Le respect de l’Autre, par Ahmed Aassid
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- 14 mars 2016 --
- Opinions
Il existe encore un grand nombre de personnes qui n’ont pas compris le sens de l’expression « respect de l’Autre », considérant que ce respect ne s’applique qu’à elles et que les autres doivent respecter leurs valeurs et leurs conceptions des choses. Mais elles ne pensent pas à la réciproque, et elles ne conçoivent pas que les opinions et la sécurité de l’Autre a la même importance que les leurs.
Le « respect de l’Autre » est une notion essentielle de l’Etat moderne, lui-même fondé sur l’idée de citoyenneté qui suppose l’égalité des individus face à la loi, quelles que soient leur foi, leur langue, leur couleur ou leur catégorie sociale. La citoyenneté est donc le socle la vie commune d’individus différents et de collectivités différenciées vivant au sein d’une société moderne. Et la citoyenneté fonde cette autre notion nouvelle du « vivre-ensemble » qui suppose le respect mutuel dans le cadre d’une parfaite égalité entre personnes.
Examinons les raisons qui font que certaines gens ne respectent pas d’autres qui ne partagent pas leurs vues, ce qui cause de nombreux conflits, pourtant aisément surmontables par la raison si la citoyenneté était effectivement enracinée dans les esprits. Voici donc ces raisons qui empêchent le vivre-ensemble dans les sociétés islamiques :
1/ Le fait de ne pas trancher les grandes questions d’intérêt commun, fondement de l’édification de la démocratie, en continuant de mettre l’accent sur les points de clivage et d’accentuer les doutes, ce qui crée une ambivalence des comportements et réduit les valeurs nobles à de simples discours qui ne se reflètent pas dans les quotidiens des populations.
2/ L’appui sur la logique de la majorité contre celle de la minorité au lieu de considérer les citoyens comme étant tous égaux au sein de leurs sociétés et dans le cadre d’Etats qui défendent leurs intérêts à eux tous. C’est sans doute cela la raison principale du mépris voué aux minorités religieuses dans les sociétés musulmanes, des minorités qui n’ont d’autre choix que de s’incliner face aux majorités confessionnelles, de se mettre en retrait et de ne pas afficher leurs rites et rituels, de crainte de représailles de la majorité. Cela étant, il convient d’observer que cette logique de mise au pas des minorités religieuses ne tient plus dès lors qu’il s’agit de minorités musulmanes en pays chrétiens, les Etats musulmans demandant à ce que ces minorités soient traitées à égalité avec les majorités et qu’elles bénéficient de leurs droits.
3/ Le regard posé sur l’Autre est teinté de suspicion car cet Autre serait porteur de mal et de déviances et, en aucun cas, ne peut offrir de la richesse par sa différence.
4/ Le fait de considérer les sociétés comme des communautés religieuses et/ou raciales au lieu de les voir comme étant formées de citoyens appartenant tous au même Etat et nourris du sentiment d’appartenance à la même nation, quelles que soient leurs différences, comme la couleur de peau, la foi, l’origine familiale ou encore la langue.
5/ La posture
consistant à croire que la vérité est une et indivisible, décrite dans et par une seule religion, dans et par une seule Histoire, au lieu de penser que la vérité est la résultante d’une construction et d’un effort intellectuels et communs, dans l’aspiration à la science et à la connaissance illimitées.
6/ L’émergence d’une idéologie qui œuvre à la normalisation et à la standardisation de la société par l’effacement de ses différences et de sa diversité qui constituent sa marque dans l’Histoire, et leur remplacement par le facteur de la pensée unique, qu’elle soit religieuse, confessionnelle, linguistique ou autre. L’objet de cela est de s’accaparer l’Etat et le dominer, faisant de tout être différent une source d’entrave à ce projet et justifiant ainsi sa persécution.
7/ L’évaluation des individus par leur niveau d’intégration dans les coutumes sociales et communautaires, au lieu de les regarder en fonction de leurs capacités à la création et l’innovation, à l’efficacité et l’inventivité.
L’Etat, pris comme le cadre où se retrouvent les enfants d’une même nation, doit être un espace de coexistence et non de confrontation, de tolérance et non d’affrontement… Ceux qui ne comprennent pas l’Etat national dans son acceptation moderne ne peuvent absolument pas accepter les Autres, différents, dans leur environnement et, par là-même, ils deviennent eux-mêmes source de tension et de conflits.
Respecter l’Autre, dans sa différence, minoritaire soit-il ou majoritaire, est le facteur déterminant de la coexistence pacifique qui ne saurait accepter de qui que ce soit de dominer la vie des gens, de monopoliser à son profit l’espace public, de dicter ses volontés à autrui… Ce n’est en effet pas ainsi que l’on fait honneur au devoir de respect mutuel entre les membres d’une communauté. Mais, à l’inverse, respecter l’autre ne signifie nullement se soumettre à sa volonté ou de suivre ses orientations. Non, respecter l’Autre consiste simplement à le laisser vivre ses choix et ses orientations, librement, sans contrainte ni brutalité, à charge pour lui d’assurer la réciproque. Dans le cas contraire, dans un cas comme dans l’autre, c’est le respect général qui en sera atteint, ouvrant la voie à l’hostilité et le déni des droits des citoyens.
Il faut donc comprendre que le respect des autres ne signifie pas l’occultation de leurs erreurs ou errements, ainsi que le comprennent plusieurs personnes qui veulent dissimuler leurs fautes sous le couvert de la liberté d’expression ou du droit à la différence. Cela se voit dans la lutte contre certains droits essentiels des citoyens, dans les entraves à telle ou telle réforme, dans les résistances aux acquis de la société ou dans les appels à la violence et à la haine. Dénoncer les déviances, les erreurs, les fautes et les postures de domination, de discrimination ou d’inégalité est un devoir de tous et de chacun et ne saurait être considéré comme une entorse aux obligations de respect des autres car ce respect des autres consiste en la liberté de ces mêmes autres à assumer leurs existences et leurs convictions,mais sans nuire à autrui et à leur environnement.