Hirak, Saïd Châou, gouvernement et drogue, les éléments pour y voir plus clair dans la situation à al Hoceima…

Hirak, Saïd Châou, gouvernement et drogue, les éléments pour y voir plus clair dans la situation à al Hoceima…

Brusque rebondissement dans la question du Hirak à al Hoceima et Imzouren… Samedi 24 juin, le Maroc rappelle son ambassadeur à La Haye, en signe d’irritation contre le défaut de coopération judiciaire reproché par les Marocains aux Hollandais. En filigrane, l’ex-député marocain Saïd Châou, la production et le trafic de cannabis, et la contestation sociale.

Panorapost a interrogé plusieurs personnes impliquées dans ce Hirak, tant au niveau gouvernemental, à un rang plutôt informé et élevé, qu’à celui des contestataires sur le terrain. Les faits, tout en restant opaques, se clarifient quand même quelque peu…

Plusieurs choses ont été dites, allant de la « simple » contestation pour la réponse à des  besoins sociaux et économiques qu’à la manipulation venant de l’extérieur. Ces choses ont toujours été prises avec la mesure et la distance nécessaires, mais on ne suspend pas les relations avec un pays comme les Pays-Bas s’il n’y a pas de raison sérieuse, un pays où le roi Mohammed VI se trouvait il y a tout juste 15 mois et dans lequel il avait reçu un accueil marquant et remarqué de la part des ressortissants marocains.

La raison sérieuse porte un nom, Saïd Châou, ancien député d’al Hoceima au nom d’al Ahd, élu en 2007, un an avant que cette formation ne soit dissoute dans le PAM. Saïd Châou est un Rifain qui a émigré en Hollande dans les années 80, puis il y a fait fortune au moyen d’une chaîne de Coffee Shops, ces établissements où le cannabis est en vente libre, et légale.

Saïd Châou est également trafiquant de drogue notoirement connu, bien qu’il s’en défende, mais il n’a encore été blanchi ni pat la justice marocaine ni par son homologue néerlandaise. En effet, il a fait l’objet de deux mandats d’arrêt internationaux émis par la justice marocaine, pour « association de malfaiteurs » depuis 2010, et « trafic international de stupéfiants » depuis 2015. On peut contester la justice marocaine, mais avec des faits, et non sur la base d’un passé peu glorieux et d’un présent qui se cherche encore pour un avenir meilleur... On ne peut, en effet, accorder un total crédit à cette justice pour la lutte antiterroriste et douter de sa bonne foi pour le reste. C’est ce qui s’appelle deux poids deux mesures.

Retour sur plusieurs faits.

2014-2016, les négociations entre Rabat et Bruxelles sur les accords agricoles et de pêche conduisent l’Union européenne à réclamer bien plus de rigueur dans la lutte contre le trafic de drogue venant du Maroc et, aussi contre la production du kif. Les éléments de cette lutte se mettent en place, sérieusement,  et les saisies se multiplient, résolument, augmentant significativement depuis 2014 selon les rapports de l’ONU et de l’Union européenne.

De plus, la très étroite coopération sécuritaire entre le Maroc et l’Espagne ont érigé un véritable rempart entre les deux pays, bloquant toute activité illicite, terroriste bien entendu mais aussi criminelle (traites humaines des migrants et trafic de cannabis).

Les barons, qui existent puisque de grandes cultures et d’importants tonnages sont produits,  ont alors cherché à trouver d’autres moyens de faire prospérer leur business (production, traitement et exportation, puis écoulement de la marchandise). C’est la proposition de dépénalisation de la production.

En 2015-2016, une forte campagne pour cette dépénalisation de la production de cannabis dans le nord est menée par le PAM, dirigé de fait par Ilyas el Omari, très proche parent et très proche tout court de Saïd Châou. La campagne est soutenue par l’Istiqlal de Hamid Chabat. On a souvent dit et soutenu que l’origine de la fortune d’el Omari est opaque, et on a souvent murmuré ici et là les accointances de Chabat, à la fortune tout aussi douteuse, avec certains milieux douteux, ses propres enfants étant en délicatesse avec la justice pour des affaires de drogue.

Parmi les arguments du PAM et de l’Istiqlal, la cinquantaine de milliers de gens du nord sous mandat de recherche par la justice pour production de kif, dénoncés anonymement, doivent être relaxés.

Au final, les barons de la drogue, déboutés, traqués, combattus, cherchent d’autres moyens pour se défaire de l’étau judiciaire et sécuritaire. Et des dizaines de milliers de familles restent sous le coup d’un mandat d’amener d’un ou plusieurs de leurs proches… Le décor est alors planté, ne manque plus que l’étincelle.

28 octobre 2016, Mouhsine Fikri meurt dans une benne à ordures à al Hoceima, pour les raisons que tout le monde sait désormais. On ne peut trouver mieux comme symbole de hogra : « un pauvre négociant broyé dans un camion d’ordures », un vrai « bouzebbal », comme les Marocains s’appellent souvent eux-mêmes dans une sorte de mal-être collectif et psycho-socialement inquiétant. Et pour corser le tout, une expression a été prêtée à un agent d’autorité du coin : « than mou ». A cette époque, il n’y avait pas encore de Hirak, mais le « than mou » est devenu viral, porté très rapidement par des hashtags et promis à un avenir radieux et tout aussi rapide  sur les réseaux. Qui a fait cela ? Qui a inventé cette expression et s’est assuré de sa viralité, avant même que le Hirak ne s’organise et se structure ?… Comment se fait-il que personne n’ait filmé la scène de la mort de Fikri ni l’agent prononcer cette phrase qui a mis le feu aux poudres ?

