Le Mondial 2026 pris en otage
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- 20 mai 2018 --
- Mondial
Le Fifagate qui a secoué le monde football voici quelques années n’est pas encore considéré comme un dossier clos car l’épée de Damoclès plane toujours sur des têtes (à la Fifa et dans certaines fédérations). La présidence Infantino à la tête de football mondial avait sonné comme une rupture ouvrant une ère de transparence, d’équité… mais ce fût un leurre, le loup étant toujours semble-t-il dans la bergerie.
Sous le magistère du successeur de Blatter, l’ingérence politique dans le football n’a jamais été aussi ostensible, menée par les grandes puissances qui instrumentalisent la bureaucratie de la Fifa pour tenir en respect les petits pays (ou « pays de merde ») et les maintenir dans le rôle de faire-valoir. D’ailleurs, beaucoup de personnes tremblent encore dans leurs chaussures et regardent attentivement ce qui se trame…
Les scandales qui ont secoué le monde sportif (FIFA, CIO ...) ont changé la donne de la géopolitique du sport. Aujourd’hui on constate une présence encombrante des États-Unis dans le football, ce qui n’était pas le cas jusqu’à il y a quelques années encore. Et malgré qu’ils se soient professionnalisés juste avant 1994, année de l’organisation de la Coupe du monde sur leur sol, les Etats Unis veulent toujours faire une OPA sur le football avec l’extraterritorialité de leur juridiction, afin de poursuivre qui ils veulent… d’où la peur qui assaille encore certains responsables des institutions mondiales.
Avec la récente intrusion de la Maison Blanche dans l’organisation du Mondial 2026, la compétition a tourné pour être aujourd’hui un face-à-face USA vs le reste du monde. D’ailleurs, les États-Unis, dans les cercles de la politique étrangère internationale, ont fini d’assumer le visage d'un prédateur hors de contrôle, chassant partout où leur désir les prend.
Prochain arrêt : Coupe du monde 2026
Les Etats-Unis et leurs deux partenaires consentants (Canada et Mexique) ont pensé avoir un grand boulevard pour l’organisation de la Coupe du Monde 2026. Mais c’était sans compter avec le Maroc qui vient chambouler tous les plans d’Infantino et Gulati (ensemble sur la photo) en se déclarant candidat lui aussi, mais l’arrogance avait conduit certaines personnes et/ou Etats à ne pas prendre cette candidature au sérieux.
Le fait qu'il soit devenu un concurrent très sérieux est en grande partie dû à l'arrogance américaine et à la propension de ne pas comprendre l'opinion mondiale - et pire encore - les gens du football mondial. Il pourrait sembler pour États-Unis et leurs protégés que tout gravite autour de l'argent, mais ce n'est pas forcément vrai… car le football est d’abord un jeu avant d’être une question de fric et de deal.
Le Maroc, si humble, qui a osé les contrer, a déclenché le genre de problèmes moraux et philosophiques du football que les footballeurs aiment rarement affronter. La témérité du Maroc a bien pris de hautcette trinité impie à la philosophie du football.
Une nation arc-en-ciel très colorée
Le fair-play, la bienséance et l’élégance auraient voulu que l'Afrique du Sud lève la main et décide de voter pour le Maroc. Car au-delà de ce qui s’était passé entre ce pays et le Maroc, il eût été important de se souvenir de la position du royaume du temps de l’apartheid. Durant cette sinistre période, c'est cette même Afrique du Sud dont le leadership collectif dirigé par Mandela qui était sur la liste de surveillance américaine du terrorisme, et en particulier le très controversé ancien candidat à la présidence de la Fifa – et de l’ANC – Tokyo Sexwale. Ce dernier fut un moment en effet prétendant à la présidence de la Fifa en 2016 après l’éviction de Blatter, avant de se désister (sans doute rappelé à l’ordre par les Yankees). Et lors d’une mémorable rencontre avec Gianni Infantino à Robben Island où il avait été incarcéré durant 13 ans, Tokyo Sexwale a depuis ce temps noué des liens des très forts avec le protégé de Gulati, et ne rate jamais une occasion de chanter les louanges de Gianni.
Mais le dossier marocain est une vraie affaire d’Etat en Afrique du Sud. Au début, le président de la SAFA (fédération de foot sud-africaine) Danny Jordaan avait opté pour le Maroc, jusqu'à ce que le ministre des Sports du pays entre dans la danse pour annoncer que son pays voterait pour l'offre conjointe des États-Unis. Depuis la déclaration d'intention du ministre, Jordaan est resté très silencieux.
Alors, que va faire l'Afrique du Sud ? Aller avec l'Afrique et le
patron du foot africain Ahmad Ahmad, ou faire de la résistance, mais à quel prix ?
