El Otmani a rencontré (presque) tous les chefs de partis, mais l'incertitude persiste...

El Otmani a rencontré (presque) tous les chefs de partis, mais l'incertitude persiste...

Il aura fallu 96 heures après sa nomination finalement pour que le nouveau chef du gouvernement Saadeddine El Otmani entame ses consultations avec les chefs de partis en vue de composer une majorité et un gouvernement. Cela a commencé par l’Istiqlal, puis le duo RNI/UC et ensuite le PAM, chacune de ces rencontres ayant duré une dizaine de minutes. Puis le chef du gouvernement a reçu Laenser du MP, Benabdallah du PPS et aussi, et surtout, Driss Lachgar de l'USFP... 

Désigné par le roi Mohammed VI vendredi 17 mars en milieu de journée, El Otmani, numéro 2 du PJD en qualité de président de son Conseil national, a vécu un weekend intense, avec la tenue d’une session extraordinaire de ce Conseil national, et un communiqué qui veut tout, et rien, dire.

Les membres du Conseil national, réunis 11 heures (quand même) ont repris à leur compte les positions du secrétariat général qui avait soutenu Abdelilah Benkirane lors de ses tractations. Puis ils ont parlé méthodologie politique, et respect de la volonté populaire, et logique démocratique. Mais ils ont aussi et surtout confié au secrétariat général le soin d’accompagner El Otmani dans ses négociations, insistant sur l’esprit de consensus qui doit prévaloir et surtout la célérité à apporter à la formation du gouvernement.

Et ce 21 mars,  les concertations ont effectivement démarré, dans l’ordre décroissant des résultats électoraux. Le patron du PAM Ilyas el Omari, absent pour cause de présence royale à Tanger, a donc été reçu en milieu de journée, après les Istiqlaliens et le duo Aziz Akhannouch et Mohamed Sajid. Les ambiances de ces rencontres étaient cordiales, les différents participants échangeant sourires et plaisanteries. On remarquera également que la langue amazighe était très présente, El Otmani, Akhannouch, el Omari, Mohamed Soussi étant tous des Imazighen. Un signal en ces temps de discussion de l’officialisation de cette seconde langue officielle du royaume.

Lors de ces six rencontres, Saadeddine El Otmani était accompagné de Mohamed Yatim, de Mostafa Ramid et de Lahcen Daoudi. La Fédération de la Gauche démocratique ne fait pas partie du lot des partis reçus par le chef du gouvernement ; certains disent que c'est Nabila Mounib qui a décliné, d'autres expliquent qu'elle n'a pas été conviée.

L’Istiqlal. La délégation des Istiqlaliens était composée de l’austère Mohamed Soussi, de Bouameur Taghouane et de Hamdi Ould Rachid. Hamid Chabat n’était donc pas là, le Conseil national extraordinaire du 31 décembre 2016 ayant confié cette mission de rencontrer le chef du gouvernement désigné au trio qui a fait le déplacement.

A l’issue de la réunion, conviviale, Mohamed Soussi a sobrement réitéré la position initiale de son parti, à savoir la volonté d’entrer au gouvernement et celle, à défaut, d’apporter son soutien parlementaire au gouvernement présidé par le PJD.

Cependant, le changement de la donne politique, avec le départ de Benkirane, redonne espoir aux amis de Chabat de figurer, enfin, dans le gouvernement, ce qui pourrait changer radicalement la position plutôt chahutée de Chabat au sein de son parti, en cela qu’il est très fortement menacé de s’en aller à l’issue du congrès de fin avril. A l’Istiqlal, on ne change pas un secrétaire général qui aura permis d’entrer au gouvernement, c’est la tradition, et même si le secrétaire général n’est pas ministre.

La preuve de cela est l’éditorial de ce jour sur Al Alam, l’organe arabophone de l’Istiqlal, qui insiste lourdement sur le fait que le nouveau chef du gouvernement désigné « reprendra à zéro » les tractations. Ce qui veut dire, en clair, que l’on passe outre les malheureuses saillies et les déclarations désastreuses de Chabat, et qu’on reprend les discussions sur une coalition qui intégrerait l’Istiqlal.

Le RNI/UC. Aziz Akhannouch était accompagné du seul Mohamed Sajid. A la fin de la rencontre, le chef du RNI a déclaré « faire confiance au nouveau chef du gouvernement désigné, à qui nous souhaitons plein succès dans sa mission et que nous félicitons pour la confiance royale ». Le ministre de l’Agriculture a ajouté que son parti et l’UC soutiennent et soutiendront encore El Otmani, et veulent adhérer à sa majorité et à son gouvernement. Puis Aziz Akhannouch a repris les termes du communiqué du PJD quant à gouvernement fort et cohérent. « Nous faisons donc confiance à Ssi El Otmani et lui laisserons le temps qu’il voudra pour réunir sa majorité pour atteindre ce qu’il veut et ce que veut le pays aussi ». ».

On remarquera que dans son allocution de 1’40, Akhannouch a utilisé trois fois le terme confiance. Cela signifie en creux que c’était précisément cette confiance qui commençait à manquer avec Abdelilah Benkirane. De l’USFP, il n’a pas été question, du moins face aux micros, mais il serait prématuré de dire que le ministre de l’Agriculture renoncera à la formation de Driss Lachgar ; il se déjugerait et ce n’est pas dans sa nature, mais tout dépendra de l’attitude du PJD à trouver une solution pour le parti socialiste. On insistera cependant sur l’ambiance de confiance et de convivialité qui a régné sur


cette rencontre, ce qui n’était pas le cas lors des dernières semaines avec Benkirane.

