TVA, banques et banqueroute…
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- 25 janvier 2018 --
- Economie
Ce sont plus de 30 milliards de DH que l’Etat doit verser aux entreprises au titre de ses arriérés de TVA, en différence entre la TVA récupérée et la TVA encaissée. Sur ces 30 milliards, le tiers environ revient aux entreprises privées, dont plusieurs ont fermé leurs portes, étranglées par le manque de trésorerie. Il fallait trouver une solution, sachant que l’Etat est en sérieuse difficulté financière, ainsi que vient de le redire la Cour des Comptes. Et ce sont les banques qui montent au créneau, sollicitées par le gouvernement et alléchées par cette aubaine.
Et ainsi donc, des conventions cadres ont été signées, ce mercredi 24 janvier à Rabat, entre le ministère des Finances et l'ensemble des banques de la place, en vue d’apurer le passif en matière de crédit TVA. Ces conventions ont été signées par le ministre des Finances Mohamed Boussaïd et les représentants de la Banque centrale populaire, de la BMCE Bank of Africa, du Crédit Agricole du Maroc, de la Société générale, d'Attijariwafa Bank, du Crédit du Maroc, de la BMCI, du CIH et d'Arab Bank.
Le remboursement total des créances sera effectué par les banques signataires, sur présentation d’une attestation de reconnaissance de dette délivrée par la Direction Générale des Impôts (DGI), s’est félicité Boussaïd lors de la cérémonie tenue en grande pompe à Rabat, en présence des directeurs généraux du Groupement professionnel des Banques du Maroc (GPBM) Hadi Chaïbaïnou et de la DGI Omar Faraj et de la patronne des patrons Miriem Bensalah Chaqroun.
Comment cela va-t-il se dérouler ?
A partir du 5 février, l’Etat, à travers la DGI, devra tout d’abord délivrer une attestation aux entreprises concernées, mentionnant le montant de la TVA due. Puis l’entreprise concernée qui aura obtenu ce document ira à sa banque pour recevoir le montant correspondant, moyennant, quand même, un « petit » intérêt de 3,5%. Cela revient à une sorte de factoring.
Exemple : L’Etat doit verser à une entreprise, au titre du différentiel de TVA, la somme d’un million de DH. L’entreprise a une trésorerie exsangue, et va alors à la DGI. Elle doit valider sa créance sur l’Etat. On supposera que cette opération se fasse rapidement, et complètement… L’entrepreneur se précipite alors vers sa banque, brandissant son fameux sésame, et se fait créditer son compte du million de DH. Mais l’entrepreneur devra alors verser chaque année à sa banque un taux de 3,5%, sur le reliquat de ce million. Ainsi, si l’Etat rembourse en cinq ans ce million de DH à la banque (à raison de 200.000 DH/an), la première année, l’entrepreneur paiera 3,5% sur un million de DH, et la deuxième année, 3,5% sur 800.000 DH, la troisième année 3,5% sur 600.000 DH… Au total, sur 5 ans, l’entrepreneur aura versé environ 100.000 DH pour la récupération de sa créance.
Deux cas se présentent, qui ne semblent pas avoir été discutés :
1/ Si l’Etat, comme cela est fort possible, ne paie pas en 5
ans : dans cette configuration, l’entrepreneur devra bien continuer de payer 3,5% sur le montant resté à régler par l’Etat à la banque, sans visibilité sur l’avenir ;
2/ Si la banque détient une créance sur l’entrepreneur : Selon un banquier de la place, « la banque se réservera le droit de prélever sa créance sur l’entreprise, et de ne lui verser que le reliquat ». Si le procédé peut paraître logique dans le cas d’une créance de découvert consenti pour combler des trous de trésorerie, il n’en va pas de même s’il s’agit d’autres lignes de crédit, que la banque aurait décidé de recouvrer avant terme.
Et donc, finalement, l’Etat s’en sort bien, contournant ce qui ressemble à une banqueroute en déléguant aux banques sa créance sur l’entreprise. La banque, elle, engagera ses fonds sur une créance solide sur l’Etat, car ce dernier, même en légère banqueroute, ne peut être en faillite… et en passant, ladite banque réalisera un joli bénéfice sans aucun risque. Quant à l’entrepreneur, il soufflera et soufrera, récupérant sa créance moyennant un écot à verser aux banques, sans qu’il n’ait aucune garantie sur le délai que s’accordera l’Etat pour tout régler. .
La pression tombe et pèse au final sur l’entrepreneur, véritable preneur de risque économique. L’Etat s’en ira alors, se frottant les mains d’avoir évacué ce problème sur les banques, qui font une belle affaire, dénuée de risque, et l’entrepreneur paiera. Mais il a l’habitude…
C’est ce qui fait dire à la CGEM, par la voix de Miriem Bensalah Chaqroun, que tout cela est bien joli, mais que cela ne doit plus se répéter. En version originale, et selon le communiqué publié par la Confédération ce même mercredi, ça donne ceci :
« Tout en saluant l'esprit positif dans lequel s'inscrit aujourd’hui cette démarche concernant la problématique des arriérés de paiement, la CGEM insiste pour un retour à la normale dans les relations commerciales entre les entreprises et l'Etat à travers :
- La reconnaissance claire et formelle par le Gouvernement de la dette due aux entreprises, qu'elles soient privées ou publiques ;
- Le respect par l'Etat des conditions de remboursement de TVA telles que prévues par la loi, afin d'empêcher la reconstitution d'un nouveau stock de crédits de TVA ;
- L'engagement de l'Etat de payer dans les temps les entreprises, au titre des prestations effectuées pour son compte, conformément à la loi sur les délais de paiement et au Décret sur les marchés publics ».
En clair, et d’une part, il ne faut plus que l’Etat laisse se reconstituer cette dette TVA, d’autre part, il devra s’acquitter de ses dettes à l’égard des entreprises publiques (20 milliards de DH, dont 18 pour le seul OCP Group) pour injecter des fonds dans l’économie, et enfin, en cas de retard de paiement futur, le gouvernement devra payer des pénalités.
Mais bon, restons optimistes… Les entreprises souffleront un peu, et 10 milliards de DH seront immédiatement injectés dans le circuit économique.
Aziz Boucetta