L’art Gnaoua enfin inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco
Pour celles et ceux qui connaissent ou ont connu le Maroc d’avant, les Gnaoua étaient des mendiants, qui exerçaient leur art dans le rue, pour une obole. Depuis une vingtaine d’années, cet art a gagné ses lettres de noblesse, se faisant connaitre pour ce qu’il est, une musique ancestrale, spirituelle. L’UNESCO vient de reconnaître l’art Gnaoua en l’inscrivant sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité.
Et de fait, c’est ce jeudi 13 décembre à Bogota, en Colombie, que cet art Gnaoua a été inscrit par le Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Qu’est-ce que le patrimoine culturel immatériel, ou PCI ? Le mieux est d’avoir la réponse de l’Unesco :
« Le patrimoine culturel ne s’arrête pas aux monuments et aux collections d’objets. Il comprend également les traditions ou les expressions vivantes héritées de nos ancêtres et transmises à nos descendants, comme les traditions orales, les arts du spectacle, les pratiques sociales, rituels et événements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ou les connaissances et le savoir-faire nécessaires à l’artisanat traditionnel. Le patrimoine culturel immatériel ne peut être patrimoine que lorsqu’il est reconnu comme tel par les communautés, groupes et individus qui le créent, l’entretiennent et le transmettent ; sans leur avis, personne ne peut décider à leur place si une expression ou pratique donnée fait partie de leur patrimoine ».
L’UNESCO a donc reconnu que la musique Gnaoua constitue l’une des multiples facettes de l’identité culturelle marocaine, notamment celle ancrée dans les racines africaines du pays.
A la manœuvre, l’association Yerma Gnaoua (« en avant, les Gnaoua ») dont l’un des principaux objectifs est la sauvegarde et la valorisation du patrimoine immatériel de la confrérie des Gnaoua. Elle agit pour faire connaître la culture gnaoui ici et ailleurs, et assurer la perpétuation de ses traditions. Cette association, qui compte à son actif une somptueuse anthologie de l’art gnaoui a été fondée en 2009 à l’initiative de maâlems gnaouis et des fondateurs du Festival Gnaoua et Musiques du Monde.
Le dossier de candidature du Maroc précise que « l’art gnaoua consiste en un ensemble de productions musicales, de performances, de pratiques confrériques et de rituels à vocation thérapeutique où le profane se mêle au sacré ».
Le président de Yerma Gnaoua, le Maâlem Abdeslam Alikane (ci-contre, à gauche, tout de noir vêtu) a fait le long voyage en Colombie, gratifiant les membres du Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco des sons magiques et envoûtants de la musqie gnaoua, crotales, tambour et guembri à l’appui. On peut raisonnablement penser qu’après cela, les membres de ce Comité se trouveront à Essaouira, pour la 23ème édition du Festival Gnaoua Musiques du monde, qui se tiendra, info utile, du 25 au 28
juin 2020
La vice-présidente déléguée de Yerma Gnaoua, Neïla Tazi, fondatrice du Festival Gnaoua Musiques du monde (et par ailleurs présidente de la Fédération des industries créatives et culturelles à la CGEM), suivait les choses, avec une certaine anxiété due à une attente de plusieurs années, depuis le Maroc. On imagine son bonheur, et voilà comme elle l’a exprimé à Panorapost : « Un grand moment d’émotion ! Cette reconnaissance est une formidable victoire pour les Gnaoua, pour le Maroc et tous les Marocains. C’est aussi une exceptionnelle démonstration de cette dynamique qu’a connu le Maroc au cours de ces vingt dernières années, sous la conduite de Sa Majesté Mohammed VI, ce Maroc qui ose, ce Maroc qui bouge et s’émancipe, le Maroc de tous les possibles. Oui, les Gnaoua reviennent de loin, nous avons pu faire ce chemin ensemble sur la base de la confiance et la volonté d’écrire une belle histoire marocaine ».
Yerma Gnaoua a donc gagné, en voyant récompensés les longs et pénibles efforts pour se frayer un passage dans les méandres souvent sinueux des instances internationales. Mais en 20 ans de Festival Gnaoua Musiques du monde et 10 après sa création, l’heure est à la fête.
Pour sa part, André Azoulay, Souiri de naissance, de cœur et de passion, rencontré à Marrakech, ne cache pas sa joie et sa fierté, affirmant que « cette reconnaissance par la Communauté des Nations de l'universalité du Maroc et de l'exceptionnelle richesse de sa diversité incarnées par le leadership de S. M. Le Roi Mohammed VI et portées avec fierté et détermination par Essaouira, rend justice à l'engagement pionnier et visionnaire de la Cité des Alizés qui a fondé sa renaissance sur la profondeur de notre patrimoine. Un patrimoine qui a le talent de faire converger la modernité et l'exemplaire singularité de nos mémoires mêlées ». Il rappelle également qu’ « Essaouira, a été inscrite par l'UNESCO il y a quelques semaines dans la liste des villes les plus créatives du monde, une double consécration réconciliant la Cité des Alizés avec les lumières de son glorieux passé pour une autre histoire riche de belles promesses ».
Voilà donc cet art jadis méconnu, aujourd’hui très connu et désormais reconnu, protégé, au firmament des arts traditionnels humains. Le travail a commencé en 2015, avec la candidature déposée par le Maroc auprès de l’Unesco, et suivie de près par la Délégation Permanente du Maroc auprès de l’UNESCO. Et voilà, donc, l’art gnaoua protégé et sauvegardé, s’ajoutant à sept autres arts bien de chez nous inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco : l’espace culturel de Jemaa El-Fna ; le Moussem de Tan-Tan ; le Festival des Cerises de Sefrou ; la Diète méditerranéenne, l’Argan, pratiques et savoir-faire liés à l’arganier ; la Fauconnerie, un patrimoine humain vivant ; la Taskiwin, danse martiale du Haut-Atlas occidental.
Aziz Boucetta