(Billet 206) – Bienvenue, quand même, M. Le Drian…

(Billet 206) – Bienvenue, quand même, M. Le Drian…

Le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian était dans nos murs. Il ne s’est point attardé, venu le matin pour repartir fissa le jour même, après un déjeuner en compagnie de son homologue Nasser Bourita. M. Le Drian était au Maroc pour le business, et le business, c’est rapide : on vient, on voit, on convainc, on vainc ou on s’en va. Mais en réalité, le ministre français n’est pas à l’aise au Maroc…

… Pas plus qu’il ne semble être à l’aise avec les Marocains. Il est vrai que la personnalité peu rieuse du chef de la diplomatie française est incompatible avec la nature rugueuse de son homologue marocain. Les deux défendent certes les intérêts supérieurs de leurs pays respectifs (comme on dit), sauf que M. Le Drian, en Afrique, ne semble pas disposé à traiter d’égal à égal, malgré les grands mots et les petites phrases sur « la convergence », « la synergie » et « l’histoire ». Il nous a même expédié comme ambassadrice Mme Hélène Le Gal, une diplomate de choc, ancienne « conseillère Afrique » (sic) de François Hollande, en poste dans les « zones sensibles » (Burkina Faso, Québec, Israël et maintenant Maroc) et rompue aux questions sécuritaires.

Chef du Quai d’Orsay depuis mai 2017 – à son corps défendant car il voulait se maintenir à la Défense avec le président Macron –, le ministre français n’aura effectué que deux visites (dont l'aller-retour d'aujourd'hui) en nos vertes contrées, plusieurs autres ayant été reportées « sine die », ce qui en termes diplomatiques signifie que rien ne va, ou presque. Deux visites en deux ans et demi, c’est assez, voire trop pour lui, peu pour la qualité autoproclamée des relations bilatérales (il est aussi venu une autre fois, mais dans les bagages du président).

Au Maroc, le faucon de qualité supérieure qu’est M. Le Drian n’aime pas les fins de non-recevoir, et cela a un effet sur son humeur que son caractère de Breton aggrave. Il avait intercédé avec insistance, mais en vain, pour que l’épouse de M....

Niîma Asfari, lourdement condamné pour meurtre et profanation de dépouille à Gdim Izik, puisse visiter « immédiatement » son mari. Mais le ministre français ignore, ou feint d’ignorer, que Mme Mangin est davantage une militante qu’une épouse…

En juin 2019, aux côtés d’un Nasser Bourita rictus (effacé depuis) aux lèvres, M. Le Drian avait scandé que pour la question des visas pour le tout-venant local, les choses resteraient ainsi, et que la France est « victime de son succès »… Certes, mais le Maroc, lui, est « victime » de son tropisme français, inconséquemment défendu par le gouvernement Elotmani, mais progressivement rejeté par la jeunesse marocaine… et africaine.

M. Le Drian, en Afrique en général et au Maroc en particulier, a une posture peu esthétique. Sa fonction passée de ministre de la Défense, officiellement, de marchand d’armes officieusement lui avait conféré une aura et une autorité en Afrique, qu’il conserve aujourd’hui au Quai d’Orsay, sans même s’en cacher ou tenter d’y mettre les formes. Pour la présidentielle congolaise, il avait évoqué « l’espèce de compromis à l’africaine», et au Cameroun, il avait lourdement pesé pour récupérer un marché qui échappait aux Français. Serait-ce pour la même raison qu’il était à Rabat aujourd’hui ?

Le président Macron n’est pas le général de Gaulle, et en conséquence M. Le Drian ne peut être M. Foccart. Les temps ont changé, les Africains aussi, qui ne s’accommodent plus de la Françafrique ou de la « cellule Afrique ». L’Afrique commerce aujourd’hui avec la Chine et la Russie, avec l’Inde et le Japon, et n’est plus une chasse gardée, même si le chasseur français y joue toujours les braconniers.

Mais il n’est dans l’intérêt de personne, tant pour notre affaire à l’ONU que pour leurs affaires en Afrique, que les relations entre Paris et Rabat soient tendues, comme elles semblent l’être aujourd’hui, car la longue histoire bilatérale peut servir de point d’appui à une belle et fructueuse relation d’avenir. Sur de nouvelles bases, où le respect transcende le prospect. Alors, dans ce cas, Donemat*, M. Le Drian…

Aziz Boucetta

* Donemat, bienvenue en breton