Comment être croyant et citoyen ? Réponse à l’Académie du Royaume
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- 04 mai 2017 --
- Maroc
Parmi les thèmes recherchés développés et débattus par l’Académie du Royaume du Maroc, il faudra retenir celui choisi cette semaine … « Croyants et citoyens dans un monde qui change ». C’était le sujet de la journée d’étude organisée ce mercredi 3 mai au siège de l’Académie, en coopération avec le Conseil pontifical du Dialogue interreligieux, représenté par président le cardinal Jean-Louis Tauran.
Accompagné par le nonce apostolique, ambassadeur du Vatican à Rabat, le cardinal a fait son entrée dans la salle en compagnie du secrétaire perpétuel de l’Académie Abdeljalil Lahjomri, pour une séance très relevée dédiée à ce dialogue entre religions. Et pour M. Lahjomri, ce dialogue est en grande partie assuré par les échanges entre islam et christianisme, ces deux religions représentant environ 40% de l’humanité.
Le secrétaire perpétuel, dans son allocution d’ouverture, a expliqué que « le monde contemporain ne vit pas que des moments de bonheur et de fraternité, mais subit aussi des évolutions négatives où la religion est, bien malheureusement, instrumentalisée pour légitimer la violence ». Pour Abdeljalil Lahjomri, et en ces temps où les débats sur l’identité sont légion, « il ne saurait y avoir d’identité sans ouverture sur l’autre, tant sur le plan culturel qu’ethnique ». Le dialogue interreligieux doit donc se fonder sur le respect de l’Autre.
Et de citer le roi Mohammed VI dans son adresse aux participants du Congrès sur « les minorités religieuses en terre d’islam », tenu en janvier 2016 : « En notre qualité d’Amir Al-Mouminine et de protecteur de la religion et de la communauté des adeptes, nous nous chargeons de préserver les droits des musulmans et des non-musulmans sans distinction entre eux. Nous protégeons leurs droits en tant que religieux, conformément aux principes de référence immuables que nous avons mentionnés précédemment. Nous les protégeons aussi en tant que citoyens en vertu de la Constitution. Nous ne voyons pas de différence en cela, au vu des objectifs et des finalités recherchés ». Abdeljalil Lahjomri a également repris une phrase du pape François 1er, prononcée dernièrement en Egypte : « La paix est certes un don de Dieu, mais elle également le fruit de l’action de l’homme ».
Prenant à son tour la parole, le cardinal Tauran a expliqué que le dialogue interreligieux n’est pas une stratégie mais une réflexion, tendant à « cerner ce qui nous éloigne pour identifier ce qui nous unit ». Et ainsi, dans le même ordre d’idée, affirme le cardinal, « la doctrine sociale de l’Eglise est
de placer la religion dans l’espace public car l’en exclure est de nature à laisser le champ libre au fondamentalisme ».
La parole est ensuite donnée au théologien érudit Ahmed Abbadi (photo ci-dessous), président de la Rabita Mohammadia des Oulémas, qui commence par estimer que « croire n’est pas une finalité ultime, mais fonctionnelle, car la croyance permet d’aller là où on veut ». Et pour ce faire, dit l’orateur – qui s’exprimait en français après une courte introduction en arabe – « il faut trouver une jointure entre le texte et le contexte », c’est-à-dire entre les écrits sacrés et la réalité vécue. Cela implique que si le texte sacré est immuable, il est en revanche interprétable en fonction des lieux et des époques, cette interprétation pouvant se fonder sur les clés et mécanismes développés par l’Homme.
Pour Abbadi, « il faut impérativement vaincre la peur, car cette peur a englouti des trillions de dollars, essentiellement en armements ». Si, pour l’orateur, le Japon en est arrivé à ce qu’il est, c’est parce que dès 1945, il avait opté pour une politique pacifiste, économisant autant de milliards de dollars, employés à autre chose.
Et Abbadi de développer son idée force, pour éradiquer le fondamentalisme, dans le cadre d’un dialogue… « Aujourd’hui, la connaissance n’est plus dans les mosquées, ou les églises, ou même les cafés, mais sur le web, dans les réseaux sociaux ou autres, et c’est là que les religieux doivent se trouver également… Daech émet quelques 90.000 messages par jour sur internet ; or, sachant que l’islam dispose de quelques 5 millions d’Oulémas, si l’on n’en retient que 1,5 million qui soient actifs sur les réseaux, les messages de paix pourront trouver leur chemin dans les esprits des gens ».
Et donc, en « capacitant » les oulémas et les prêtres sur internet, en les enjoignant à s’impliquer et en leur en donnant les moyens, ils pourront d’abord dialoguer entre eux, et ensuite contrecarrer les visées criminelles de ceux qui disent parler au nom des religions pour légitimer leurs tueries.
Sur le plan de la forme, et dans le cadre du dialogue interreligieux, il faut noter que si le nonce apostolique parlait en arabe, l’alem Abbadi s’est exprimé en français. Voilà une autre forme de dialogue : échanger dans la langue de l’autre, et abattre ainsi les barrières culturelles, dans le respect des cultures des uns et des autres.
Aziz Boucetta