La mauvaise vision du gouvernement face au bras de fer opticiens-ophtalmos

La mauvaise vision du gouvernement face au bras de fer opticiens-ophtalmos

Le syndicat professionnel national des opticiens du Maroc a organisé voici une dizaine de jours un sit-in devant le parlement, pour protester contre le projet de loi 45-13 sur l’exercice de la profession d’opticien. Le texte prévoit de priver cette profession de tous les actes considérés comme « médicaux », cantonnant ses praticiens à une simple vente de lunettes et accessoirement, à de menues corrections et à de plus légères interventions. En clair, l’opticien n’aura plus le droit ni à la réfraction, ni à l’adaptation des lentilles de contact, et peut-être même pas au montage des verres, ce qu’il refuse et ce contre quoi il est décidé à batailler…

Voici ce que stipule l’article 6 de ce projet : « L'opticien lunetier délivre au public des articles d'optiques destinés à corriger ou à protéger la vue. Préalablement à leur délivrance, il réalise l'adaptation et l'ajustage desdits articles au moyen d'instruments de contrôle nécessaire. Il délivre les produits d'entretien et de conservation des lunettes et de lentilles de contact ainsi que les produits de leur humidification. Toutefois, l'opticien lunetier ne peut délivrer aucun dispositif médical d'optique sans prescription médicale dans les cas suivants : 1) Pour les sujets de moins de 16 ans ; 2) L'acuité visuelle inférieure ou égale à 6/10 après correction ; 3) Amétropies fortes ; 4) Presbyties en discordance avec l'âge ».

Les opticiens, formés à l’issue de cursus allant de 3 à 5 ans, contestent l’interdiction qui leur est faite d’agir comme des paramédicaux, dans le sens où ils sont à même de procéder à des vérifications, examens et ajustages nécessaires. Selon l’un d’eux, ce sont les médecins ophtalmologistes qui seraient à l’origine de cette mesure, dans l’objectif d’augmenter leurs prestations, et leurs revenus.

Cela semble logique car si les opticiens se limitaient au simple rôle de lunetiers, à quoi servent donc ces études relativement longues, et quelle est l’utilité de mettre en place des cursus universitaires de formation des opticiens ? Il est vrai que certaines écoles ne sont pas aux normes requises, pas plus qu’elles ne garantissent la qualité et la pertinence des formations. Mais de là à généraliser…

Le sit-in observé devant le parlement le 26 juin dernier est le troisième du genre, après une bataille législative et réglementaire menée par la profession. Selon Abdelhadi Touati, secrétaire général du syndicat, ce sont les ophtalmologistes qui ont joué de leur influence auprès du ministère et des parlementaires pour réduire le champ d’intervention des opticiens. Leurs arguments sont moralisateurs, du type « faire la mesure optique


et vendre des lunettes s’apparente à un exercice illégal de la médecine
», ou grandiloquents, comme « l’intervention de l’industrie du verre dans ce conflit », ou cataclysmiques, comme « les opticiens ne détectent pas les maladies oculaires et une fois le médecin avisé et saisi, c’est trop tard »…

Les opticiens, pour leur part, se réclament du dahir de 1954 réglementant la profession d’opticien lunetier. Voici ce que dit ce dahir : « L’opticien - lunetier est le professionnel qui délivre au public des appareils servant à la correction de la vue, adaptés suivant les lois de l’optique. Il conçoit, calcule, fabrique ou achète les montures et verres de lunettes, procède, s’il y a lieu, à leur transformation, en assure la vérification et l’adaptation. Nul ne peut être admis à exercer la profession d’opticien lunetier détaillant s’il n’est possesseur d’un titre ou diplôme d’Etat donnant le droit d’exercer cette profession (…) ».

Il était certes temps de faire évoluer ce dahir datant de 65 ans, mais il n’était pas nécessaire de dépouiller l’opticien lunetier de ses attributions professionnelles ni de lui renier ses compétences techniques… pas plus qu’il n’y a lieu de dépouiller la profession de sa substance alors que dans les pays les plus développés l’optométrie gagne du terrain en accord avec les ophtalmologues, lesquels se concentrent sur les pathologies et les interventions chirurgicales que les opticiens ne peuvent faire.

Et les deux camps de se renvoyer la balle, les ophtalmologues accusant les opticiens d’exercer une très forte pression sur les parlementaires et les opticiens suggérant que leurs « adversaires » ont influencé le ministère, et le ministre.

La question est de savoir pourquoi le gouvernement, en autorisant et en reconnaissant des formations privées d’opticiens-lunetiers, puis en lançant à l’université Cadi Ayyad de Marrakech une licence professionnelle d’optique et d’optométrie, s’oriente-t-il vers un effeuillage des compétences de professionnels dont il reconnaît pourtant et par ailleurs les compétences. Et s’il demeurait un doute sur ce point, les opticiens réclament un examen national pour les écoles de formations afin de mettre les étudiants au diapason.

Nous n’en sommes pas à une contradiction près de notre gouvernement, pas plus que nous n’en sommes pas à un lobbying médical près qui, s’il est compréhensible de la part des ophtalmologues, l’est moins pour l’Etat. Le vote, programmé pour la semaine qui vient de s’écouler, a été reporté à cette semaine estivale de juillet. Mais dans tous les cas, les opticiens ne comptent pas baisser les bras, et envisagent une escalade progressive de leur mouvement.

Aziz Boucetta