L’épée de Damoclès dicte les positions
L'ex vice-président de la Fifa Jeffrey Webb et ex-président de la Concacaf, inculpé dans le cadre de la corruption massive dans l'instance mondiale du football, a finalement été remis en liberté contre une caution de 10 millions de dollars. Jeff Webb n’a pas été condamné (le sera-t-il jamais et pourquoi un abandon des poursuites ?).
Son compère et successeur à la Concacaf Jack Warner reste fermement dans sa maison de Trinidad, tandis que d'autres ont tranquillement disparu. Mais il reste la question persistante des 10 millions de dollars qui lui ont été payés par l’Afrique du Sud, question qui tourne entre la SAFA, la FIFA et les Caraïbes.
L'Afrique du Sud avait reconnu un versement de 10 millions de dollars avant son Mondial 2010 mais avait ensuite nié qu'ils n’aient jamais servi de pots-de-vin. D’ailleurs l’ancien ministre des Sports de l’Afrique du Sud Fikile Mbulula avait déclaré que c’est l’ancien président Thabo Mbeki qui avait pris la décision de verser 10 millions de dollars pour développer le football caribéen (pourquoi les lointaines Caraïbes et non le proche Niger ?)… avant que Mbeki ne se rétracte en affirmant « je ne suis pas au courant que des personnes aient sollicité un pot-de-vin du gouvernement de notre pays pour attribuer la Coupe du Monde ». Une manière de reconnaître, ou de nier sans démentir…
Tokyo Sexwale fut, après tout, interrogé par un grand jury (il était membre du comité d'organisation de la coupe du monde sud-africaine), alors que Danny Jordaan a les pieds dans les eaux très troubles. L'Afrique du Sud voudra protéger ses enfants (et peu importe à quel point ils étaient nuisibles), donc l'Afrique du Sud devra suivre les ordres de l'Oncle Sam et voter pour la suprématie américaine. La justice à compétence universelle rôde et son épée plane sur la tête de tous ces gens…
Pour autant, le président de la Fédération sud-africaine Danny Jordaan a reconnu qu'une somme de 10 millions de dollars avait été versée en 2008 par le comité d'organisation du Mondial 2010, dont il était alors le président, à la Concacaf (Confédération d'Amérique du Nord, centrale et Caraïbes). L'acte d'accusation de la justice américaine soupçonnait le Trinidadien Jack Warner, alors président de la Concacaf, d'avoir empoché cette manne en échange de trois voix en faveur de l'Afrique du Sud lors du vote pour l'attribution du Mondial 2010. Juste après sa libération sous caution, le Trinidadien avait déclaré « Tout ceci a pour origine la candidature malheureuse des Etats-Unis pour organiser la Coupe du monde 2022. Aucun pays au monde n'a un droit divin qui lui assure l'organisation de la Coupe du monde. Acceptez votre défaite, soyez des hommes et tournez la page ! ».
La nouvelle page, on y est !
Pour le scrutin de Moscou, Infantino surveillera attentivement qui vote pour quelle candidature, et compte tenu des représailles qui devraient tomber sur les insoumis, les USA vont compter, filmer, regarder, et prendre des notes.
Si l'Afrique du Sud vote pour le Maroc, la machine judiciaire américaine se mettra en branle, avec des inculpations et des mandats d'arrêt avec des noms de Sud-Africains en tête de liste. En plus d’autres « mal-votants ».
Et si les Etats-Unis perdent, ce sera probablement la fin de la FIFA telle qu’instrumentalisée par les grandes puissances, doublée d’une fin des lamentables vestiges de ce qui était autrefois un puissant organisme mondial qui a non seulement fait du mal, mais aussi beaucoup de bien à beaucoup de petits pays (récemment connus sous le nom de « pays de merde »).
Ce serait le début de la révolution de voter selon leur bon vouloir et ce ne sera peut-être pas une mauvaise chose ; cet acte viendrait surtout mettre fin à une machine d'accumulation d'argent post-capitaliste.
Par conséquent, toute la planète aura remarquablement apprécié le vaillant et politiquement correct combat effectué par le « petit » Maroc. La corruption qui est encore profondément ancrée dans le cœur de cette FIFA 2.0 courageuse, nouvelle et soi-disant propre et brillante n’aura pas eu une longue vie néanmoins.
La seule chose qui pourrait irriter plus d’un serait qu’au lendemain d’une victoire américaine, on entende Trump déclarer triomphalement encore un autre succès de sa propre fabrication : « Je me suis assuré que nous gagnerions cette organisation ». Peu importe de savoir comment ; ils auront gagné. Et c'est ce qui compte.
Mouhamet Ndiongue