PLF2021 : « Maan » souligne le manque d’audace et appelle à une réforme fiscale
Face à la pandémie du coronavirus et les conséquences qui commencent à apparaitre, le gouvernement prend les devants et annonce un budget social pour 2021. Pour l’instant, les parlementaires ont validé le projet de loi 2021, ce qui n’a pas empêché le scepticisme de quelques partis politiques. Loin de tous ces débats politiques et techniques, la population patiente et attend de voir. Le tout dans une année électorale où les états-majors des partis affutent leurs armes et se tiennent prêts. Le coronavirus ne devrait pas être un obstacle.
Lors des débats parlementaires, les partis politiques n’ont pas épargné le gouvernement quant aux projets de loi 2021. Parmi les plus en vue, le parti Istiqlal (PI) et de l’authenticité et de la modernité (PAM) qui ont fait part de leur « déception » face à l’absence d’une « vision politique », et des choix ultralibéraux qui « restent en deçà des aspirations des Marocains ».
De ces mêmes débats, la présidente du groupement parlementaire du Parti du progrès et du socialisme (PPS), Aïcha Lablak, avait exprimé la déception de son parti face au manque d’audace des mesures prévues dans le projet de loi de finances, les qualifiant de « timides et peu novatrices ».
Faisant le lien entre le projet de loi avec le mandat de l’actuel gouvernement, qui expire cette année, le Mouvement Maan dans une « Lecture du PLF 2021 », appelle à faire « preuve d’audace ».
Dans le texte le Maan clame haut et fort que ce projet de loi est bien en-deçà de ce que leur mouvement avait pu formuler comme attentes politiques et citoyennes, mais aussi comme espoirs à son encontre. Et d’enfoncer, Maan explique que « ce projet de loi déçoit toutes les attentes et tout comme ses prédécesseurs, est insuffisant, frileux, conservateur à bien des égards et n’aborde les questions brûlantes qu’il aurait dû traiter que de manière extrêmement timorée et limitée, pusillanime tant il délaisse les grands chantiers de réforme fiscale approfondie et radicale. »
Selon le mouvement, les questions les plus cruciales et les plus fondamentales, ont tout simplement et tout bonnement été ignorées et négligé. S’agissant de la question de l’évasion fiscale, « qui sape de manière structurelle l’économie marocaine », « les saignants à blanc », le mouvement considère que l’évasion fiscale est non seulement un délit mais un crime national qui porte atteinte aux intérêts vitaux de l’Etat marocain, et qui constitue ainsi un crime contre la sûreté de l’Etat, puisqu’il participe de la destruction de son tissu social et économique, menace la cohésion sociale du peuple marocain et porte atteinte à la vie de millions de citoyens marocains, car il prive l’Etat de la capacité de créer de véritables politiques de redistributions nationales des richesses ainsi que des politiques de Sécurité sociale accessible aux marocains.
Revenant sur le PLF2021, Maan laisse entendre que « le gouvernement a démontré son absence de courage et de volonté politiques », car pour lui, il ne fait que s’en prendre à des classes moyennes qui sont continuellement « matraquées » d’impôts et ce au lieu de voir chez les plus nantis, dans l’économie de rente et dans les processus d’évasion fiscale. Toutefois, Maan s’interroge sur la raison pour laquelle ce projet de loi est si timide face au crime qu’est l’évasion fiscale.
Pour ce mouvement politique issu de la société civile, le projet de loi des finances dans sa version actuelle n’est pas venu avec des propositions, des amendements et des feuilles de route réelles qui trancheraient avec le passé et avec les antécédents qu’a connu le Maroc, notamment le « vol et détournement de l’argent public ». A ce titre, il reste effaré qu’aucune suite n’est donnée quant aux révélations ahurissantes de la Cour des comptes. Cependant, et invite le gouvernement prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à ces malversations.