On remarquera que tout au long de ces huit mois, les yeux et l’attention


n’étaient braqués que sur le blocage politique et les pitreries et autres bons mots et postures avantageuses de M. Abdelilah Benkirane, alors même que dans le Rif, une toile se tissait, depuis la mort de Fikri jusqu’au rappel de l’ambassadeur marocain en Hollande.

Début  juin 2016, quelques jours après l’arrestation de Nasser Zefzafi, Saïd Châou se rappelle au bon souvenir des autorités marocaines et d’ailleurs. En effet, le Mouvement du 18 mars pour l’indépendance du Rif qu’il anime et qu’il finance, puisque lui-même parle de « notre mouvement » dans une longue vidéo postée voici quelques jours, adresse un courrier au secrétaire général de l’ONU Antonio Gutteres. « Génocide », répression », « forces coloniales marocaines », « crimes conre l’humanité », tortures et traitements dégradants » sont les mots et expressions récurrents dans cette lettre, dans laquelle il demande le plus simplement du monde à M. Gutteres de considérer la volonté d’indépendance du Rif, dans une ignorance totale des modes de fonctionnement des Nations Unies. En effet, le M18S demande « le renvoi du dossier de la colonisation du RIF par le régime marocain au Comité spécial de la décolonisation de l’Assemblée Générale des Nations Unies ». Bien évidemment fin de non-recevoir du destinataire, portugais qui connaît bien la région… Il est vrai qu’un patron de coffee shops, trafiquant poursuivi par deux justices, ne peut décemment et raisonnablement pas se poser en meneur d’un mouvement d’indépendance  crédible.

Nasser Zefzafi, celui qu’on présente comme le meneur du Hirak, sans en avoir la capacité puisque chômeur sans diplômes, a reconnu devant les enquêteurs que Châou lui avait enjoint de basculer dans la lutte politique et la revendication d’une posture de séparatisme. On peut objecter qu’il a fait cela en salle de torture, les ongles arrachés et la gégène branchée, mais il faut le prouver. De même que les hauts responsables gouvernementaux que PanoraPost a contactés ont affirmé que de fortes sommes d’argent sont entrées, en liquide, au Maroc, mais qu’ils ne peuvent en faire état car, précisément, ce n’est pas prouvable. Pourquoi les démentir, sauf à considérer que les dirigeants de ce pays sont de parfaits irresponsables…

Mais, pour autant, force est de relever que si Saïd Chaôu avait été suisse ou monégasque et que ce ne fut pas al Hoceima qui ait  été concernée, mais Zurich ou Monaco, les populations ne se seraient pas soulevées car dans ces contrées-là, les gens sont soignés, éduqués et disposent de métiers qui leur permettent de vivre… Autrement dit, ce n’est pas parce qu’il s’avère de plus en plus certain que le Hirak du Rif est une forme de prise en otage et de manipulation d’une population locale miséreuse par des trafiquants qui luttent contre un pouvoir central en passe de ruiner leur activité qu’il ne faut pas accélérer les réformes et diligenter la mise en place des infrastructures requises.

Depuis une semaine, les choses se sont précipitées, les décideurs marocains ayant décidé de passer à la vitesse supérieure… En effet, le gouvernement a multiplié les contacts avec les Hollandais pour qu’ils mettent un terme aux activités criminelles de Châou, lequel selon une haute source gouvernementale est actuellement sous bracelet électronique aux Pays-Bas, interdit de quitter le territoire.

Pour sa part, le RNI, ayant bien compris une des problématiques du Rif, a déclaré son intention de soumettre un projet de loi pour interdire les poursuites pénales sur la base des dénonciations anonymes, une loi – si elle est adoptée – qui aura pour effet d’absoudre les 50.000 personnes sous mandat de recherche. Le RBI rogne sur l’espace du PAM…

Enfin, le gouvernement, face au mutisme – et une certaine condescendance – des Hollandais, a décidé de réagir avec virulence en rappelant son ambassadeur à La Haye. Rabat accuse Saïd Châou de financer et de soutenir sur le plan logistique « certains milieux au nord du Maroc », sans plus de détails. Le Maroc, qui a « toujours loyalement coopéré dans le domaine de la lutte contre le trafic de drogues, ne saurait tolérer qu'un trafiquant notoire (...) agisse pour recréer une situation favorable à ses activités criminelles », a indiqué le ministère des affaires étrangères à Rabat. « Il a été clairement signifié aux autorités néerlandaises qu'il est impératif que des mesures concrètes et urgentes soient prises à l'encontre de ce « trafiquant et mercenaire de l'agitation », poursuit-il.

Nous concluons donc que :

1/ Le Hirak est légitime dans ses revendications sociales et économiques, et le gouvernement se doit d’y répondre vite et bien, en attendant de s’en aller vers d’autres contrées souffrant des mêmes maux pour leur apporter les mêmes solutions, ou d’autres ;

2/ Le Hirak n’est pas si spontané que nos compatriotes du Rif veulent le faire croire, parce qu’ils le croient eux-mêmes ;

3/ Les meneurs du Hirak sont devant la justice et devront répondre de leurs actes devant elle, mais rien n’interdit à ladite justice de se montrer clémente, et rien n’interdit non plus à la Nation de se montrer « clémente et miséricordieuse », comme elle a su le faire avec des séparatistes algériens et/ou sahraouis autrement plus dangereux ;

4/ L’Etat marocain doit plus et mieux communiquer afin que les populations sachent ce qui se passe au nord. Le mutisme et la discrétion, au-delà d’un certain niveau, peuvent être préjudiciables et atteindre les résultats inverses de ceux escomptés. MM. Bourita et Laftit, respectivement ministres  des Affaires étrangères et de  l'Intérieur, seraient (mieux) inspirés de tenir des points de presse. On n'a pas encore trouvé de meilleure solution pour tenir les populations informées...

Aziz Boucetta