Midterms 2018 : entre revanche et réplique de 2016 (Par Nicolas Gachon)

Midterms 2018 : entre revanche et réplique de 2016 (Par Nicolas Gachon)

Deux ans après sa victoire face à Hillary Clinton, Donald Trump fait face à son premier grand test électoral : les Américains sont appelés à voter, le 6 novembre 2018, à l'occasion des midterms. Ces élections de mi-mandat devraient, comme c'est d'usage, tourner au référendum pour ou contre l'actuel locataire de la Maison blanche.

Le Congrès, actuellement à majorité républicaine, pourrait changer de visage : l'intégralité des 435 élus de la Chambre des représentants, ainsi qu'un tiers des 100 sénateurs doivent être renouvelés. Les démocrates espèrent reprendre le contrôle de la première des deux assemblées, pour ainsi bloquer, au moins partiellement, l'agenda de Donald Trump et passer au crible toutes les affaires qui embarrassent le chef de l'Etat depuis le début de sa présidence.

En plus de ses scrutins fédéraux, d'autres scrutins locaux sont organisés à l'occasion des midterms. Dans de nombreux Etats, les Américains vont voter pour leur gouverneur, mais aussi pour leurs assemblées locales, leurs juges, leurs shérifs, leurs maires... Sans compter les « ballot initiatives », des référendums locaux sur des questions de société, comme le cannabis ou l'avortement.

Nicolas Gachon (photo ci-contre), maître de conférences en civilisation américaine contemporaine à l’Université Paul Valéry Montpellier 3, spécialiste des questions politiques, détaille les enjeux de ces élections.

Entre revanche et réplique de 2016 

Les élections de mi-mandat du 6 novembre prochain seront, quels qu’en soient les résultats, une heure de vérité, d’une vérité qu’il faudra sans doute interpréter avec beaucoup de recul dans un probable tumulte politico-médiatique. Les midterms, qui se déroulent à mi-parcours du mandat présidentiel, sont souvent des élections sanctions pour le parti du président. En cela, tous les espoirs de revanche électorale sont permis pour les opposants à Donald Trump dont la figure extrêmement clivante polarise les forces en présence et exacerbe les débats.

Les midterms concernent uniquement le Congrès, la branche législative. Si la totalité des 435 sièges de la Chambre des représentants sont remis en jeu, seul un tiers des 100 sièges du Sénat, 35 exactement, vont être renouvelés le 6 novembre. Les Républicains disposent actuellement d’une courte majorité au Sénat (51-49) qu’il sera difficile de reconquérir pour les Démocrates puisque les 35 sièges remis en jeu le 6 novembre sont précisément des sièges démocrates (26) alors que les Républicains n’ont que 9 sièges à défendre. Les perspectives sont beaucoup plus ouvertes à la Chambre des représentants où la majorité républicaine de 236 sièges contre 193 pour les Démocrates (avec 6 sièges vacants) peut techniquement être renversée. La plupart des instituts de sondage le confirment d’ailleurs, les Démocrates ont des chances très sérieuses de reconquérir la Chambre.

Prudence toutefois … le spectre de 2016 plane toujours sur la vie politique américaine. L’histoire récente a démontré que les instituts de sondage s’alignent sur une orientation ressentie de l’opinion publique et que le décalage avec la réalité quantifiable est parfois très sensible, à l’image du décalage entre température réelle et température ressentie en météorologie. Ajoutons ici que les membres du Congrès à Washington ont certes une vocation et une aura nationales mais qu’ils sont les élus de circonscriptions locales, et que cette tension entre circonscriptions locales et projections électorales nationales a déjà été parfaitement exploitée par Donald Trump en 2016 : trois États jugés acquis aux Démocrates (le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin) lui avaient à la dernière minute ouvert les portes de la Maison Blanche. Trump se prépare justement à entamer une série de huit meetings successifs dans les derniers jours de la campagne des midterms. Penser que Trump et son entourage manquent d’intelligence ou de stratégie est une erreur, une erreur sur laquelle Trump lui-même compte particulièrement.