Se considérant partie intégrante du tissu citoyen et politique réformiste, émanant de la société civile, le Mouvement Maan est déclare que « le PLF pour la dernière année du mandat gouvernemental, qui coïncide avec un des moments économiques et sanitaires les plus compliqués que le Maroc contemporain ait à affronter, est un projet faible et indigent, pour le moins que l’on puisse dire, puisque sa portée est totalement restreinte et inopérante. ». Mieux, il explique que ce projet de loi ne se situe absolument pas au niveau des défis que présente la situation actuelle et il ne répond aucunement aux problématiques du moment difficile que le monde traverse.
Les propositions de Maan
Fort de tous ces constats, le Mouvement estime vital d’apporter un ensemble de remarques, de modifications et d’amendements. Et partant de ces constats, Maan a pointé du doigt les défaillances et les carences de ce Projet de loi sur lesquelles il faut s’arrêter et qu’il s’agit de « modifier et de moduler ».
A la tête des propositions de ce PLF qu’il faut rectifier, il cite en premier la taxe sociale de solidarité qu’il est prévu d’appliquer aux revenus des personnes qui sont supérieurs à 10 000 dhs mensuels à un taux de 1.5%, aux côtés des entreprises dont les chiffres d’affaires dépassent les 5 millions de Dhs au taux de 2.5% ou 3.5% (mesure proposée avant que la Chambre des Représentants n’introduise des amendements sur le montant minimal concernant les personnes physiques et des entreprises).
Le Mouvement Maan considère que ces impôts ne sont pas équitables, surtout concernant les personnes physiques, qui constituent la majeure partie de l’effort fiscal. De surcroît, ce qui est attendu comme recette fiscale de cet impôt est très faible et ne dépasse pas les 0.5% du PIB, ce qui rend cette disposition réglementaire marginale et à la portée limitée. Sur ce point, il réaffirme que le gouvernement n’a pas eu le courage ou n’a
voulu se saisir de ce problème fondamental et réformer notre grille fiscale ainsi que notre assiette fiscale en prenant compte les conclusions des assises fiscales nationales qui s’étaient tenues l’année dernière dans l’objectif de réformer le système fiscal.
Le Mouvement Maan affirme et martèle que le système fiscal marocain est dans « l’incapacité de remplir ses premières et principales fonctions à savoir de fournir des ressources suffisantes pour couvrir les dépenses publiques » ou ce que l’on pourrait appeler un indicateur d’autosuffisance fiscale et qui connaît au Maroc un net recul depuis plusieurs années puisqu’il est passé de 80% au début du troisième millénaire à 65% actuellement, ce qui explique en partie l’augmentation de notre dette publique ces dernières années et qui pose un inquiétant problème quant à la capacité de l’Etat à lever les impôts des différents acteurs et agents économiques ainsi que des personnes physiques.
Maan appelle à réformer de système fiscal
Impôt sur le revenu
- Réaménager la grille de l’IR afin d’harmoniser la répartition de l’impôt sur les tranches de revenus et d’instaurer le principe de l’équité fiscale verticale. Ce réaménagement élargirait l’exonération aux salaires inférieurs à 50 KDH (actuellement soumis à un taux de 10 %), ainsi que l’élargissement de l’assiette fiscale aux activités rentières dont les promoteurs ne payent pas d’impôts
- Introduire la notion de foyer fiscal et tenir compte du nombre d’enfants à charge (mais aussi les ascendants) dans le calcul de l’IR.
Taxe sur la Valeur Ajoutée
- Garantir la neutralité totale de la TVA afin de revenir à son principe fondateur.
- Limiter dans un premier temps les taux applicables à trois taux 0, 10 et 20 %.
- Réduire ensuite à deux taux : un taux de 0 % pour les produits de première nécessité et un taux se situant entre 15 % et 20 % pour les autres produits.
- Appliquer un taux de TVA de 0 % sur les investissements afin d’encourager les entreprises du secteur privé (notamment) à renouveler leur appareil productif.
- Lancer une étude d’impact pour la mise en place d’une fiscalité agricole notamment les éléments relatifs à la mise en place de la TVA agricole (équilibre entre amont et aval).
- Faire participer la TVA à l’effort de national de solidarité et considérer l’allocation d’une partie des recettes de la TVA au financement de la couverture sociale. En effet, bénéficier de la couverture sociale ne devrait plus être conditionné par l’emploi, mais devrait être généralisé et assuré de manière universelle indépendamment de la situation professionnelle du citoyen. Notre système de protection sociale est aujourd'hui financé intégralement par les prélèvements sur le travail et imposer des prélèvements supplémentaires risquerait de renchérir le coût du travail et ainsi grever la compétitivité des entreprises. A noter que ce financement par la TVA ne devrait pas remettre en cause sa neutralité.
Impôt sur les sociétés
- Aligner les barèmes de l’IS et de l’IR pour qu’à revenu égal l'on paye le même impôt, quelle qu’en soit la source.
- Introduire la notion de groupe dans la fiscalité marocaine et exonérer les transactions intragroupes ne générant aucun flux de trésorerie.
- Supprimer la cotisation minimale qui viole le principe universel de l’impôt à hauteur de la richesse créée, car elle est payée même en cas de perte.
Fiscalité locale
- Remédier à la faible lisibilité et à la complexité de la fiscalité locale par une refonte totale de ce système afin qu’il devienne un véritable levier de développement des régions.
- Moderniser le cadre juridique de la fiscalité locale en modifiant la loi n 47-06 afin de faire converger la fiscalité locale et nationale.
- Supprimer plusieurs taxes n’ayant qu’une contribution limitée au financement des collectivités locales, en mettant en place deux impôts locaux, le premier en lien avec l’habitation et l’autre relevant de l’activité économique.
- Supprimer la taxe professionnelle calculée sur l’investissement, et la remplacer par une « contribution à la valeur ajoutée territoriale ». Cette nouvelle taxe sera composée d’une cotisation/redevance calculée sur les bases foncières de l’entreprise ainsi que d’une cotisation/redevance basée sur la valeur ajoutée générée (en mettant en place un seuil minimal).
- Publier les bilans des collectivités et recourir systématiquement aux Commissaires aux Comptes dans la certification de leurs comptabilités, car la refonte de la fiscalité locale ne se fera pas sans une amélioration de la gouvernance des collectivités territoriales.
Dépenses fiscales
Le montant des dépenses fiscales a atteint, au titre de l’année 2019, un montant de 28 MMDH, soit presque 10% du budget de l’Etat. Et au-delà du montant élevé de ces dépenses fiscales, ce qui nous interpelle au sein du mouvement Maan, est l’absence d’une étude sur les conséquences et répercussions de telles dépenses. Le ministère de l’économie et des finances se contentant ainsi d’une simple lecture « technico- comptable » en se focalisant principalement sur la répartition de ces dépenses/dérogations par secteur et par type d’impôt. Ainsi, Maan réitère son appel pour l’équité fiscale et ce en :
1- Lançant un audit par la Cour des Comptes sur les dépenses fiscales en examinant l’efficacité économique des différentes dérogations et niches fiscales. Le gouvernement devrait décider par la suite de la suppression des niches faiblement génératrices en emplois et en croissance. De plus la multiplicité de ces mesures dérogatoires, dont certaines sont complexes à mettre en place, peut nuire aux flux d’investissement directs étrangers et aux relations du Maroc avec certains partenaires internationaux.
2- Supprimant progressivement les mesures dérogatoires, en privilégiant le recours aux dépenses budgétaires. Ce système est plus simple à mettre en place. Il est direct, ciblé et permet de mieux mesurer les impacts des subventions sur la création d’emploi et la production de la valeur ajoutée.
Gouvernance et contrôle fiscal
1- Reconsidérer le monopole de l’interprétation des textes par l’administration fiscale. Ceci pourra se faire par le biais du développement de la jurisprudence fiscale et par la publication des décisions des commissions fiscales.
Mouhamet Ndiongue