Moulay Ahmed Laraki : « Il faut crever l’abcès avec l’ONU »
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- 28 mars 2016 --
- Maroc
Suite à la brusque montée de tension entre le Maroc et le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, PanoraPost poursuit son tour d’horizon avec les anciens chefs de la diplomatie marocaine. Après Mhamed Boucetta, nous avons rencontré Moulay Ahmed Laraki, ancien Premier ministre (1969-1971) et ancien ministre des Affaires étrangères (1967-1969 et 1974-1977).
Sur l’affaire opposant Rabat et Ban Ki-moon, Moulay Ahmed Laraki nous déclare d’emblée, comme le médecin qu’il est, que le Maroc devait « crever l’abcès ». Deux éléments sont avancés par celui qui est considéré comme l’un des pères fondateurs de la diplomatie marocaine : la symbolique du Conseil de ministres tenu à Laâyoune le 6 février dernier, et l’inaction et le manque de résultats de la Minurso depuis sa création et son installation sur notre sol, en 1991.
« La Mission des Nations Unies n’a rien fait de tangible depuis ses débuts. Elle avait pourtant une double fonction : contrôler le cessez-le-feu et veiller à l’organisation d’un référendum. Mais en l’absence d’un recensement des populations devant composer le corps référendaire, la consultation n’a jamais pu se tenir. Il fallait donc clarifier la situation ».
Moulay Ahmed Laraki était le représentant du Maroc à l’Accord de Madrid, qui avait réuni au lendemain de la Marche Verte les gouvernements d’Espagne, du Maroc et de Mauritanie. Il y était stipulé que le transfert de l’administration allait se faire de l’Espagne vers la Jamaâ (composée des représentants des tribus du Sahara), Rabat et Nouakchott.
« Article 2 : En accord avec les négociations menées sur les instances des Nations Unies avec les parties concernées, l'Espagne procédera immédiatement à l'instauration d'une administration temporaire dans le territoire à laquelle participeront le Maroc et la Mauritanie en collaboration avec la Jamaâ et à laquelle seront transmis les responsabilités et les pouvoirs auxquels se réfère le paragraphe précédent. En conséquence, sur proposition du Maroc et de la Mauritanie, dans le but d'aider dans ses fonctions le gouverneur général du territoire, seront nommés deux gouverneurs adjoints. Le terme de la présence espagnole dans le territoire prendra effet définitivement, avant le 28 février 1976 ;
Article 3 : L'opinion de la population sahraouie exprimée au travers de la Djemaa sera respectée ».
En termes clairs, le territoire revenait au Maroc, tant est que la Jamaâ acceptait cette issue. Moulay Ahmed Laraki explique que la décision avait été prise d’inviter les dirigeants de la Jamaâ à Rabat, pour confirmer l’allégeance de leur président Khatri ould Sidi Saïd Joumani. Et c’est là que l’Algérie était entrée en lice, incitant certains responsables de la Jamaâ à fuir vers son territoire.
« Aujourd’hui, il
est impossible de procéder à un référendum, les populations s’étant entremêlées depuis les années 70 ; le Sahara est peuplé de Marocains, d’origine sahraouie ou non, et comme cela fait maintenant 26 ans que la Minurso est là et qu’elle n’a pas honoré sa mission première d’organiser le référendum, il était temps que le Rabat fasse savoir à l’ONU qu’il fallait trouver une autre solution », affirme Moulay Ahmed Laraki.
L’ancien chef de la diplomatie ajoute que « dans cette affaire entre le Maroc et le Secrétaire général de l’ONU, après la décision de Rabat de mettre fin à la fonction des personnels politiques, et non militaires, les 15 membres du Conseil de Sécurité n’ont pas pris de décision. En termes diplomatiques, cela signifie qu’ils entérinent en quelque sorte la position du Maroc ».
Oui, mais cette situation nouvelle peut-elle engendrer le risque d’un conflit armé entre le Maroc et l’Algérie ? « Non, ni Alger ni le Polisario n’ont les moyens d’attaquer le Maroc. L’armée algérienne a été restructurée depuis 20 ans en armée antiguérilla, suite aux événements dans le pays, tandis que l’armée marocaine est, d’abord, déployée au Sahara en armée de campagne, disciplinée et structurée et, ensuite, bien abritée derrière son mur de défense érigé dans les années 80 ».
A la question de savoir s’il faut donner crédit et suite aux propos du général Changriha, commandant la 3ème Région militaire algérienne (Béchar, Sud-ouest), qui avait récemment qualifié le Maroc d’ « ennemi », Moulay Ahmed Laraki arbore un large sourire avant de lancer qu’ « il ne s’agit que de rodomontades », et de poursuivre que « le Maroc ne doit pas craindre de passer à une posture offensive. L’Etat a décidé dernièrement d’engager des investissements de 8 milliards de $, annoncés par le roi Mohammed VI en novembre dernier, et quand on est dans cette logique, on n’est plus prêt à discuter de quoi que ce soit ». En effet, cela rejoint exactement les termes de Mohammed VI, prononcés lors du discours du 6 novembre 2015 à Laâyoune, sur le fait que le Maroc ne peut plus rien concéder car il a déjà tout donné.
Cela s’ajoute à la conviction de l’ancien premier ministre et ancien ministre des Affaires étrangères que les séparatistes de Tindouf entretiennent des liens connus et de plus en plus marqués avec les terroristes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, et que « le temps est venu de changer de stratégie et de poursuivre le développement des Provinces du Sud ».
Comme disait feu Hassan II, « kabberha tessghar » (ce que l’on pourrait traduire par « amplifier les problèmes en vue de les ramener à leur juste mesure »).
Propos recueillis par Aziz Boucetta