(Billet 450) – Géopolitique d’un vaccin : la Chine, le Maroc, l’Afrique, et les autres…
Le Covid tue et, plus grave, il inquiète et angoisse… Plus préoccupants que la maladie pour un pays, le ralentissement économique, le délitement social et l’appauvrissement général. Il faut donc trouver un vaccin, et vite. Et dans ce domaine, il y a les pays qui le conçoivent et le produisent, et les autres le reçoivent pour l’inoculer à leurs populations. Le Maroc a choisi les Chinois de Sinopharm, d’abord, les Anglo-Suédois d’AstraZeneca dans un second temps.
Derrière ce qui n’est au final « qu’une » question de vaccin, c’est toute une géopolitique qui se dessine et se profile, avec la lutte Chine-Occident en filigrane. Le monde d’avant le vaccin sera le même que celui qui viendra après, avec cependant une exacerbation des conflits et une accentuation des luttes d’influence. La Chine joue gros dans ce gigantesque bras de fer planétaire.
Ainsi, et alors que les Américains sont toujours dans leur logique de « l’America first », les Européens continuent à faire du « social », répétant à l’envi leur préoccupation pour les pays pauvres, mais se servent aussi en premier, multipliant les déclarations et les bonnes intentions, mais augmentant les doutes de populations qui redoutent le vaccin. Pendant ce temps-là, la Chine…
La Chine, pays de naissance du SARS-CoV-2, a commencé par mettre l’épidémie sous contrôle, avec les moyens qu’on sait, puis elle a développé son vaccin, à l’abri des regards, discrètement, massivement. Plusieurs pays se sont portés volontaires pour les essais de phase III de son vaccin Sinopharm, parmi lesquels le Maroc. Et la géopolitique n’est jamais loin.
En effet, pour ce vaccin venu de l’Empire du Milieu, Chinois et Marocains avancent la main dans la main, à la manière d’un David et Goliath certes, mais cette fois réconciliés et convergeant vers le même but, l’Afrique. La Chine chevauche ce vaccin pour améliorer son image à l’international, politique entreprise depuis 20 ans déjà, et le Maroc se positionne, espérant lui faciliter l’accès au continent, et principalement vers ses pays amis.
Et c’est là qu’entre en jeu la Cité industrielle de Tanger Tech, où il serait question de produire le vaccin Sinopharm (si l’on en croit les affirmations du ministre de la Santé Khalid Aït Taleb), dans un cadre de transfert de technologie contrôlé. La stratégie connue des Chinois avec leurs deux « Routes de la Soie » et leur « collier de perles » de l’Océan indien trouve son prolongement et son renforcement dans l’édification de Cités industrielles en Afrique, celle de Tanger étant particulièrement intéressante aux yeux de Pékin car elle est adossée à un grand port ouvrant sur l’Europe, elle rejoint le maillage chinois de l’Atlantique, et elle est implantée dans un pays à ambition régionale et continentale affichée.
Si la Chine « offre » une vaccination de masse au Maroc puis, à partir de ce dernier, en Afrique de l’Ouest, elle engendrera un gain immense en influence, avec le Maroc dans son sillage. Dans cette affaire, il semblerait que le Maroc joue à plein régime la carte chinoise, dans la logique du discours de Ryad, où le roi Mohammed VI proclamait face à des Arabes du Golfe ébahis son « droit » à élargir ses partenariats. C’était en avril 2016, quelques semaines avant le voyage officiel du chef de l’Etat marocain à Pékin, où plusieurs conventions et déclarations d’intention avaient été signées, entre autres celle du second TGV marocain.
Dans ce monde multipolaire qui se dessine, il n’existe plus d’hyperpuissance politique, mais plusieurs grandes puissances économiques planétaires, qui s’appuient sur les « pôles d’influence et de puissance » continentaux. Dans cet immense jeu de Stratego, l’Europe en difficulté et en proie au doute voit son influence se réduire, principalement en Afrique où une nouvelle génération de dirigeants cherche désormais ses alliances ailleurs que chez les anciennes puissances coloniales.
Le Maroc paraît avoir fait ce genre de choix, maintenant ses relations anciennes, mais s’enrichissant de partenariats nouveaux. La position de la Chine au Conseil de sécurité de l’ONU dans l’affaire du Sahara montre clairement que le royaume, tout en restant très lié à la France pour plusieurs raisons avouables ou non, élargit ses partenaires de poids.
L’Europe du Brexit, du Covid et du « mode de vie européen » devient aujourd’hui une puissance de moyenne importance qui a besoin de temps pour se repenser, panser ses plaies et se relancer. L’Afrique, continent d’émergence dans les 20 ou 30 prochaines années, change sa vision sur le monde. Et le Maroc s’inscrit dans cette logique.
Aziz Boucetta