Des « Bid Books » marocain et nord-américain, le plus faible n’est pas nécessairement celui que l’on croit
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- 27 mars 2018 --
- Mondial
A part une rime pauvre, rien n’unit ni ne réunit les deux dossiers de candidature, du Maroc et du trio Etats-Unis/Canada/Mexique. Les (Nord) Américains misent sur le gigantisme et semblent pécher par prétention, faussement modestes, alors que les Marocains tablent sur l’efficacité et l’affect, résolument convaincus. Leur dossier est axé, articulé et fondé sur l’humain. Les autres, sur l’argent.
Le Marocain lambda a ceci de regrettable qu’il rejette toujours ce qui vient de son pays. Au vu des commentaires et de certains articles de certains médias, nous avons non seulement perdu, mais nous sommes même perdus. « Avez-vous vu le Bid Book américain ? Que pourrons-nous faire devant un tel gigantisme ? Soyons sérieux, voyons… », est le leitmotiv… Et pourtant, si l’organisation d’une coupe du monde FIFA était l’apanage des grands et des puissants, les candidatures ne seraient ouvertes qu’aux membres du G7… allez, du G20 pour être large. Mais ce n’est pas le cas. L’Espagne en 1982, le Mexique en 1986 ou encore l’Afrique du Sud en 2010 ou même le Qatar en 2022 ne sont ou n’étaient pas des superpuissances. Mais ces nations y ont cru, même si on a dit plus tard que l’ « héritage » était lourd à porter. Un héritage n’est jamais pesant, pourtant…
La candidature américaine se fonde sur le gigantisme qui est celui des Etats-Unis, et accessoirement du Canada, et dans une moindre mesure du Mexique. Car il s’agit en fait de la candidature américaine, toute en démesure, avec les deux autres pays pour faire de la figuration et apporter de la couleur exotique. Et cela se voit dans les dossiers de candidature.
1/ Le gigantisme industriel vs la composante humaine.
Les Nord-Américains avancent leurs atouts, contre lesquels non seulement le Maroc, mais le monde entier, ne peut rivaliser, ou alors laborieusement… Et ils le savent, usant du mot « certitude » trois fois dans la seule page de présentation.
Néanmoins, le football n’est pas tant affaire de certitude que d’humain. Ce sport, c’est la joie, la fougue, la passion, le nationalisme, les valeurs humaines dans leur ensemble (du moins dans les gradins et derrière les écrans). Avec cette candidature américaine, le football renouera avec les années les plus sombres du foot-fric.
Le dossier marocain, dans sa première page de présentation, celle où l’on déclare ses intentions, est axé sur l’humain, le partage, la tolérance, la paix. Avec le Maroc, le Mondial 2026 retrouvera ses véritables valeurs, celle d’un jeu, d’un jeu cosmopolite, un jeu qui apporte la joie et qui exalte la jeunesse.
Tout n’est pas argent, même si l’argent est important, et cela, les Marocains qui doutent de notre candidature au mieux, qui l’éreintent au pire, devraient le savoir, et en tenir compte. Comment compter parmi les Grands quand on raisonne petit ?...
2/ La préparation.
Les médias et responsables américains nous toisent de haut, dans une sorte de duel entre Gargantua et un quelconque Lilliputien. Et de fait, des villes à donner le tournis, des stades vertigineux, des infrastructures aussi tortueuses qu’un cerveau, des hôtels qui
poussent aussi vite que des champignons, voire plus vite, et de l’argent, de l’argent, de l’argent…
Le Maroc ne dispose pas de tout cela. Il a quelques stades, 1.500 km d’autoroutes, un réseau ferroviaire confidentiel (bien qu’il se développe à grande vitesse), un nombre intéressant d’hôtels, mais de la volonté, de la volonté, de la volonté.
Avec de la volonté, on trouve l’argent, mais avec l’argent, la volonté n’est pas toujours au rendez-vous. Et la candidature qui sera retenue aura, quand même, huit ans pour être au niveau. Dans ce laps de temps, le Maroc a construit 1.000 km d’autoroutes, une LGV, quatre stades et beaucoup d’hôtels.
3/ Le facteur humain.
Il suffit de regarder une carte de l’Amérique du Nord, plus le Mexique, pour prendre la mesure de la difficulté de l’organisation du Mondial aux Etats-Unis. Les équipes, qui ont des camps de base, devront parcourir des milliers de kilomètres pour s’en aller affronter l’adversaire du jour, avant de s’en revenir à leur camp. Un footballeur de compétition est certes rompu à ce genre d’exercices, mais quand Ronaldo venait toutes les semaines de Madrid à Marrakech pour s’y encanailler, son entraîneur de l’époque lui reprochait cette fatigue inutile…
Et pour les spectateurs, il en va de même, à courir après leur équipe favorite sur un continent connu pour ses (très) longues distances. Après être passés de Montréal à Los Angeles, puis à Mexico City, les fans en seront à prier pour la disqualification de leur équipe… Les pertes d’énergie à courir à travers aéroports et villes gigantesques n’auront d’égale que les déperditions d’argent dues aux incessantes conversions de devises. Sans compter les passages et contrôles aux frontières…
Dans les gradins, qui n’a jamais vu de tifos lors des derbys casablancais ne peut vraiment connaître l’engouement des Marocains pour le sport-roi. De plus, la proximité de publics passionnés de football est un atout pour le Maroc, et ce n’est pas un hasard si France, Belgique, Serbie et Russie (pour d’autres raisons aussi…) ont choisi de soutenir le Maroc.
Le football est le sport favori en Europe, en Afrique et en Amérique du Sud. Si les distances entre les pays des deux premiers continents et le Maroc sont connues, il faut savoir que les deux tiers sud du continent sud-américain sont presque aussi éloignées du Maroc que des Etats-Unis. Il suffit pour cela de regarder une carte du monde.
Pour ces raisons, et pour d’autres encore (on y reviendra), on comprend mieux pourquoi le clip officiel de la candidature du Maroc tourne autour de l’humain, et pourquoi il ne fait pas l’éloge de l’argent… il faut donc croire en les chances du Maroc de l’emporter face aux trois mastodontes que sont les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. Et la mise en place de la task force de la FIFA est là pour rappeler que si le Maroc perd cette compétition pour l’organisation du Mondial 2026, ce ne sera pas seulement pour des raisons objectives, et sportives.
Aziz Boucetta