Le PAM. Ilyas el Omari est arrivé à son tour en milieu d’après-midi, accompagné de la présidente de son Conseil national Fatima-Zahra Mansouri, et là aussi, les sourires étaient au rendez-vous. Ce qui est important quand on parle d’Ilyas el Omari au siège du PJD. Cela n’aurait jamais été le cas du temps de Benkirane.

A la sortie de cette rencontre, Ilyas el Omari a loué le fait de rencontrer tout le monde et de parler à tout le monde, « ce qui est une bonne chose, qui doit rester, maintenant et à l’avenir, car le dialogue et l’écoute de l’autre sont une vertu, même si on diverge. Cela étant, chacun campe sur ses positions ». Mais contrairement aux autres chefs de parti, el Omari a répondu aux questions, dont celle de la participation du PAM au gouvernement : « Je crois qu’en l’état actuel des choses, il est prématuré d’en parler ».

Petit moment de flottement quand la question a été posée de savoir si la participation a été évoquée, ou proposée, par El Otmani. El Omari tend le micro au chef du gouvernement désigné, qui décline et lui murmure de redire que c’est prématuré. Il faut dire qu’El Otmani est solidement encadré par Mohamed Yatim et Mostafa Ramid… et el Omari de conclure, perfide : « Ce n’est pas nous qui n’avons pas le temps, mais lui… Et nous en sommes encore à notre position du 8 octobre ».

Le PPS. Et c’est au tour de Nabil Benabdallah, accompagné de Khalid Naciri et d’Abdelouahed Souhail, de visiter le siège du PJD, pour y rencontrer El Otmani, avec toujours les mêmes Ramid, Daoudi et Yatim. Reçu par un solide « bonjour camarade » que lui a lancé le chef du gouvernement désigné, Benabdallah a conduit rencontre amicale et détendue. Le PPS et le PJD sont amis, et depuis longtemps. A la fin de la réunion, le chef du PPS a appuyé sur ce caractère amical, expliquant « que les raisons qui ont prévalu pour la participation du PPS au gouvernement Benkirane sont toujours inchangées, et que le parti intègrera le gouvernement El Otmani si les conditions sont requises ».

Benabdallah a aussi parlé de la nécessité d’élaborer un programme de la coalition gouvernementale, et a évoqué, et c’est important et inédit, l’idée d’une charte de valeurs qui encadrera l’action de l’Exécutif à former. Le secrétaire général du PPS semble confiant et certain que ce gouvernement El Otmani se fera, finalement.

Le MP.  Accompagné de Saïd Ameskane, ancien ministre (il y a longtemps) et de Mohamed Ouzine, que tout le monde connaît, Mohand Laenser a à son tour rencontré El Otmani et à l’issue de la rencontre, il a déclaré que le MP apportera son soutien pour la formation du gouvernement, qui doit être rapide pour l’intérêt supérieur du royaume. Laenser n’a pas évoqué le quatuor RNI/UC/MP/USFP ni même l’USFP comme condition, suivant en cela Aziz Akhannouch, et il a laissé entendre que les écueils passés pouvaient et devaient être dépassés. Si Akhannouch a parlé trois fois de confiance, Laenser a cité deux fois le mot rapidité.

L’USFP. Driss Lachgar est venu avec Abdelkarim Benatiq et Younes Moujahid, le premier étant ancien et lointain ministre, et le second aspirant à le devenir. Le Premier secrétaire a fait sa déclaration en annonçant qu’il avait parlé à El Otmani en amazigh (rires dans la salle) et a insisté sur le fait que le Bureau politique, unanime, a décidé d’ « adhérer totalement à la mission du chef du gouvernement désigné pour l’aider à réussir sa mission ». Puis il a adressé une requête aux médias, leur demandant une certaine mesure dans leur action, « pour aider à faire avancer les choses, et ne pas publier des faits qui n’ont pas de relation avec la réalité ».

Phrase importante, cruciale : « La décision de notre parti est souveraine et, je le dis et je le répète, je n’accepterai d’aucune partie qu’elle parle en notre nom. Les négociations seront menées avec nous et avec personne d’autre en notre nom ». On peut lire cela comme une dissociation de l’USFP avec le RNI qui, jusque-là, a (quand même) parlé au nom de l’USFP. On peut également penser que si le PJD insiste pour la non-participation de l’USFP, et que la même USFP marque son accord, unilatéralement, le gouvernement sera enfin formé… quitte à un léger remaniement plus tard…

A la fin, donc, de cette première journée de prise de contact, rien n’est décidé, et rien ne transparaît, sauf deux choses : 1/ La « confiance » d’Akhannouch en El Otmani et la « rapidité » voulue par Laenser, 2/ Un début de décrispation entre l'USFP et le PJD, 3/ Le maintien du PAM dans sa position de non-participation, jusqu'à preuve du contraire, qui ne semble pas devoir se produire et, 4/ Cette faculté du sourire permanent du Docteur El Otmani, même pendant les moments difficiles avec el Omari et quelque peu tendus avec Lachgar. Il faudra garder cela à l’esprit pour plus tard…

Aziz Boucetta