Fehd Benchemsi : « L’âme sœur de l’art gnaoui est le jazz ! »

Fehd Benchemsi : « L’âme sœur de l’art gnaoui est le jazz ! »

Fehd Benchemsi, acteur et musicien gnaoui, a sorti un album de fusion gnaoua jazz. Acteur aux Etats-Unis après l’avoir été au Maroc, il n’oublie pas ses premières amours, éternelles amours, avec l’art et le patrimoine gnaouis. La semaine dernière, nous avons mis en ligne un premier morceau de cet album. Voici le second… 

Dans cet entretien, Fehd Benchemsi nous explique sa carrière, ses choix musicaux, et nous donne un aperçu sur sa carrière hollywoodienne.

 

Vous venez de sortir un album de fusion gnaouie avec votre groupe « Fehd Benchemsi & Friends »… Vous êtes pourtant acteur…

Oui, je suis effectivement acteur, mais je suis également musicien, avant même d’être comédien. J’ai donné mon premier concert à 15 ans, en 1993, et j’étais percussionniste dans mon groupe de lycée. J’ai intégré ensuite un groupe de musiciens, les Purple Delphins, puis j’ai joué comme percussionniste avec Barry, avant de créer mon propre groupe de gnaoua au Maroc.

Cela étant, je suis parti aux Etats-Unis pour ma carrière de comédien, mais entre deux auditions, deux tournages, je me suis laissé aller à ma première passion, qui est la musique. J’ai créé alors Gnawest avec Khalid Naitzahou, une fusion entre la musique gnaouie et la danse ouest-africaine, et c’est à partir de cela que nous avons commencé à être connus, à mesurer l’interaction positive des gens.

Quand j’ai rencontré Alexander Nimier, lors d’un concert de Flight of Voices, on a décidé d’aller plus loin en créant une formation jazz avec des musiciens américains. En fait, l’âme sœur de la musique gnaouie est le jazz. La raison est simple, et consiste dans le fait que l’ADN de l’humanité est africain, et plus on s’éloigne de l’Afrique, plus cet ADN se dissipe, mais il en reste toujours quelque chose, et aux USA, cet ADN s’est incarné dans le jazz.

Vous voulez une preuve ? Allons-y… Jouez du djembi à un Chinois, il danse, et jouez du guembri à un Norvégien, il danse aussi... mais essayez de jouer de la musique chinoise à un Guatémaltèque et vous verrez qu’il restera de marbre, et il en va de même pour des musiciens bataves avec un public vietnamien… Les humains se reconnaissent et se ressentent dans les rythmes ancestraux des Africains car ce sont leurs propres ancêtres à eux, au sens large de cette humanité, qui est apparue comme vous le savez en Afrique.

Autre chose… lors de la traite des Noirs, aux 17ème et 18ème siècle, une partie des captifs sont partis au Maroc et ont contribué à la naissance de la musique gnaouie, et l’autre partie a vogué vers les Etats du sud des Etats-Unis, et là, ils ont créé le jazz et surtout le blues. Et si vous écoutez le blues, vous relèverez si vous êtes perspicace et dotés par Dame Nature d’une ouïe fine, que le style est le même que la musique gnaouie, le « maâlem » scande quelque chose, et les autres reprennent en chœur, de tout cœur.

Même origine, même mood, même « vib »… donc le jazz et la musique gnaouie fusionnent bien plus facilement, plus aisément, et plus phonétiquement que cette même musique et la musique… andalouse par exemple ! Ecoutez et vous verrez…

 Racontez-nous la genèse de ce groupe, et de cet album…

(rires) Je vous ai déjà répondu, non ? Répétons alors… J’ai joué avec Flight of Voices et j’y ai rencontré Alexander Nimier, auquel j’ai proposé d’aller plus loin entre gnaouis et jazz, mais uniquement du gnaoua et jazz dans un ensemble dédié à cette fusion. Et donc avec Alexander et Khalid Naitzahou, qui a assuré la production exécutive, pendant qu’Alexander a été le producteur dans le sens américain (rassemblement des musiciens, manière de jouer, de filmer, durée des morceaux, instruments choisis, lieux de concerts…), nous avons lancé ce que vous voyez et écoutez aujourd’hui.