Prudence encore … Donald


Trump se nourrit politiquement du climat de tension politique dont beaucoup pensent qu’il l’affaiblit. Les électeurs qui détestent Trump continuent de détester Trump et les électeurs qui aiment Trump continuent d’aimer Trump. Les marges électorales sont en réalité souvent bien plus étroites que ce que les sondages peuvent anticiper. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer que la courbe de popularité de Donald Trump ne chute pas, voire augmente, alors même que les sondages entrevoient une victoire des Démocrates à la Chambre des représentants. Trump veille donc à activer et à galvaniser ses supporters les plus militants, les plus conservateurs. Le dossier de l’immigration le lui permet, et la « caravane » de migrants d’Amérique centrale qui tentent actuellement de gagner les États-Unis lui en donne encore l’occasion. De même, la récente confirmation extrêmement controversée du juge Brett Kavanaugh à la Cour suprême, après celle de Neil Gorsuch, a ravi les conservateurs et marqué une victoire très significative de Donald Trump. Les évangéliques, dont la pratique religieuse pourrait théoriquement mal s’accommoder de certaines frasques du président, continuent ainsi de soutenir Donald Trump en qui ils voient l’instrument du renversement de l’arrêt Roe v. Wade de la Cour suprême qui, depuis 1973, permet l’avortement aux États-Unis. Plus que jamais, Trump reste l’instrument politique d’un dessein idéologique.

Les Démocrates, naturellement, entretiennent des espoirs raisonnables de reconquérir la Chambre des représentants. Comme cela s’était produit après les midterms de 2014, où l’élection d’un Congrès républicain avait littéralement empêché Barack Obama de gouverner durant les deux dernières années de son second mandat, les Démocrates espèrent à leur tour diviser le gouvernement sur la base d’une Chambre des représentants qui viendrait littéralement « arrêter », pour paraphraser Montesquieu, le pouvoir de Donald Trump. Les enjeux sont nombreux car les cartes seraient immédiatement rebattues, de la composition des commissions parlementaires qui enquêtent sur les soupçons de collusion avec la Russie jusqu’à la possibilité ultime de voter des chefs d’accusation en vue d’un hypothétique procès en destitution du président. Et dans l’éventualité d’une reprise du Sénat par le Parti démocrate, improbable à cette heure, le pouvoir présidentiel de nomination de juges à la Cour suprême serait lui-aussi entravé en ce que la nomination de ces juges, nommés à vie par le président, doit être validée par le Sénat. Ce serait un revirement très significatif car les enjeux idéologiques et sociétaux sont particulièrement exacerbés.

La prudence appelle donc à ne pas proclamer trop hâtivement une victoire des Démocrates à la Chambre des représentants. Une telle victoire aurait quelque chose de quasi historique pour les Démocrates dont le désir de revanche politique est légitime, mais le pays s’enliserait par la même dans une polarisation plus intense encore, avec, dans l’hypothèse d’un gouvernement divisé (Maison Blanche et Congrès politiquement opposés) voire d’un Congrès lui-même divisé (Chambre et Sénat politiquement divisés), une baisse probable de la productivité législative. Donald Trump pourrait alors chercher à avoir recours aux décrets présidentiels (« executive orders ») pour contourner le Congrès, comme Barack Obama l’avait fait après 2014 pour contourner le Congrès républicain et comme Tump lui-même l’a fait dès le début de son mandat pour les restrictions en matière d’immigration. Trump disposait alors pourtant d’un Congrès républicain, théoriquement acquis à sa cause. L’agitation pré-électorale nous conduirait presque à négliger une question pourtant fondamentale : Donald Trump est-il véritablement un Républicain ? Ou est-il l’instrument d’un dessein idéologique ultra-conservateur ? Ce n’est pas la même chose, et les résultats des midterms du 6 novembre, quels qu’ils soient, seront riches d’enseignements, et probablement lourds de conséquences. A long terme, la première victime du Trumpisme pourrait bien être le Parti républicain.

Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue