Des ONG dénoncent une « collusion » entre Bruxelles et les «Big Pharma»
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- 27 mai 2020 - 16:00 --
- Bref
Deux ONG accusent la Commission Européenne de laisser les industries pharmaceutiques contrôler les fonds publics de recherche. Big Pharma aurait notamment choisi d’écarter la recherche de vaccins contre les coronavirus, bien avant le début de la pandémie.
Respectivement impliquées dans les politiques budgétaires de santé et dans l’observation du lobbying à l’échelle de l’UE, «Action Santé Mondiale (ASM) et Corporate Europe Observatory (CEO) ont publié le 25 mai les résultats de deux rapports d’enquête, dénonçant d’une seule voix le fait que «l’industrie contrôle l’usage de milliards d’euros de fonds européens pour la recherche, néglige[ant] l’intérêt public». L’enquête menée par ASM porte précisément sur le rôle du secteur pharmaceutique dans des mécanismes de recherche mis en place par l’UE, tandis que l’autre porte sur l’utilisation du budget de recherche alloué aux questions climatiques.
Les deux ONG expliquent notamment en être arrivés à la conclusion que le lobby européen des «Big pharmas» − représenté par la fédération européenne des industries et associations pharmaceutiques (EFPIA) − a contrôlé l’usage de «2,6 milliards d’euros de fonds publics de recherche entre 2008 et 2020, ceux mis à la disposition de l’IMI [Initiative en matière de médicaments innovants]», en référence à un partenariat public-privé établi par l’UE dès 2008 et dont l’objectif affiché est de «faire progresser la mise au point de médicaments en facilitant la collaboration ouverte avec le secteur de la recherche». «12 ans que l’industrie pharma utilise l’IMI pour servir ses intérêts commerciaux, par exemple pour faire pression sur les régulateurs sur des questions cruciales comme les normes de sécurité des nouveaux médicaments», affirme ASM sur son compte Twitter.
Fait notable, l’ONG fait état, en page 8 de son rapport, d’un commentaire publié en 2011 par l’EFPIA sur son site − et supprimé par la suite − pour le moins révélateur de l’intérêt pécuniaire que le partenariat public-privé susmentionné pourrait procurer aux sociétés privées du secteur pharmaceutique : «L’industrie pharmaceutique bénéficie de découvertes faites dans le cadre de projets dont les coûts sont plusieurs fois supérieurs à la contribution individuelle de chaque société privée. Les projets [financés par] l’IMI permettent un travail que les entreprises auraient dû faire de toute façon», n’hésitait pas à se féliciter le lobby pharmaceutique européen, vantant ainsi des économies considérables réalisées par les acteurs privés.
Dans un résumé présentant les résultats de leurs enquêtes, les deux ONG déplorent alors des partenariats octroyant «des privilèges et des avantages» au secteur privé tout en imposant «des devoirs et des obligations»
au secteur public, et décrivent un système qui, selon elles, est à l’origine d’une certaine «négligence vis-à-vis de la préparation aux épidémies». «Le financement public de la recherche est un investissement précieux et stratégique dans la production de connaissances pour l’avenir […] Mais l’intérêt général est-il réellement servi par ces « partenariats » de recherche avec le secteur privé ? Les observations rassemblées dans ces deux rapports indiquent que non», regrettent les deux ONG, qui affirment par ailleurs avoir découvert au sein de l’IMI «plusieurs projets censés aider l’industrie à influencer la législation sur l’évaluation de l’innocuité des nouveaux produits pharmaceutiques [ou encore] à accélérer l’octroi des autorisations de mise sur le marché en abaissant les normes en matière de preuves pour les nouveaux médicaments».
«Nous avons été indignés de découvrir que non seulement l’EFPIA n’avait pas envisagé que l’IMI finance la préparation épidémiologique comme « sujet réglementaire », (c’est-à-dire anticipe et se prépare à des épidémies telles que celle causée par le nouveau coronavirus, Covid-19), mais s’était également opposée à l’intégration de cette problématique dans le champ de travail de l’IMI […] lorsque la Commission européenne l’avait proposé, en 2018», peut-on alors lire dans le même compte rendu.
«Depuis 2003 et l’apparition du virus du SRARS – cousin proche du nouveau coronavirus – plusieurs voix de chercheurs se sont élevées pour réclamer l’accélération du développement d’outils médicaux nécessaires pour faire face à ce type de virus. Un « candidat prometteur pour traiter le coronavirus » avait déjà été évoqué en 2016, mais ce dernier n’a pas retenu l’attention de l’industrie pharmaceutique et cette piste n’a donc pas été approfondie. Ce n’est qu’aujourd’hui, alors que la pandémie fait rage et que des fonds publics d’urgence sont mobilisés pour y répondre, que l’industrie se montre intéressée par le développement de vaccins et de traitements», lit-on dans le compte-rendu de CEO. L’ONG reproche en effet à la Commission européenne de ne pas avoir la main sur ces partenariats qu’elle a pourtant participé à mettre en place. «De multiples évaluations ont déjà tiré la sonnette d’alarme sur les processus de gouvernance et de définition des programmes de l’IMI, dominés par l’industrie. Pourtant, au lieu de s’attaquer aux problèmes principaux, la Commission n’a pas réussi à reprendre le contrôle du partenariat, se préoccupant plutôt de dévier les critiques à grands renforts de communication», dénoncent encore les ONG qui remettent en cause l’hypothèse qu’un partenariat public-privé «dont l’agenda de recherche est défini par des intérêts commerciaux», puisse servir l’intérêt général.