C’est comme cela que le Maroc a su surmonter toutes ses difficultés, mais c’est avec ce genre d’actions qu’il sera ébranlé.

La scène de Tanger va au-delà de la personne d’Aziz Akhannouch, elle nous interpelle tous, et nous devons nous poser des questions. Et y répondre. Le pays abrite des dizaines de partis politiques et nous nous en sommes accommodés. Aujourd’hui, il est plus que nécessaire que ces partis changent de paradigme, et passent du mutisme à l’action, à la réaction. Aziz Akhannouch doit réagir, en politique, puisque la lutte aujourd’hui est politique, et non plus socio-économique.