 Comment s’est fait le choix des instruments et dans quelle mesure la culture et le patrimoine gnaouis sont-ils respectés ?

Le choix


des instruments s’est fait le plus naturellement du monde… Des musiciens avec lesquels j’ai joué, puis accroché. Le choix des instruments est, aussi paradoxal que cela puisse vous paraître, d’abord humain.

Le guitariste, le trompettiste, les vocalistes, c’est pareil… le contact humain est passé avec ces gens et on a décidé de jouer ensemble, avec l’accord artistique d’Alexander bien évidemment. Autrement dit, nous avons une guitare électrique dans notre fusion, non parce qu’on a choisi la guitare mais parce que le guitariste a fusionné dans l’ensemble. Il aurait pu être percussionniste ou vocaliste, qu’il aurait intégré la troupe !

Pour le respect du patrimoine, cela va de soi, car je suis un féru, un passionné, un addict presque de cette immense culture… et respecter une musique, c’est respecter les notes et les paroles, ne pas jouer le rythme d’un « tarh » (morceau) avec les paroles d’un autre et inversement…

Mais on peut poser la question de savoir si fusionner ne signifie pas altérer, ou détruire. Et bien non, je ne le pense pas, et je reviens aux propos d’un grand maâlem, en l’occurrence Hmida Boussou, qui a dit une fois que s’il n’y avait pas le festival gnaoua d’Essaouira, ce patrimoine serait en voie de disparition ou disparu car la culture gnaouie aurait été renfermée sur elle-même et aurait disparu avec ses grands maâlems.

Le patrimoine est inexpugnable, personne ne peut l’atteindre ou l’altérer. Le patrimoine gnaoui se joue dans les lilas et les moussems, et il ne bouge pas. Le jour où dans un moussem, on verra un maâlem et une mqadma remplir leur office, avec un guitariste et un pianiste, là, on pourra s’inquiéter pour le patrimoine, car l’âme de ce patrimoine, faite de couleurs, de guembri, de qraqeb, d’encens et d’immolation, est immuable.

Mais tant que la fusion se joue sur scène, il n’y a aucun risque d’altération du patrimoine, rassurez-vous…

Comment votre album de fusion a-t-il été accueilli par les Gnaouas du Maroc ? Comptez-vous vous produire avec votre groupe au Maroc ?

Redoutable question… et réponse directe : les gnaouis connus et réputés ont bien accueilli l’album, les autres n’ont pas aimé. C’est aussi simple et direct que cela.

Les grands maâlems Hamid el Kasri, Abdelkbir Marchane et d’autres de même envergure ont regardé, écouté, bien réagi et apprécié la fusion, et c’est ce qui importe car la culture et le patrimoine gnaouis, ce sont eux et leurs pairs, grands gnaouis.

Et c’est ce qui importe, c’est ce qui m’importe… le reste, les autres, leur avis relève de leur liberté d’expression, qui m’est par ailleurs très utile pour améliorer ce qui devrait l’être…

Quant à moi, je ne suis pas maâlem, car cela ne consiste pas à jouer et chanter la musique gnaouie... pour être maâlem, il faut être capable de gérer une transe, connaître les saints, savoir immoler une bête et la préparer, bien se comporter avec un danseur en transe et le suivre, l’accompagner. Je ne me positionne donc pas comme maâlem, mais comme musicien qui joue la musique gnaoua. J’en ai le droit, non ?...

Et sinon, où en est votre carrière cinématographique ?

Je vais utiliser une parabole… Je suis entré dans la boulangerie et j’ai pris mon ticket ; maintenant, j’attends mon tour pour prendre ma baguette. Vous avez compris, la boulangerie est Hollywood, le ticket est le droit d’entrée qui, contrairement au ticket, n’est pas délivré à tout le monde, et la baguette est un rôle important dans un film important, si j’ose dire…

Cette figure de style, c’est Bob Wisdom, qui est un peu mon mentor ici, qui me l’a dite, après m’avoir grandement aidé depuis mon arrivée à Los Angeles… Il faut dire que les films américains que j’ai tournés au Maroc ont contribué à la vitesse à laquelle je vais ici en Californie.

Je passe aujourd’hui beaucoup d’auditions, en attendant le gros lot. Mais je suis dans le jeu, et c’est le plus important.

Propos recueillis par Aziz Boucetta