L’Etat dans le box des accusés, par Taoufiq Bouachrine
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- 28 juin 2016 --
- Opinions
Le parti de l’Istiqlal est très, très en colère… et quand le doyen des partis marocains est dans cet état, il faut lui prêter attention, et essayer de comprendre les raisons qui ont poussé une formation aussi conservatrice que lui à publier un communiqué quasi révolutionnaire de son Conseil national…
Que dit ce communiqué, en substance ? « Il est clair et évident que la responsabilité de l’Etat est engagée dans ce qui se trame contre la démocratie. Cela se voit à travers la mise de ses moyens logistiques, humains, financiers et administratifs au service de visées partisanes dont l’objectif est d’instaurer une hégémonie sur les autres, de les faire plier et de corrompre l’opération électorale à venir. L’Etat devra donc prendre ses responsabilités dans ce qui se produit, dans la perspective de retrouver son aura, de renforcer ses institutions et de les prémunir contre les intrusions et la domination qui vont l’affaiblir et lui faire perdre sa valeur ».
Le terme « Etat » revêt plusieurs significations dans le vocabulaire politique national… et que quatre partis, au moins, en l’occurrence le PJD, le PPS, l’Istiqlal et le PSU, fassent endosser à l’Etat sa responsabilité dans le dopage du PAM en vue de lui faire gagner la première place aux élections législatives à venir, au risque de compromettre leur crédibilité, est une chose fort inquiétante.
Le parti de l’Istiqlal ne se contente pas de rompre tout lien avec le PAM, pas plus qu’il ne s’arrête au fait d’imputer à l’Etat la responsabilité de mettre ses moyens au service de ce dernier parti… L’Istiqlal a en effet annoncé sa parfaite disposition à s’allier avec le PJD pour former un front de défense de l’option démocratique, à ses yeux menacée. Alors il dit, dans son même communiqué : « l’Istiqlal salue la décision du PJD et du PPS de voter en faveur de son candidat pour la présidence de la Chambre des conseillers, et le Conseil national exprime sa volonté de renforcer cette coopération dans les étapes à venir… Le Conseil national renouvelle son alignement dans le camp des véritables forces démocratiques, pour les échéances à venir et les grands rendez-vous prochains, pour mieux lutter contre la volonté d’hégémonie, de pression et d’absolutisme ».
Cela fait aujourd’hui 5 ans que le PAM œuvre par tous les moyens dont il dispose, et avec l’aide de plusieurs intervenants publics, à éloigner les partis du mouvement national du PJD. Il a donc travaillé, et réussi, à faire sortir l’Istiqlal du gouvernement, de même qu’il a exercé son influence pour conduire l’USFP à brandir l’atout de l’écart idéologique avec les islamistes pour encore plus et mieux isoler Benkirane. Le PAM a aussi tenté d’embarrasser le PPS en s’interrogeant sur les raisons qui font qu’un parti progressiste puisse se jeter à la barbe d’une formation réactionnaire, puis il a poussé le RNI à être au
gouvernement avec le corps, mais l’esprit ailleurs. Le parti d’Ilyas el Omari ne s’est pas contenté d’être dans l’opposition, en travaillant avec les outils habituels de ce camp, mais il s’est aussi beaucoup investi dans l’affaiblissement du gouvernement du dehors et du dedans, mettant ainsi en péril la très fragile transition démocratique. Et quel a été le résultat de tout cet activisme ?
Et bien le résultat est que la quasi-totalité des partis aujourd’hui se trouvent être devenues anti-PAM. Ceux qui le disent haut et fort le font, mais les autres, plus craintifs, le font en silence, en toute discrétion et entre amis, comme le MP ou même le RNI qui avance en freinant des quatre fers. Quant à cette alliance contractée entre le PAM et l’USFP, elle paraît bien frêle car d’une part, ce rapprochement n’emporte pas l’adhésion de l’ensemble des socialistes et d’autre part parce que Lachgar n’a pas trouvé d’autre solution pour redorer le blason de son parti et lui restaurer son lustre populaire d’antan ; alors il a été chercher, par des voies détournées, une protection électorale, même si elle le fait d’un parti du Makhzen.
Quand le PAM avait été créé en 2009 par Fouad Ali al Himma, cela avait été fait dans l’objectif avoué de lutter contre les islamistes, de réconcilier les jeunes avec la politique et de mettre en œuvre le projet démocratique moderne du roi Mohammed VI. Mais aujourd’hui que reste-t-il de ce dessein alors que le parti islamiste s’est encore bien plus renforcé, qu’il est devenu la première force politique dans le pays, que les mêmes jeunes étaient sortis dans les rues en 2011 pour dire « dégage » au PAM et à ses icônes, que l’Etat se trouve accusé de corrompre les opérations électorales en soutenant le PAM et en lui permettant d’avoir la main sur la désignation de ses hommes au sein du ministère et des institutions publiques, ainsi que l’a affirmé Chabat dans une récente interview ?
L’histoire de l’Etat avec le PAM évoque un peu celle d’un homme venu avec son garde du corps pour le protéger d’ennemis supposés et/ou virtuels. Mais ledit garde a oublié sa fonction première et s’est mis à menacer et bousculer tous ceux qu’il rencontre sur son chemin, et alors, les amis et adversaires de l’homme en question ont commencé à se plaindre du comportement du garde et de ses attaques incessantes contre eux. Et au final, la solution est devenue le problème et celui qui était sensé protéger est devenu celui qui menace l’homme qui a peur, lequel s’est mis à passer le plus clair de son temps à régler les problèmes causés par celui qui était supposé lui en éviter. Alors, qui pourra expliquer à notre ami que sa peur n’est pas justifiée et que le prix à payer pour la présence de son garde du corps est élevé, beaucoup trop élevé… Qui ?
Akhbar Alyoum (Traduction de PanoraPost)